Comment avez-vous vécu mai 68?
AA: 2 anecdotes, pour bien montrer que quand on habitait en province, on pouvait être concerné, tout en continuant à vivre...sa vie
- Alors que les facultés de sciences humaines, à Lille, commencèrent à bouger très tôt (même avant la fermeture de la Sorbonne), il n'en était pas de même en droit, où le plus grand conservatisme régnait. Certes quelques étudiants essayaient bien de nous réveiller, mais personne ne bougeait vraiment, même si la majorité des "juristes" suivaient de près les évènements, par transistors interposés.
J'avais comme professeur de droit commercial, l'ex-ministre de la justice Jean Foyer. Il n'était venu pendant l'année que 2 ou 3 fois faire cours! Mais le lendemain de la première nuit des barricades, il est arrivé et a commencé par vitupérer contre les étudiants parisiens et il a déclenché un tel vacarme qu'il a du quitter l'amphithéâtre, car il ne parvenait plus à se faire entendre. Ce fut alors le signal de ralliement au mouvement: AG sans discontinuer, discours et votes passionnés, grève des cours, report des examens... Ma première révolte!
- J'étais à l'époque bridgeur, et courant mai j'étais qualifié pour une finale de championnat de France à Paris. Nous y étant rendus, avec la 2CV de mon partenaire, un week-end, nous eûmes la désagréable surprise, pour le retour, de ne plus trouver d'essence! Qu'à cela ne tienne! Le frère de l'amie de mon partenaire travaillait au siège social de chez...Marcel Dassault: non seulement nous y fûmes ravitaillés en carburant, mais nous trouvâmes dans le frigo personnel de l'avionneur, caviar et champagne! Mon côté bourgeois, quoi!
Mai 68 fut-il important?
AA: Sans conteste possible! Nier la rupture que les évènements provoquèrent ne peut être que suspect de méconnaissance ou de malfaisance politicarde.
Certes la pillule, le yéyé et les Beatles, les manifs contre la guerre au Vietnam, des mouvements
nouveaux de contestation de l'ordre établi (je pense à l'anti-psychiatrie, par exemple) annonçaient déjà cette rupture et, ce, dès le début des années 60.
Quand je mesure combien, presque du jour au lendemain, ont changé les rapports entre parents et enfants, maîtres et élèves, patrons et salariés, gouvernants et gouvernés, il crève les yeux que plus rien ne fut comme avant. Les générations post-soixante-huitardes doivent avoir du mal à imaginer la non-communication qui pouvaient exister entre, ce que l'on doit bien appeler, aujourd'hui, a-postériori, dominants et dominés.
Et bien entendu, je ne parle pas des conquêtes sociales importantes qui furent arrachées, de haute lutte!
Certes, il y eut quelques excès (mais pas de mort, ni de blessé grave), quelques slogans caricaturaux, mais symboliques ("Il est interdit d'interdire").
Rien ne fut plus comme avant! Et ceux qui le nient sont des nostalgiques de l'ordre ancien: pas uniquement de celui de l'Ancien Régime, mais aussi de Vichy. A l'époque je pensais que nous en avions fini avec les zélateurs du "Travail, famille, patrie". J'ai bien peur que cela ne soit pas le cas et que la vigilance s'impose toujours!
Et en ce qui vous concerne personnellement?
AA: J'avais déjà, bien avant 68, une conscience politique. Mais c'est la maturation des années 70 qui m'a permis de toujours remettre en cause les certitudes du moment, de lutter contre les préjugés et les injustices, d'être tolérant et exigeant à la fois.
Je dirais que je suis devenu humaniste, grâce à mai 68
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