Aujourd'hui, nous sommes en face d'une épidémie de cancer. Un Français sur quatre mourra de cancer. Et bien souvent avant l'âge de 65 ans. Je suis moi-même du mauvais côté des statistiques depuis mes 31 ans, quand j'ai découvert que j'avais une tumeur au cerveau. Depuis 1940, nous assistons dans nos sociétés à une augmentation rapide et considérable des cancers les plus fréquents (poumon, sein, prostate, colon). Cela s'explique en partie par le fait que nous sommes plus nombreux à vivre plus vieux – assez longtemps pour développer un cancer – et que nous savons mieux le détecter. Mais ces deux facteurs ne rendent compte que partiellement de l'augmentation des cancers. Car chez les enfants et adolescents, les chiffres progressent aussi : de 1 à 1,5 % annuellement depuis les années 1970. Et il s'agit de cancers que l'on ne dépiste pas.
Pour les cancers les plus fréquents les taux sont beaucoup plus élevés chez nous que dans les pays asiatiques. Mais quand les Asiatiques émigrent en Occident, ils rattrapent nos taux en une ou deux générations. Les Asiatiques vivant en Asie ne sont donc pas protégés par leurs gènes, mais par leurs modes de vie et leur environnement. Les études les plus récentes le montrent : 15 % au plus des cancers sont dus à des facteurs génétiques – et seulement partiellement. 85% ne le sont pas. Pourtant, le cancer frappe bien les familles : une étude marquante publiée dans le New England Journal of Medicine a montré que les enfants adoptés à leur naissance et nés de parents morts de cancer avant l'âge de 50 ans, présentaient autant de risques de cancer que leurs parents adoptifs, non leurs parents biologiques. Ce qui est transmis de génération en génération, ce sont des habitudes et des conditions environnementales. Non des gènes responsables du cancer. Nous continuons pourtant à consacrer 97 % de notre recherche à des méthodes de soin plus efficace et de détection plus précoce. 3% seulement des moyens sont investis sur le traitement des causes de l'épidémie. J'ai été un membre fondateur de Médecins sans Frontières aux Etats-Unis. J'ai été volontaire en Irak, au Guatemala, au Tadjikistan et au Kosovo. J'ai vu des épidémies dans les camps de réfugiés. Aucune épidémie de choléra ne peut être stoppée par la détection précoce ni par les traitements antibiotiques – des méthodes par ailleurs précieuses et efficaces pour soigner chaque malade individuellement. Parce que l'épidémie se répand toujours plus rapidement que notre capacité à traiter chaque victime. Dans les années 1800, l'Europe et les Etats-Unis ont subi plusieurs grandes épidémies de choléra. Partout, elles ont pu être stoppées à chaque fois sans le soutien des antibiotiques. A l'époque, le concept de micro-organisme infectieux n'avait pas même été découvert. Mais nos dirigeants ont eu assez de clairvoyance et de volonté pour agir sur ce qui apparaissait comme la cause environnementale la plus probable : les sources d'eau contaminée. Et de fait, ils ont réussi à arrêter le choléra. Paradoxalement, si les antibiotiques avaient existé à l'époque – et si les responsables de l'époque avaient compté sur eux pour affronter l'épidémie comme nous comptons aujourd'hui sur les traitements anti-cancer – ils n'auraient sans doute jamais réussi à juguler le choléra.
Aujourd'hui, nous disposons d'infiniment plus de données sur les causes probables de l'épidémie de cancer moderne que nos ancêtres n'en disposaient à propos du choléra. Le Fonds international de recherche sur le cancer a conclu, dans son rapport de 2007, que "la plupart" des cas de cancer dans les sociétés occidentales pourraient être évités en changeant nos modes de vie :
- 40 % par des modifications de l'alimentation et de l'activité physique (consommer plus de légumes et de fruits, moins de sucre, moins de viande rouge ; marcher régulièrement ou faire 30 minutes d'exercice physique, six fois par semaine) ;
- 30 % par l'arrêt du tabac ;
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