samedi 15 janvier 2011

"L'un des grands dangers est l'alliance FN-droite"


LEMONDE | 15.01.11 | 14h49

 
A l'occasion du congrès du Front national (FN), les 15 et 16 janvier, qui va déboucher sur la proclamation de sa nouvelle présidente, Marine Le Pen, l'historien Michel Winock, professeur émérite à Sciences Po, analyse l'évolution de l'extrême droite française, dont il est l'un des meilleurs spécialistes. Auteur d'un livre intitulé Le XXe siècle idéologique et politique (Perrin, 2009), il revient sur les défis que pose l'émergence du "national-populisme" sur la scène politique.
Jean-Marie Le Pen quitte la présidence du Front national, qu'il occupe depuis 1972. En quoi s'agit-il d'un tournant? 

Ce qui me frappe, s'agissant de l'évolution du FN, c'est sa banalisation. Triple banalisation, en fait. D'abord une banalisation liée à une rupture du parti avec ses attaches historiques et mémorielles. Originellement, le FN était un parti résolument d'extrême droite, dont de nombreux membres avaient soutenu le régime de Vichy et la collaboration, puis l'Algérie française et l'OAS. La relève des générations, qui n'est pas nouvelle au niveau des cadres intermédiaires mais qui touche aujourd'hui le sommet du mouvement, a pour effet de brouiller l'image du FN, de rendre moins lisibles ses racines idéologiques et sociologiques.

La banalisation concerne aussi les discours et les pratiques, autrement dit la "culture politique" du FN. Il aurait par exemple été inconcevable, autrefois, qu'une femme puisse incarner l'extrême droite. C'est aujourd'hui possible. Pour une famille politique qui a toujours exalté la virilité et pratiqué le culte du chef, c'est une révolution.
La banalisation, enfin, est liée au fait que le FN n'est plus, comme dans les années 1980-1990, une exception française. Il a aujourd'hui des équivalents dans plusieurs pays d'Europe, comme en Autriche, en Italie, aux Pays-Bas, en Hongrie ou en Scandinavie, où des partis similaires obtiennent des scores comparables. En quelque sorte, l'européanisation du national-populisme dilue la spécificité du "lepénisme".

"National-populisme", dites-vous...

Le populisme n'est pas spécifiquement d'extrême droite. Le mot désigne une confiance dans le peuple, voire une religion du peuple, que l'on rencontre dans les discours de Robespierre ou les écrits de Michelet. Mais le populisme a eu tendance à se localiser à l'extrême droite, avec l'ère des masses et la démocratie parlementaire. L'extrême gauche, elle, était ouvriériste tandis que l'extrême droite tendait au populisme, sans distinction de classe.
Le FN est populiste, en ce sens qu'il est un mouvement protestataire contre les élites, contre ce que Le Pen a appelé, dans une traduction douteuse de l'anglais, "l'établissement" -, à commencer par les énarques, les intellectuels, les politiciens éloignés de la réalité populaire. C'est un national-populiste (le terme a été introduit en France par Pierre-André Taguieff), en ce sens qu'il est aussi un mouvement identitaire, nationaliste, protectionniste, xénophobe, islamophobe, antieuropéen.
Comme tous les extrémismes, il récuse la complexité du réel au profit de l'analyse et de la solution simplistes. C'est ce que l'historien Léon Poliakov a appelé la "causalité diabolique". Aujourd'hui, tout va mal, dit le FN, à cause de l'immigration, de l'euro, de l'Union européenne et de la mondialisation. Solution : la fermeture et le retour au franc. Les populismes s'adressent aux émotions et à la "psychologie des foules".

Le national-populisme perturbe-t-il les équilibres politiques traditionnels ?

On se représente traditionnellement le paysage politique sous la forme d'un demi-camembert. Je préfère pour ma part l'image du fer à cheval, que j'emprunte au philosophe Jean-Pierre Faye, qui l'utilisa à propos de la République de Weimar (1919-1933). Dans un fer à cheval, les extrêmes sont proches l'un de l'autre, il y a entre eux une sorte d'aimantation.
Je pense que cette image est pertinente pour qualifier une période comme la nôtre, mais ce n'est pas la première fois que cela se produit : le général Boulanger, Paul Déroulède ou Edouard Drumont à la fin du XIXe siècle, comme Jacques Doriot dans les années 1930, ont incarné ce rapprochement entre les extrêmes. La recette est toujours la même : elle consiste à séduire l'électorat populaire en essayant de le convaincre que les solutions de l'extrême droite - à commencer par la préférence nationale et le rejet de l'étranger - sont les bonnes pour résoudre ses problèmes. Ce phénomène se produit toujours dans un contexte de crise économique et de forte montée du chômage : la grande dépression des années 1880-1890, les lendemains du krach de 1929, la fin des "trente glorieuses", et aujourd'hui la crise financière mondiale.

Comment peuvent réagir les partis traditionnels dans un tel contexte ?

Il peut y avoir trois attitudes. L'une est de faire du populisme contre le populisme. Un tel discours peut être de gauche comme de droite. Quand Jean-Luc Mélenchon publie un livre intitulé Qu'ils s'en aillent tous ! (Flammarion, 2010), on pense au fameux slogan utilisé par Pierre Poujade dans les années 1950 : "Sortez les sortants !"
A gauche, il existe une tradition, la défense républicaine. Quand le régime est menacé, les républicains se rassemblent au-delà de leurs divisions. C'est ce qui s'est passé au moment du boulangisme, quand certains socialistes - à l'époque les partisans de Paul Brousse et de Jean Allemane - se sont mobilisés pour la République alors que d'autres - les "blanquistes" et les "guesdistes" - étaient séduits par Boulanger. C'est ce qui s'est passé au moment de l'affaire Dreyfus. C'est encore ce qui s'est passé avec le Front populaire, en 1936, quand les communistes se sont alliés aux socialistes et aux radicaux face au danger fasciste. C'est, enfin, ce qui s'est produit en 2002, quand Jacques Chirac et Jean-Marie Le Pen se sont retrouvés au second tour de l'élection présidentielle.
Cela dit, la stratégie de défense républicaine ne fonctionne pas à tous les coups : en 1958, par exemple, l'isolement du Parti communiste, lié au contexte de guerre froide, a empêché la gauche de faire front commun face au retour du général de Gaulle. La défense républicaine, aujourd'hui, peut prendre la forme de "discipline républicaine" dans les seconds tours d'élection.
La troisième attitude est la tentation qui concerne plus spécifiquement la droite : face à la montée de l'extrême droite, elle peut être intéressée par une alliance avec elle. Le risque est d'autant plus fort que la droite parlementaire est affaiblie : on l'a vu aux élections régionales de 1998 avec ce qui s'est passé en Rhône-Alpes, en Picardie, en Languedoc-Roussillon, en Bourgogne et dans le Centre. La possibilité de voir de telles alliances se nouer à nouveau est, à mon avis, l'un des grands dangers aujourd'hui. D'autant plus que l'on voit bien que toute une partie de l'électorat UMP se retrouve dans une idée que défend le FN depuis toujours : la peur des immigrés et l'islamophobie.

A ce propos, comment analysez-vous les récentes déclarations de Marine Le Pen contre les prières de rue des musulmans ?

C'est très habile de sa part. D'un côté, elle parle à un électorat de droite qui juge que l'islam est une menace pour l'identité nationale. De l'autre, elle peut toucher un électorat de gauche pour qui la laïcité est une valeur fondamentale de l'identité républicaine. De ce point de vue, c'est une nouveauté. Même s'il a toujours existé une tradition antireligieuse - notamment néopaïenne - au sein de l'extrême droite, cette défense de la laïcité a de quoi étonner. Avant 1914, et encore entre les deux guerres, dans la mesure où elle s'opposait à un régime républicain qui incarnait la laïcité face au cléricalisme, l'extrême droite n'avait aucun intérêt à défendre celle-ci. Au contraire, elle avait tout intérêt à s'opposer à la laïcité pour séduire l'électorat catholique.
Aujourd'hui, l'extrême droite use d'une pirouette qui consiste à utiliser l'arme historique de ses adversaires - la laïcité - à ses propres fins. Apparemment, cela n'est pas inefficace, comme le montrent les récents apéritifs géants où se côtoient des militants d'extrême droite et des laïcs qui se disent de gauche.

Vous avez évoqué le second tour de la présidentielle de 2002. Un tel scénario peut-il se reproduire en 2012 ?

A mes yeux, tout est possible. Première possibilité : Nicolas Sarkozy est tellement impopulaire qu'il ne parvient pas au second tour, et alors un scénario de type 2002, mais à l'envers cette fois, se produit. L'accession de Marine Le Pen à la présidence du FN représente ainsi un danger bien plus grand pour la droite que ne l'aurait été Bruno Gollnisch, qui n'a pas le même charisme, pas non plus la même image rassurante, et donc pas le même potentiel électoral.
Deuxième possibilité : une répétition de 2002. C'est envisageable si la gauche arrive atomisée au premier tour. Ce qui est malheureusement très possible, compte tenu des institutions de la Ve République. En faisant de l'élection présidentielle le rendez-vous majeur de l'agenda politique, notre Constitution implique que, pour exister, toute formation politique doive présenter un candidat à la présidentielle. Le multipartisme de gauche pourrait lui être fatal encore une fois.
Pour le Parti socialiste, c'est extrêmement compliqué, dans la mesure où le seul candidat aujourd'hui crédible - Dominique Strauss-Kahn - est en même temps celui qui est le plus rejeté par une partie de la gauche. Et donc celui dont la présence peut le plus favoriser cette atomisation qui a empêché la gauche d'arriver au second tour en 2002.

Propos recueillis par Thomas Wieder

12 commentaires:

  1. EXCELLENT LE LIEN SUR LA SACOMI EH BIEN ON APPREND BEAUCOUP CHOSE !!!!!!!!
    qu en pensez vous mr alpern je pense que vous etiez au courant peut etre?????????

    RépondreSupprimer
  2. A la lecture du dernier article sur un blog du microcosme politique héninois (dont je tairai le nom par charité), certaines personnes ont tendance à croire que le fort est celui qui a le plus de pouvoir "majoral", qui a réussi à rassembler des partis politiques forts autour de lui , qui donc peut imposer ses opinions et distribuer des bons points aux élèves rentrés dans le rang, mais est-ce bien le cas ? Je considère moi que les forts pourraient être ceux qui se battent au niveau des idées et qui parviennent à convaincre les gens par la force de leur esprit. Je considère que la vraie force est l'individu lui- même.Mon grand père avait l'habitude de me dire que l'individu doit respecter deux principes : l'honneur et la parole.Et qu'un homme qui n'a plus de parole ne vaut pas mieux qu'une bête..... Malheureusement notre monde est un monde d'illusions et d'imposteurs,un monde où pour arriver à ses fins il est de bon aloi ne pas avoir de préjugés et de conscience.....On pourra toujours se justifier en invoquant le fait qu'il n'y a que les imbéciles qui ne changent pas d'avis ou que le jeu consiste à s'infiltrer à l'intérieur pour combattre un ennemi plutôt que de mener des attaques de l'extérieur au risque de l'exclusion......une chose est certaine, personne n'est dupe de la manœuvre politicienne, du volte face et de l'envoi de signes peu rassurants à un électorat potentiel...
    Alors êtes vous prêt au titre d'une mission à endosser une éventuelle écharpe de la honte ?
    Pas moi, je préfère vivre dans l'exil et l'errance de la petite militante accrochée à ses certitudes.
    Et si un jour vous voulez reprendre l’initiative, ce sera en osant avoir des convictions et en osant défendre sans ambiguïté certains fondamentaux.
    Ainsi, je ou plutôt nous serons très attentifs à vos prises de positions, en espérant que le renouveau dont vous voulez faire une marque de votre passage soit une réalité.Ou alors vous endosserez à titre individuel une responsabilité collective, la désignation de bouc émissaire....
    Je vous reconnais le mérite d'avoir au moins choisi une méthode face au fonctionnement d'un système particulièrement bien rodé,et très fortement protégé.Mais le choix même de la méthode implique dès l’origine soit votre soumission au système présent, soit la violence d’un changement brutal....
    En conclusion, le seul moyen n’est à mon avis ni de nager contre le courant, ni même de suivre ce courant. Il faut se laisser porter sans perdre sa volonté, en tentant d’utiliser les moyens qui ne répugnent ni à notre morale, ni ne force nos actes. Se préparer pour le jour où la source sera tarie, et les évènements favorables. Tenter d’éveiller les consciences tout en préparant, avec toute la bonne volonté et tous les moyens possibles, pour l’occasion qui ne manquera pas de se présenter. Le seul impératif sera d’être prêt pour ce jour, car les héninois et héninoises auront besoin de se reconstruire un avenir. Il faudra alors être en mesure de proposer une autre alternative.
    Signée ""Alerte Orange".

    RépondreSupprimer
  3. c'est quoi le lien SACOMI.
    merci

    RépondreSupprimer
  4. pour ceux qui regardent et qui écoutent "on n'est pas couché",sur la 2.
    quel bonheur, cet homme politique hyper intelligent et plein d'humour.quel dommage que l'image du M.R.C.,soit ternie par quelques ripoux du 62 et quelques élus de l' A.R.
    ce grand homme d'état,plusieurs fois ministre ne mérite pas qu'on salisse son mouvement.
    quand je le compare à sarko,j'ai envie de vomir.

    RépondreSupprimer
  5. Qu'ils s'en aillent tous fait référence aux révolutions démocratiques en Amérique latine...

    RépondreSupprimer
  6. Lien SACOMI...

    On ne pourrait pas en faire une article Mr Alpern ?

    -------------------------------
    En PDF, sur lien Megaupload

    "La Bataille des Corons"

    Lire à partir de la page 134

    http://www.megaupload.com/?d=2LCQ7WST

    Extrait : "Ajoutons enfin que la mise en examen de Jean-Pierre Kucheida pour prise illégale d’intérêts et complicité d’abus de confiance, suite au rapport de l’Inspection Générale des Finances sur la gestion de la Sacomi..."

    Il faut connaitre le passé pour imaginer l'avenir....

    Vous avez toutes les références aux articles de presse de l'époque...

    Rapprochement CALL - CAHC ????

    RépondreSupprimer
  7. Quelqu'un connait la compagnie qui a exfiltré Ben Ali de Tunisie ?

    Laissez chauffer les moteurs...on vous envoie le PS62....

    Messieurs, Mesdames, présentez-vous à l'embarquement, nous les vrais socialistes on a du boulot pour réparer vos c...ries

    "La Bataille des Corons"

    http://www.megaupload.com/?d=2LCQ7WST

    RépondreSupprimer
  8. Anonyme de 13H46

    Le lien que vous indiquez ne semble pas le bon.

    Par contre j'ai trouvé cet intéressant rapport sur le lien suivant:

    "http://mastersciencepo.univ-lille2.fr/fileadmin/user_upload/master2_spap_recherche/memoires/desagef_1999.pdf"

    C'est effectivement à creuser, notamment l'extrait que vous citez...
    Merci!

    RépondreSupprimer
  9. Bonjour Monsieur Alpern

    La fin du lien n'apparait jamais sur le blog mais le lien megaupload fonctionne toujours

    il suffit de le taper "http://www.megaupload.com/?d=2LCQ7WST" directement dans la fenêtre du navigateur et d'attendre 50 secondes puis le fichier est proposé en téléchargement (accepter le téléchargement)

    Autre méthode, en fait il suffit de taper "La bataille des corons" sur google.

    Il s'agit d'un mémoire écrit par Fabien Desage.

    Fabien Desage et Frédéric Sawicki ont également, entre autres, dénoncé le montage du Grand Stade à Lille

    http://www.rue89.com/municipales-2008/grand-stade-de-lille-la-democratie-nen-sort-pas-grandie

    Il s'agit d'un mémoire oublié mais qui ressort maintenant à point pour nous rafraîchir la mémoire à tous.

    Si on considère que ce sont les erreurs du passé qui nous empêchent de commettre celles de l'avenir, ce mémoire mérite d'être exhumé, à la lumière de tout ce qui ce passe aujourd'hui.

    Je trouve que la plus grande publicité devrait être faite afin que tous ceux qui n'ont pas connu cette époque se rendent compte ou on est tombé.

    Le nom des protagonistes est aussi évident, il est facile de se rendre compte que la vieille équipe s'est reformée mais surtout que 20 ans plus tard, on persiste et on signe !!!!

    Sans une décision politique au plus haut niveau de séparer justement la politique des affairistes et supprimer le cumul des mandats, on ira droit dans le mur en 2012 !!!

    Après "Bienvenue chez les chtis", on risque de devenir célèbres dans tout le pays en devenant les fossoyeurs de la Présidentielle 2012 parce qu'on aura pas su se séparer à temps des Ben Ali et Gbagbo du PS62.

    Je me demande comment Madame Aubry peut prendre de tels risques et pour quelles obscures raisons ?

    Complice ou Coupable ?

    RépondreSupprimer
  10. A Lire !!!!!

    http://www.lavoixdunord.fr/actualite/L_info_en_continu/Artois/2011/01/16/article_h-eacute-nin-beaumont-steeve-briois-devi.shtml

    Steeve Briois secrétaire du FN mais surtout centralisation à Hénin des organes de commandement !!!!

    Les élections internes sont finies, La troupe se reforme et va attaquer....Devinez OU ?

    Voir l'article d'anonyme de 18:01, si on ne met pas de l'ordre chez nous tout de suite, on va droit dans le mur !!!!

    Les caciques du PS62 ne pourront pas cacher plus longtemps toutes leurs magouilles.

    Ils sont vraiment le talon d'achille du PS pour 2012 !!!

    RépondreSupprimer
  11. Anonyme de 18H01: je me propose de faire un résumé du rapport Sawicki pour l'édification de tous. Encore une fois, merci!

    RépondreSupprimer
  12. Merci Mr Alpern,

    ce serait une excellente idée en fait car plus digeste...

    Il est également remarquable que de nombreuses personnes citées dans ce rapport émargent 20 ans plus tard en "conseillers" "chargés de mission indépendants" ou tout simplement à la Direction de la Soginorpa... après un petit passage au purgatoire entre deux....

    La aussi, il y aurait lieu que la CRC examine les frais de personnel mais surtout les factures de "conseil" ....

    Comme dab, on va encore tenter de licencier pour diminuer la masse salariale...

    Enfin, les amis de mes amis étant mes amis.....

    Il faut bien (sur)vivre....

    RépondreSupprimer