Spécialistes de l'extrême droite, Caroline Monnot et Abel Mestre, journalistes au " Monde ", décryptent les divers jeux d'influence qui se tiennent autour de la présidente du Front national
Le Système Le Pen
Enquête sur les réseaux du Front national
Denoël, 208 p., 14,50 ¤. Sortie le 8 septembre
Quelques extraits:
Quand on travaille sur Marine Le Pen, il y a un double piège à éviter. Reprendre le discours frontiste qui consiste à expliquer en quoi " le FN n'est plus d'extrême droite ". Ou reprendre les slogans des années 1990 qui dressaient un parallèle avec les " fascistes " et les " nazis ". Comme souvent, la vérité se situe dans un entre-deux, chez ces hommes qui évoluent dans une zone grise où se mêlent modérés et radicaux, assimilationnistes et racialistes, étatistes et partisans d'une " grande Europe de Brest à Vladivostok ", admirateurs de " Marine " et apparatchiks cyniques. (...) De sa jeunesse d'étudiante en droit à l'université d'Assas, Marine Le Pen a conservé des amitiés sulfureuses. Frédéric Chatillon, président, à partir de 1991, du GUD, est de celles-ci. A l'époque, c'est-à-dire au début des années 1990, la jeune fille appartient au Cercle national des étudiants de Paris, organisation plus " convenable " car plus sage - mais toutefois proche du FN. (...) Frédéric Chatillon marque alors son époque. Il est plus qu'un président du GUD, il est le GUD. Dans l'esprit : culte du corps, pratique des arts martiaux, violence, antigauchisme primaire, goût prononcé pour la provocation. Mais aussi dans l'ascendant qu'il exerce sur ses semblables : chef de bande, c'est lui qui fait prendre au GUD un tournant dit " antisioniste " radical - il travaillera d'ailleurs dans une librairie diffusant des écrits négationnistes et néonazis. Comme d'autres gudards, il s'est engagé aux côtés des nationalistes croates, au début des années 1990. Aujourd'hui âgé de 43 ans, Frédéric Chatillon dirige Riwal, une entreprise de communication qui travaille essentiellement avec le FN. Pour le reste, il n'a pas beaucoup changé. Il adore l'humour potache et veille, comme un " grand frère ", aux destinées du GUD. (...) Frédéric Chatillon, fervent supporteur du Hezbollah, a des amitiés syriennes haut placées et solides. Quand la contestation a commencé à gagner en Syrie, fin mars 2011, il a apporté son soutien au régime de Bachar Al-Assad en ces termes : " Le lobby sioniste (aux ordres duquel est la presse française) rêve de déstabiliser votre magnifique pays. Tous ceux qui participent directement ou indirectement à ces manifestations se font complices de ce lobby - Page Facebook du groupe We Are Syria, 26 mars 2011 - . " Un peu plus tard, en juin, à mesure que le pouvoir syrien s'enfonçait toujours plus dans la répression violente, il a même créé le site Infosyrie.fr, organe " de réinformation " au profit du régime syrien. (...) Reprendre la recette mégrétiste et y apposer la marque " Le Pen ", voilà l'enjeu pour la nouvelle présidente. Entourée d'anciens partisans de Bruno Mégret, Marine Le Pen a donc fait de la " dédiabolisation ", qu'elle s'est appropriée, un axe majeur de sa stratégie électorale. Et dit ne pas vouloir se faire piéger par le paradoxe Mégret. " Probablement que Bruno Mégret faisait le même constat que moi : la diabolisation est un plafond ", reconnaît-elle. Un plafond à quoi ? A la progression électorale du FN. Laquelle sert un but : arriver au pouvoir. L'idée, dans l'immédiat, n'est pas de passer des alliances avec la droite. Mais bien de faire exploser la majorité présidentielle. Et de ramasser une partie des morceaux d'une UMP détruite. En somme, il s'agit d'affaiblir l'UMP jusqu'à rendre possible son éclatement pour se poser, alors, en force alternative, voire en force de substitution. Pour y parvenir, le FN doit se transformer en un " parti crédible " et surtout " normalisé ", devenir " attractif " aux yeux d'éventuels transfuges, aujourd'hui élus de la droite classique. " Petit à petit, ça viendra. On est au début d'un processus lent. On doit revenir sur vingt ans de diabolisation. Les gens s'habituent à voter pour nous. Parmi nos électeurs, beaucoup ne reviendront jamais à leur famille politique d'origine, assure Louis Aliot. L'UMP a un grave problème. Ils sont victimes de leur inaction. Et la nature a horreur du vide. " (...) Le " nouveau FN " considère les élections législatives de 2012 comme son vrai rendez-vous, misant sur un piètre score de Nicolas Sarkozy à la présidentielle. Le parti pourra alors exercer une pression maximale sur les élus de la droite parlementaire. Ses bons scores aux cantonales de mars 2011 l'ont confortée. " Les états-majors des partis ont compris qu'il y a un seuil au-delà duquel la résistance à notre progression ne sera plus possible ", s'est convaincue la présidente du FN. (...) La défense de la laïcité présente bien des avantages pour le parti d'extrême droite. Fini les accusations de xénophobie, ce n'est pas à l'immigré, à l'étranger que l'on s'attaque, mais à " l'islamiste ", au nom des valeurs de la République. Pour les marinistes, il y a un vide politique autour de cette question que leur championne entend occuper, et le plus vite possible. (...) Ainsi, les frontistes entendent bien faire le lien entre les vieilles revendications du FN - la lutte contre l'immigration - et le nouveau ton porté par Marine Le Pen, le social et " l'islamisation ". (...) Il fut un temps où l'ennemi de l'extrême droite était le " Juif ". Décrit comme une " cinquième colonne ", au service de " forces étrangères et apatrides ", des " internationales capitalistes et marxistes ". Aujourd'hui s'est substituée à cette figure haïe celle du " musulman ". Dans les mêmes outrances, avec les mêmes amalgames. Ainsi, un communiqué de presse, signé de Marine Le Pen et diffusé en septembre 2010, est passé totalement inaperçu. Intitulé " Pour les apatrides, la France doit devenir "chariacompatible" ", la future candidate à l'élection présidentielle y fustigeait la " finance islamique " et ses complices, à savoir " les institutions internationales (ONU, G20...) - qui - soutiennent discrètement l'installation de la charia dans notre nation peuplée d'irréductibles Français qui refusent de se soumettre au courant mondialiste ". |
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