vendredi 15 juillet 2011

Sur l'immigration, l'UMP agit comme s'il fallait droguer l'opinion "


8/7/2011
Patrick Weil, historien, chercheur au CNRS, professeur associé à l'université de Yale (Etats-Unis), est spécialiste des questions d'immigration. Il est notamment l'auteur d'Etre français, les quatre piliers de la nationalité (L'Aube, 36 pages, 5 euros).


Quel est votre sentiment sur la convention de l'UMP consacrée à l'immigration ?

Le parti de M. Sarkozy semble vouloir faire de l'immigration un thème central de sa campagne présidentielle, indépendamment des résultats que cette politique a obtenus jusqu'à présent. Lors de la première convention de l'UMP sur ce thème en 2005, Nicolas Sarkozy avait promis " la rupture " avec une immigration " choisie ". Il a fait croire qu'il pourrait remplacer l'immigration familiale ou d'asile par l'immigration de travail. Il a aussi promis une sélection des immigrés par quotas d'origine géographique, sur le modèle de la politique américaine de l'entre-deux-guerres, abandonnée depuis longtemps.
Il y a échoué. Pire, Claude Guéant s'est déclaré ouvertement hostile à une immigration du travail, rompant ainsi avec la politique qu'il avait lui-même mise en place. La convention de l'UMP n'a donc d'autre intérêt que de signaler la tension permanente qu'elle veut maintenir. Comme si l'UMP pensait qu'il fallait droguer l'opinion à ce sujet en lui fournissant une dose de substance, chaque semaine, différente.


Avez-vous constaté une évolution de la politique d'immigration depuis 2007 ?

Je vois deux points principaux d'évolution : le rattachement de tout ce secteur - des visas aux naturalisations en passant par l'asile politique - au ministère de l'intérieur, vieil objectif de Nicolas Sarkozy. Et la " désintégration " de la politique de la nationalité. Le gouvernement a attribué aux préfets un pouvoir de veto sur les dossiers de naturalisation déposés dans leurs départements, permettant que se mettent en place des politiques différentes selon que l'on habite Nice, Saint-Denis, Strasbourg ou Pointe-à-Pitre. Ce pouvoir des préfets était en vigueur avant-guerre et avait été supprimé par le général de Gaulle à la Libération.
Que les objectifs principaux de Nicolas Sarkozy aient échoué ne signifie pas qu'ils n'ont eu aucun effet. Les préfets ont reçu la consigne de maltraiter les dossiers de regroupement familial ; les immigrés en situation légale ont été fortement déstabilisés, en étant de plus en plus soumis à des renouvellements annuels de leur carte de séjour.


Parmi les nouveaux thèmes brandis par la majorité : la binationalité. Qu'en pensez-vous ?

Les Français d'origine étrangère ont déjà été visés par Nicolas Sarkozy dans son discours de Grenoble, l'an passé. Il a parlé de " cinquante années d'erreurs de la politique d'immigration ", insinuant ainsi qu'il regrettait que de Gaulle et Pompidou aient fait venir des immigrés d'Afrique et de Méditerranée, comme s'il semblait dire à nos compatriotes issus de cette immigration : " vous êtes là, légalement, je n'y peux rien. Mais si j'avais pu, vous ne seriez pas là ".
La France a été longtemps, avec le Royaume-Uni, le seul pays à accepter la double nationalité. Elle n'en avait cure, elle y voyait son intérêt, elle avait confiance en elle. M. Sarkozy ne donne jamais l'impression qu'il a confiance en la France. Le paradoxe est que nous étions en avance sur notre temps, car, aujourd'hui, la multi-nationalité s'est développée. D'abord du fait de l'égalité hommes-femmes : les femmes qui perdaient leur nationalité lorsqu'elles épousaient un homme d'une autre nationalité la conservent dorénavant et leurs enfants héritent de leur nationalité. Ensuite, un Français garde sa nationalité quand il se naturalise à l'étranger : c'est l'intérêt de la France, de son influence dans le monde.
Pour ces Français de l'étranger souvent bi ou multi-nationaux, l'UMP a d'ailleurs pour la première fois fait créer onze sièges de députés. C'est pour les avoir oubliés, ces Français de l'étranger, que M. Goasguen a dû pour l'instant abandonner ses propositions absurdes ou dangereuses d'interdiction de la double nationalité ou d'inscription des doubles nationaux sur des registres.


Autre débat porté, cette fois, par M. Guéant : l'assimilation. Ce concept est-il viable en France?

Dans notre République, chacun aspire à l'assimilation, c'est-à-dire à être traité de façon similaire, de façon égale en droit, sans -distinction, d'origine, de classe, de couleur, de religion, notamment par le ministre chargé de faire respecter les lois. Or M. Guéant, depuis qu'il est ministre de l'intérieur, ne cesse de faire des distinctions entre Français, selon leur religion ou leur origine. Il viole ainsi l'un des piliers de notre République, le principe d'égalité, qui a toujours été pour la France le principal facteur d'intégration nationale.
La France s'est construite autour de piliers assimilants et unifiants - égalité, laïcité, langue et mémoire positive de la Révolution - qui ont été mis en oeuvre dans le respect de notre diversité, et sont aussi une marque de notre histoire. Que M. Guéant s'applique donc à lui-même le principe d'assimilation qu'il reproche aux autres de ne pas respecter, c'est le meilleur service qu'il puisse rendre à la République. 

Propos recueillis par Samir Hamladji
© Le Monde

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