De notre observateur liégeois

Serge Jacquin est un chercheur liégeois en sociologie venu observer Hénin-Beaumont en vue d'une thèse...Il écrit, régulièrement, à son ami Boris (dit Beau) Haas, resté au pays et lui fait part de ses observations. Il a promis de m'adresser certains de ces courriers en copie. Il m'apparaît intéressant de connaître le regard extérieur de ce sociologue et il m'a donné son accord pour que ses lettres soient publiées sur ce blog, quand je le jugerai utile. Voir sa première lettre datée du 11 novembre 2009 et les suivantes

Mon cher Beau,

Tu as certainement entendu parler des profanations à Hénin-Beaumont.

Avant de te faire part de mes observations, je souhaiterais te commenter les raisons du fameux discours de Grenoble dont toute la presse internationale, dont la presse belge, bien sûr, s'est saisie pour marquer son effroi devant l'attitude de Nicolas Sarkozy dont les anathèmes feront date. Il s'agissait, pour lui, de réagir après des évènements violents à Saint-Aignan (des gens du voyage "sédentarisés" avaient commis des violences à la suite de la mort d'un des leurs, tué par un gendarme, alors qu'il forçait un barrage) et à Grenoble, quartier de La Villeneuve (violences urbaines, mi-juillet, après la mort d'un des braqueurs présumés du casino d'Uriage, lors d'un échange de tirs).

Les conséquences qu'en a tirées N. Sarkozy, directement dans son discours, ou après-coup: la plupart des délinquants sont des immigrés (sous-entendu: des musulmans), il faut déchoir de leur nationalité française les coupables de violences contre les forces de l'ordre, les polygames et les exciseurs, il faut faire la guerre à la délinquance (rengaine sarkozienne depuis 8 ans et échec patenté de sa politique sécuritaire)...Je passe sur l'inconstitutionnalité de la déchéance de la nationalité française, de son illégalité (la double peine, ...), des mauvais souvenirs que cela rappelle (Vichy), etc. Certes, il est toujours difficile d'expliquer que se lancer dans ce type de marquage au fer rouge est une escalade propice à tous les dévoiements: on commence par la déchéance, puis on montre du doigt une population, par exemple gens du voyage et roms (comme l'a déjà fait: le Président français à Grenoble), puis on fiche les personnes (on a commencé avec les millions de prélèvements ADN), puis on déchaine la vindicte populaire contre une certaine catégorie (sous Vichy, ce fut les Tsiganes, les Francs-Maçons et les Juifs), cet engrenage est bien connu. Si la France, aujourd'hui (la France des droits de l'Homme!), est montrée du doigt par les démocraties occidentales, au même titre que la Hongrie, l'Autriche ou la Slovaquie (avec, il faut l'avouer, les Néerlandais et nous les Belges, avec nos extrémistes flamands), c'est bien parce que le terrain est glissant...

Alors pourquoi ces relents xénophobes chez Sarko? Personne n'est dupe! A 2 ans des Présidentielles, les Français se sont détournés de lui (échecs, rodomontades, attitude indigne d'un Président, omniprésence mal acceptée et omnipotence peu démocratique, etc: bref, la faillite!). Son discours de Grenoble a été préparé au lendemain du dernier échec électoral des Régionales (venant après d'autres) de mars dernier. Le FN ayant réussi un score meilleur que ses catastrophiques résultats précédents (Sarko avait siphonné son électorat en 2007, sur le thème de la sécurité), la stratégie est de recommencer cet abject recours à la peur. Suivant un sondage récent, les Français seraient d'accord avec les thèmes évoqués: non seulement on attend confirmation de ces résultats, mais leur interprétation ne suffit pas pour dire que la majorité des Français est prête à voter Sarko, quoiqu'en pense la majorité au pouvoir. Bref, cette surenchère purement démagogique, pour déborder le FN sur sa droite (!), heurte même dans les rangs de la majorité: les centristes et les chrétiens-démocrates sont silencieux, mais n'en pensent pas moins...

Quand sont survenus, à Hénin-Beaumont, à 4 jours d'intervalle, le vandalisme contre une église protestante et la profanation d'un cimetière, certains y ont vu, là, le résultat des discours "fumeux" du FN, d'autres, une réponse à la guerre déclarée par Sarkozy. Aujourd'hui, il semble que le suspect arrêté aurait avoué les 2 méfaits, plus d'autres, survenus récemment (qui avaient "émoustillé" le FN). A confirmer, certes. D'autre part, une expertise médicale a été demandée: au cas où l'irresponsabilité pénale du délinquant serait prononcée, cela nous promet des débats entre ceux qui pensent que les problèmes mentaux ne se soignent pas en prison et ceux pour qui un délinquant doit "payer"...Dans le climat "tout sécuritaire" français, cela risque de provoquer des débordements peu glorieux.

En tous les cas, le sociologue que je suis a relevé quelques observations très typiques du climat qui règne en France et plus particulièrement à Hénin-Beaumont:

- la presse française, et même internationale, s'est faite l'écho des incidents héninois. Aussi surprenant que cela puisse paraître, il n'y a eu aucune déclaration les condamnant, de la part de la majorité en place à Hénin. Même les partis politiques en faisant partie (MRC et Verts) ne se sont pas fendus d'un communiqué. Le Maire a été silencieux, contrairement aux partis d'opposition (y compris le FN). Les mauvaises langues ironisent sur les vacances ou l'incapacité à communiquer...je ne suis pas sûr qu'elles aient complètement tort. En tous les cas, les Héninois ont dû être surpris que, dans le brouhaha médiatique, leurs élus majoritaires se soient tus...

- La sous-Préfète a commis un impair de taille, qui ajoute encore à la méfiance ambiante sur la capacité des autorités à gérer les situations difficiles. En effet, elle a lâché que les 2 incidents n'étaient pas liés entre eux. Cette supputation, en forme d'évidence, en avait surpris plus d'un. Il semblerait que les aveux du suspect viennent infirmer les propos imprudents du représentant de l'État.

- Le FN a paru décontenancé: il a mis du temps à réagir. On comprend d'ailleurs l'embarras. Alors que Marion Le Pen veut se donner une image plus "clean" que celle de son père, en évitant les débordements racistes et xénophobes, les saillies sarkoziennes allant plus loin que les discours récents du FN, la réaction n'était pas évidente; mais, finalement, il lui fut facile de gloser sur l'échec du Président et sur le fait que ses réactions arrivaient bien tard, le FN ayant depuis longtemps indiqué la voie à suivre. Sur les 2 profanations (bien que concernant le temple, on doit plutôt parler de vandalisme, seuls les murs ayant été souillés), la première réaction fut de fustiger ceux qui avaient mis en avant que le climat instauré par le FN était propice à ce type de délinquance, puis il s'est contenté d'une réaction très académique (sanction contre les délinquants), même s'il n'a pu s'empêcher de déclamer son habituelle ritournelle sur la vidéo-surveillance. Rien contre ces étrangers responsables de tous nos maux! Bien lui en a pris, semble-t-il...Je n'irai pas jusqu'à dire que le FN laisse le champ libre à Sarkozy pour les discours xénophobes, mais...

- Enfin, ô surprise, ce genre d'évènements suscite généralement des déclarations humanistes de la part des élus et personnalités politiques régionaux ou nationaux. Rien! Serait-ce parce qu'il s'agit d'Hénin et que plus personne n'ose dire quoi que ce soit de peur de commettre un impair? Les partis de gauche, si prompts à réagir, dans ce type de situation, regardent ailleurs. L'UMP et les autres partis de droite sont aux abonnés absents. Est-ce que l'on supputait qu'il ne s'agissait pas d'actes racistes (il y avait eu pourtant des croix gammées sur les murs du temple protestant...)? Mais cela méritait pourtant de soulever l'opprobre, aussi bien pour des raisons morales (le respect des morts) que politiques ( les conséquences du discours de Grenoble, pour les uns, la confirmation des propos présidentiels pour les autres). Rien, sauf un communiqué d'Hortefeux, le ministre qui se déchaine actuellement aux 4 coins de la France...