| Depuis 1984, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) dit aux Français que leur parquet n'est pas une autorité judiciaire parce qu'il est une partie au procès. C'est l'avocat de la société. Seul le juge est juge. Et le parquet ne peut prendre de décisions portant atteinte aux libertés.
La Cour de Strasbourg ne nous a pas demandé de rendre notre parquet indépendant. Elle nous répète et même nous serine (une deuxième fois cette année, le 23 novembre) que, dans les cas de privation de liberté, elle veut la décision d'un juge et non pas celle d'un magistrat du parquet qui n'est pas un juge. L'adage français selon lequel " la justice est rendue au nom du peuple français par les magistrats du siège et du parquet " est ainsi rejeté.
Dans la plupart des démocraties, le parquet est en interface avec le pouvoir politique. C'est ainsi que, en Allemagne, les parquetiers sont fonctionnaires, de même que le Crown Prosecution Service en Angleterre ou les procureurs fédéraux aux Etats-Unis. L'amélioration de cette interface pourrait se faire chez nous, si le problème n'était masqué par ce malentendu qu'implique la confusion des rôles, doublée de cette énorme anomalie qu'est l'unité du corps judiciaire, autre exception française.
La carrière s'effectue en étant un jour procureur, l'autre jour juge, parfois dans des conditions courtelinesques puisqu'on a vu un procureur siéger sept ans au banc du ministère public, puis devenir président de la même chambre. Ou un remarquable magistrat qui, après avoir fait toute sa carrière au parquet, la termina comme premier président de la Cour de cassation.
Nombre de magistrats sont pour l'instant attachés à cette unité du corps. C'est pourtant bien ce qui rend la justice inintelligible. Ce n'est pas entre le parquet et le pouvoir exécutif qu'un cordon est à couper, mais entre les magistrats du siège et les magistrats du parquet, qui devraient même être logés dans un autre bâtiment que le palais de justice pour y venir devant le juge comme les autres parties. Au lieu d'instrumentaliser les décisions de la Cour, mieux vaudrait les lire et les comprendre.
Procureur bis
Mais alors, comment peut-on confier au parquet les investigations dans la préparation des affaires pénales s'il n'est pas indépendant ? Que font les autres pays ? Aucun ne connaît de juge d'instruction. Tous confient les investigations au parquet, voire à la police. Contrairement aux lieux communs français, l'investigation n'est pas un travail de juge, mais de policier et d'autorité de poursuite. Le parquet soutient l'existence de l'infraction, la défense s'en défend et le juge décide ce qu'il en est. Alors que faire dans les cas de conflits d'intérêts entre un pouvoir politique et une investigation qui le concerne ? Les Américains avaient cru avoir trouvé la solution avec la création d'un procureur spécial indépendant, supprimé par le Congrès après le désastre de l'affaire Clinton-Lewinsky.
La réponse est de prévoir pour les cas de problème une prééminence du juge du siège sur le parquet. C'est ce qu'avait envisagé, en 1990, la commission Delmas-Marty, qui proposait que, en cas extrême, la chambre de l'instruction ait un pouvoir de dessaisissement du parquet. En réalité, dans un pays dans lequel la presse joue un rôle d'accusateur et les parties civiles de procureurs bis, les dangers d'un asservissement du parquet au pouvoir politique sont, sinon illusoires, en tout cas moindres que son indépendance complète rejetée par la plupart des démocraties.
Notre culture judiciaire génère l'incapacité à comprendre ce que sont un juge, un représentant du parquet et un avocat : le juge ne défend personne, sauf la justice ; le parquet est l'avocat de la société, et non de lui-même ; les avocats défendent de manière effective comme le demande la cour. C'est sur cette clarification des fonctions que se fonde une justice moderne. Rien à voir avec l'oeuf judiciaire français, dont on a trop souvent observé les effets catastrophiques depuis quarante ans.
Daniel Soulez Larivière
Avocat
Le Monde 3/12/2010 |
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