dimanche 6 mars 2011

Faut-il intervenir contre le colonel Kadhafi ?

 

Editorial Le Monde du 7 mars 2001



Faut-il intervenir militairement en Libye ? Le pays est entré dans la guerre civile. Depuis quelques jours, les forces du colonel Kadhafi tentent de reconquérir le terrain gagné par une opposition disparate, inorganisée mais décidée à en finir avec un dictateur déséquilibré, depuis quarante et un ans à la tête de ce petit pays du Maghreb. Les premières sont retranchées dans la capitale, Tripoli, et alentour ; l'opposition tient l'est du pays, notamment la ville de Benghazi. Le conflit peut durer. Il peut être sanglant.
Le colonel Kadhafi a prouvé ces dernières semaines qu'il n'hésitait pas à faire tirer à la mitrailleuse lourde sur sa population. Plusieurs centaines de Libyens ont déjà trouvé la mort sous les balles de ses miliciens et de ses mercenaires. Il dispose d'avions et d'hélicoptères qui peuvent bombarder les bastions de l'opposition. Même s'il s'est débarrassé en 2009 de ses stocks d'armes de destruction massive, sans doute a-t-il gardé quelques armes chimiques...
Une guerre civile pourrait avoir des effets déstabilisateurs durables dans un pays grand comme trois fois la France, que borde la Méditerranée au nord et, au sud, cette zone saharienne trouble, sensible, là où sévit Al-Qaida. Or la Libye - 6 millions d'habitants - est un Etat fragile, récent. Avant que les envahisseurs italiens ne l'unifient, dans les années 1920, le pays était divisé en trois grandes provinces, taillées du temps de l'Empire ottoman : la Tripolitaine, la Cyrénaïque, le Fezzan. Le pays est peuplé de musulmans sunnites, mais divisé en tribus. L'administration centrale y est faible, pour ne pas dire inexistante. Le risque de " somalisation " existe.
Cet ensemble de raisons, à la fois humanitaires et stratégiques, pose la question d'une intervention militaire. Fin février, le Conseil de sécurité de l'ONU, unanime, a appelé à l'isolement du régime Kadhafi : saisie des biens de la famille et des fidèles du dictateur à l'étranger ; embargo sur les armes à destination de la Libye ; saisine de la Cour pénale internationale sur d'éventuels crimes de guerre imputables à la soldatesque au service du régime.
Faut-il aller plus loin ? Décréter, comme le suggèrent certains, une zone d'exclusion aérienne au-dessus du territoire libyen pour empêcher Kadhafi d'utiliser ses avions et ses hélicoptères ? L'insurrection libyenne ne demande rien d'autre. A l'ONU, Chinois et Russes y sont opposés, par principe. Ni l'Union africaine ni la Ligue arabe, les deux organisations régionales concernées, ne le réclament.
Américains et Européens font valoir la difficulté d'une telle opération. Déclarer une zone d'exclusion aérienne est un acte de guerre, vient de rappeler Washington. Il suppose d'aller, au préalable, bombarder la défense antiaérienne libyenne et requiert, ensuite, un dispositif considérable pour surveiller un espace aérien aussi large.
Les Etats-Unis, la France, la Grande-Bretagne ont raison de manifester prudence et réserves. Mais ils ont raison aussi de ne vouloir rien exclure. Le colonel Kadhafi est imprévisible, mais il nous a appris une chose : il est capable du pire.

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