dimanche 5 juin 2011

"La binationalité a été contestée par l'extrême droite dès le début du siècle dernier"


 Interview de Patrick Weil, directeur de recherche au CNRS et spécialiste de l'immigration.

LeMonde.fr. 3/6/11

Le Front national et une partie de la majorité de Nicolas Sarkozy aimeraient faire de la binationalité un thème de débat. En réaction, des voix se sont élevées, à gauche mais aussi à droite, contre cette résurgence d'un thème mis en avant de longue date par le parti de Marine Le Pen.
Patrick Weil, directeur de recherche au CNRS et spécialiste de l'immigration, a été auditionné en janvier 2011 par la mission d'information sur le droit de la nationalité, dont le rapporteur, l'UMP Claude Goasguen, a proposé des limitations des droits des binationaux. Auteur d'Etre français, les quatre piliers de la nationalité (Editions de l'Aube), Patrick Weil rappelle que face aux critiques la France a toujours considéré qu'il était dans son intérêt de permettre la double nationalité.


D'où vient en France l'opposition à la double nationalité ?
Cela a toujours existé, car la France a été au départ le seul pays à accepter la double nationalité, vers le début du XXe siècle, avec le Royaume-Uni, même si la plupart des grands pays les ont aujourd'hui rejoints.
Bien avant que le Front national ne s'y oppose, la binationalité a été contestée par l'extrême droite, dès le début du siècle dernier, et a notamment mobilisé l'Action française pendant la IIIe République. Leur argument était que ces binationaux étaient supposément des traîtres au service d'un autre pays. Pour l'Action française, les "métèques" étaient, avec les juifs, les protestants et les francs-maçons, une des quatre puissances confédérées, soupçonnées de vouloir détruire le pays.

Quelle a été la position française vis-à-vis des binationaux ?
Malgré ces critiques, la France a toujours considéré que c'était son intérêt d'accepter la binationalité. Elle a considéré que mettre une condition exclusive à l'obtention de la nationalité française reviendrait à se mettre sous la dépendance du pays d'origine [qui devra autoriser le demandeur de la nationalité française à perdre sa nationalité d'origine]. Or, la France veut pouvoir accorder une nationalité à quelqu'un de son propre chef, sans suspendre sa décision au bon vouloir d'un autre autre pays. La France a vu là une question de souveraineté et se montre donc indifférente à l'autre nationalité.
A l'issue de la seconde guerre mondiale, après le retour de l'Alsace-Moselle dans le territoire français, des colons allemands installés en Alsace ont voulu devenir français tout en restant allemands. La France l'a accepté, en considérant que c'était son intérêt.
La binationalité n'était pas vue comme une menace. Notons d'ailleurs que si celle-ci devait constituer une menace, le Code civil prévoit la déchéance de nationalité pour le Français qui "se comporte comme le national d'un pays étranger". Une disposition très rarement appliquée.

Aujourd'hui, le Front national et des députés UMP de la Droite populaire prônent à nouveau la suppression de la binationalité...
Je note que Thierry Mariani, un des membres de cette Droite populaire, ambitionne de briguer aux législatives une des circonscriptions des Français de l'étranger. L'UMP a fait créer des circonscriptions pour ces Français, qui ont souvent une double nationalité : a-t-elle vraiment l'intention d'y faire un tri entre les citoyens binationaux et les autres et de les mettre dans un fichier, comme le suggère le député UMP Claude Goasguen ?

Mais Thierry Mariani s'est prononcé contre la limitation des droits des binationaux...
Il y a un double discours : selon que les binationaux se trouvent à l'étranger ou en France. Mais cela ne marche pas en droit français... Rappelons surtout que l'essor du nombre de binationaux est au niveau mondial une conséquence directe de l'avancée de l'égalité homme-femme : jusque dans les années 1950, les femmes qui se mariaient perdaient leur nationalité, ce qui n'était pas le cas pour leur mari. Aujourd'hui, elles la conservent et la transmettent. L'UMP souhaite-t-elle revenir là-dessus ?

La France ne fait-elle pas figure d'exception, alors que l'Allemagne refuse la binationalité ?
Au contraire, c'est l'Allemagne qui est de plus en plus isolée. La plupart des grands pays, qui refusaient la binationalité, ont fini par l'accepter. Et l'Allemagne elle-même a fait un grand pas : elle accepte la binationalité pour les enfants dont un des parents n'est pas de nationalité allemande. Les enfants nés en Allemagne de parents étrangers ont eux la nationalité allemande jusqu'aux alentours de leur majorité. Ils doivent ensuite choisir, mais nul doute que lorsqu'ils atteindront l'âge de leur majorité, ces enfants contesteront cette obligation de choisir devant la Cour suprême allemande et la Cour des communautés européennes, avec de bonnes chances de l'emporter.
Aujourd'hui, ce ne sont plus les Etats qui peuvent donner ou retirer la nationalité selon leur bon vouloir. La nationalité est devenue un droit de l'homme.

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