Rappel: Benoit Collombat et David Servenay, 2 grands reporters, auteurs de nombreuses enquêtes à succès) publient, jeudi, un livre qui fera date dans l'histoire du PS du Nord et du Pas-de-Calais, mais également au niveau national. Le livre s'intitule "La Fedé. Comment les socialistes ont perdu le Nord." (Edition du Seuil).
Devant l’écho médiatique suscité par notre article, la fédération PS du Pas-de-Calais nous poursuit en diffamation. L’auteur de Rose Mafia a fait également l’objet de poursuites judiciaires. D’un côté, le PS ne peut laisser passer de telles accusations sans réagir, à quelques mois de l’élection présidentielle. Martine Aubry, en personne, conseille à la première secrétaire de la fédération socialiste du Pas-de-Calais, Catherine Génisson, de prendre comme avocat maître Yves Baudelot, un ténor du barreau qui a jadis défendu le parti dans l’affaire Urba (AA: affaire de financement politique PS au grand retentissement et qui fut à l'origine de l'interdiction de financement des partis par des des entreprises). De l’autre, la première secrétaire du PS veut donner un grand coup de balai dans les pratiques clientélistes et se débarrasser de Daniel Percheron et de ses barons (AA: c'est à mettre à l'actif de M.Aubry...). À la demande de Catherine Génisson, la direction du parti lance une commission d’enquête interne sur le fonctionnement de « la fédé », présidée par l’ancien ministre de la Défense Alain Richard. Lors de notre procès en diffamation, outre Gérard Dalongeville qui confirme ses accusations lancées sur procès-verbal (mais non encore confirmées par l’enquête judiciaire), nous faisons citer de nombreux témoins à la barre : un chef d’entreprise racketté, un ancien élu socialiste « lanceur d’alerte » sur les dérives locales, un jeune élu soucieux de rénover les pratiques politiques et qui s’est fait éjecter par la fédération…AA : dans l’ordre, il s’agit de Laurent Bocquet, Alain Alpern et Pierre Ferrari.
Sollicité par nos soins, Arnaud Montebourg, député de Saône-et-Loire, secrétaire national chargé de la rénovation au PS (pas encore ministre dans le gouvernement Ayrault), accepte aussi de témoigner. Il confirme par écrit avoir été informé « de dysfonctionnements graves et répétés dans la gestion de la Soginorpa, société de gestion des logements miniers, également dans la gestion de la société d’économie mixte Adévia, ainsi que dans la gestion de la Centrale foncière régionale », des structures contrôlées directement ou indirectement par Jean-Pierre Kucheida. Il révèle également s’être appuyé sur l’article 40 du Code de procédure pénale pour dénoncer au procureur de Lille des infractions qui intéresseraient les enquêtes en cours. AA : j’avais pris contact à plusieurs reprises avec A. Montebourg et lui avais écrit une lettre ouverte paru sur le présent blog : http://alpernalain.blogspot.fr/2011/03/lettre-ouverte-arnaud-montebourg.html
Je regrette que Montebourg n'ait fait état de tout cela que 6 mois après, au moment où les histoires de cartes bleues commencent à sortir (j'avais communiqué les relevés de CB à différents médias; seuls, dans un premier temps, Le Point et les Inrocks s'en sont saisis, au grand dam des autres...)
9 mai 2012, quatre jours après l’élection de François Hollande à l’Élysée, la fédé obtient «moralement » gain de cause : le tribunal condamne Les Inrockuptibles à un euro de dommages et intérêts (1), et à quatre mille euros de frais de justice. Le jugement est immédiatement mis sur le site Internet de la fédé, et même envoyé à certains de nos témoins, si d’aventure ils n’avaient toujours pas compris de quel côté il fallait se ranger.
Le 21 mai 2012, Jean-Pierre Kucheida, ardemment soutenu par la première secrétaire de la fédération, écrit aux militants de sa circonscription. Il s’insurge contre le fait que le PS ne lui ait pas accordé son investiture, tout en présentant notre enquête comme faisant partie d’une «campagne politico-médiatique» organisée contre lui. Inutile de préciser que nous n’avons participé à aucun complot « anti-Kucheida » (qui ne nous a pas poursuivis AA: pas plus que moi, malgré les menaces qu'il m'a fait transmettre dont un "j'aurai sa peau" digne du personnage) mais simplement exercé notre métier de journaliste. Nous avons enquêté sur « les affaires » de la gauche, comme nous l’avons déjà fait, à de multiples occasions dans nos médias respectifs, sur les turpitudes de la droite.
(1). Le tribunal retient que, même si la Fédération n’était pas directement visée par les propos diffamatoires qui, de fait, ne visaient que des personnes qui n’ont pas estimé utile d’engager une action de leur côté, l’ensemble rejaillirait sur la Fédération. Et il aurait appartenu, selon le tribunal, aux journalistes, d’interroger la présidente de la Fédération, pour pouvoir établir leur bonne foi.
Par ailleurs, le journal qui publie notre enquête ne passe pas pour être particulièrement hostile au PS, c’est le moins que l’on puisse dire. Le banquier d’affaires Matthieu Pigasse, propriétaire des Inrocks, est un proche des socialistes, en général, et de Dominique Strauss-Kahn, en particulier. Une situation qui va se retourner contre nous. Malgré notre insistance auprès de sa direction, le journal ne souhaite pas faire appel du jugement. Ce que nous ne pouvons faire nous-mêmes, puisque nous avons bénéficié d’un vice de procédure qui nous « sort » de l’affaire. Le président-directeur général des Inrockuptibles, David Kessler, nous affirme, la main sur le coeur, qu’il nous soutient à 200 %, mais qu’il ne veut pas prendre le risque financier d’un appel. Trop cher en frais d’avocats. Le lendemain de cette discussion, nous apprenons sa nomination comme conseiller à la culture et aux médias à l’Élysée, auprès du nouveau président socialiste François Hollande. En juillet 2012, la journaliste Audrey Pulvar – compagne du ministre socialiste du Redressement productif, Arnaud Montebourg – a été nommée (avec Arnaud Aubron) à la tête de la direction générale des Inrockuptibles. Audrey Pulvar: « Il est hors de question que Les Inrocks deviennent une annexe du PS ».
Le message est clair : plus de vagues autour de cette affaire. En dénonçant les dysfonctionnements de la fédération socialiste du Pas-de-Calais, nous avons, peut-être, eu le tort d’avoir raison un peu trop tôt. Ce livre est une façon de dérouler le fil de cette histoire et de poursuivre notre enquête de façon encore plus approfondie.
26 juin 2012. Le rapport de la commission d’enquête interne du Parti socialiste est rendu public. Un document de vingt pages au goût d’inachevé mais qui met sérieusement en cause la direction de la fédé, tout en s’attachant à préserver les militants. Offi ciellement, l’honneur est sauf : il n’y a pas de « système de corruption » au sein du PS du Pas-de-Calais, estime la commission d’enquête. Une fois cette « accusation choc » écartée, le rapport constate tout de même que «beaucoup de sections ont conservé des habitudes de gestion financière issues de la période antérieure aux lois sur le financement politique». Plus grave : «Le trésorier fédéral [Laurent Duporge] a déclaré à la commission, comme constituant une évidence, que “la fédération ne contrôle pas les comptes des sections”.» Des sections qui ont souvent plusieurs comptes bancaires. Mais, là encore, la situation est limpide, car «ces sections n’ont pas bénéficié de financements provenant d’autres sources que les cotisations d’adhérents, les contributions d’élus et le produit des événements festifs qu’elles organisent». Donc, à l’échelon des sections également, conclut le rapport, l’accusation de « système de corruption » se révèle infondée.
Derrière ce tableau immaculé se niche pourtant un écueil de taille: le « cas particulier de la section de Liévin », la plus importante de la fédération, qui avait pour habitude de demander à ses élus de payer la moitié de leur cotisation en espèces et non en chèque ou par virement ! « Ce mode de versement de contributions de parti est évidemment inhabituel et entraîne inévitablement des doutes sur la régularité des comptes de la section », note la commission d’enquête qui juge « peu convaincantes » les justifications fournies à ce sujet.
La commission d’enquête découvre également avec stupéfaction l’existence, au sein de la section de Liévin, d’« une réserve financière » de 120 000 euros détenue en compte sur livret et en parts de Sicav ». « Une précaution en cas d’événements défavorables », explique la fédé. « Ce raisonnement, né sans doute dans la concertation entre un petit nombre de responsables, ne tient aucun compte des règles actuelles de financement de l’activité politique », commentent les auteurs du rapport, qui exigent la suppression de cette réserve financière. Bien consciente du caractère illégal de ce fonctionnement, la commission d’enquête interne n’exclut pas que des poursuites judiciaires puissent être engagées à ce sujet : « Même s’il n’apparaît pas, à ce stade, d’indices de financement d’origine suspecte, cette manière d’agir est susceptible, du fait du maniement de sommes importantes en espèces et de l’apparente inutilité de cette pratique pour le financement de l’activité politique légale, de déclencher des investigations de la part de l’autorité judiciaire. » Autrement dit, le rapport de la commission Richard coupe une branche pourrie (la section de Liévin) pour mieux sauver l’arbre de la fédé. Même Martine Aubry dément l’existence d’un « système » du Pas-de- Calais « dans lequel tous les socialistes auraient des problèmes ».
Conséquence immédiate de la publication du rapport : le bureau national du PS décide de mettre sous tutelle la direction de la fédération du Pas-de-Calais. (AA: ce que j'avais proposé dès le 17 octobre 2011: http://alpernalain.blogspot.fr/2011/10/il-faut-mettre-la-federation-62-du-ps.html) Un cinglant désaveu pour la première secrétaire, Catherine Génisson, le trésorier de la fédé, Laurent Duporge (également vice-président de la section liévinoise), mais aussi pour Daniel Percheron… secrétaire de la section de Liévin ! Dans un communiqué publié le 27 juin 2012, Catherine Génisson « acte la décision du bureau national du PS », tout en réaffirmant son soutien à Jean-Pierre Kucheida. Une position d’équilibriste, plutôt inconfortable. Les barons ont bien senti que les fondations du « système » sont en train de bouger au pays des terrils. « Les militants ne supportent plus les pratiques de la fédé, nous confie un ancien compagnon de route de Jacques Mellick. Mais ils n’osent pas le dire, parce que les barons sont toujours là, puissants. Au conseil fédéral, tout le monde se tait. Mais quand vous écoutez ce qui se dit, en dehors, il y a un mouvement de contestation assez profond. Il y a une chape de plomb qui est en train de se soulever. Une nouvelle génération d’élus n’accepte plus les pratiques du passé. AA: en effet, j'assiste aujourd'hui à un phénomène intéressant; des élus reprennent contact avec moi et me disent pis que pendre des dirigeants...Ils veulent une véritable vie démocratique, où tout n’est pas décidé à l’avance, où l’on ne gère pas des carrières. » Fidèle à lui-même, Daniel Percheron affi che un calme olympien, en faisant mine de ne pas voir que le tapis politique se dérobe sous ses pieds. Un changement d’époque ? « C’est ce qui vous convient dans le roman que vous avez à écrire, lance le président du conseil régional à un journaliste de La Voix du Nord. Mais la vérité, c’est tout le contraire, c’est la continuité. Prenez Philippe Kemel, militant qui a attendu tant d’années. » On se rassure comme on peut, car nul n’ignore dans le bassin minier que les enquêteurs tentent désormais de remonter la piste de l’argent du parti.
Au total, cinq enquêtes préliminaires sont en cours, ouvertes par les parquets de Douai et de Lille, suite aux différents rapports de la Chambre régionale des comptes et aux accusations de Gérard Dalongeville. Les policiers de la brigade financière cherchent notamment à savoir comment le PS a pu bénéfi cier d’un possible financement occulte, en particulier via les procédures d’allocation de marchés publics. Une tâche longue et ardue. L’étau judicaire paraît se resserrer sur le maire de Liévin, qui clame son innocence : « Il n’y a strictement rien dans aucun domaine que ce soit. J’ai ma conscience pour moi. » Le temps judiciaire, plus long par nature que le temps médiatique, finira bien par livrer sa vérité.
Avec ce livre, nous avons voulu prendre le temps nécessaire pour remonter à l’origine du mouvement de plaques tectoniques ayant abouti à ce séisme politique. Le PS a-t-il réellement «fait le ménage» parmi les caciques locaux ? Le FN va-t-il s’imposer lors des prochaines municipales et s’enraciner durablement dans cette terre de gauche ? Autant de questions qui vont redessiner la carte du paysage politique, à l’heure où une partie de la droite française se lance dans une surenchère dans les thématiques d’extrême droite.
Parfois, il arrive que certains tremblements de terre provoquent des répliques inattendues… et incontrôlables.
A suivre (le sommaire du livre)
Avant la Révolution Française, les rois avaient coutume de faire emprisonner les pamphlétaires à la Bastille.
RépondreSupprimerAujourd'hui, la tendance à la mode de notre "Grande République Irréprochable" serait elle de baillonner les JOURNALISTES?
Lorsque la liberté d'expression(par le verbe ou la caricature) est menacée, la DEMOCRATIE EST EN DANGER.