Les "boeufs" de la cité Darcy : un nouvel exemple de double langage du Front National

Un dimanche à Hénin-Beaumont

Publié le 26 janvier 2014

Bruno Bilde, le conseiller de l’ombre de Steeve Briois ©Christophe Blanquart

J’ai passé mon dimanche à Hénin-Beaumont. Le programme des festivités était chargé. A 11 h, les voeux du maire, Eugène Binaisse (PS) avec en guest star Manuel Valls. Le discours du ministre de l’Intérieur ressemblait à une valse à deux temps, entre remémoration du passé industriel et minier, des luttes ouvrières, de la solidarité, du programme du Conseil national de la résistance, et dans le même élan oratoire, exaltation des valeurs d’ordre, d’autorité, de sécurité, de responsabilité. Mais rien de bien nouveau, on connaissait déjà les talents de brasseur de valeurs de notre ministre de l’Intérieur.Plus surprenant fut la deuxième partie du programme.

A 16 heures, à la salle des fêtes, juste derrière la mairie, le Front national organisait, comme tous les ans fin janvier, sa galette des rois. Je savais que je n’y serai pas forcément bien accueilli, Bruno Bilde (l’ancien chef de cabinet de Marine Le Pen et le plus proche conseiller de Steeve Briois) m’ayant envoyé, quelques jours plus tôt, un sms incendiaire. Il me reprochait d’avoir publié sur le blog de Bassin miné des extraits d’une « conversation privée » entre Steeve Briois, Bruno Bilde et moi, lors de mes premiers repérages au printemps 2002. Voici l’extrait qui ne leur a pas plus que j’exhume 12 ans plus tard :
« Nous allons en direction de la cité d’Arcy, située à l’extérieur du centre-ville, sur la route de Drocourt, en direction d’Arras. Je conduis, Briois me guide. Bilde, assis sur la banquette arrière, prend soudainement un air inquiet :
– Où c’est que tu veux aller pour faire ce porte à porte, Steeve ?
– Ben, à d’Arcy…
– Mais t’es complètement fou, d’Arcy, c’est un fief à Dalongeville, on va se faire allumer… Steeve, agacé : Écoute, hein, Monsieur [le monsieur, c’est moi] veut voir des bœufs, il va en voir ! »

Je comprends aisément que le dévoilement de ce mépris affiché pour les habitants de cette ancienne cité minière ne soit pas du goût de Steeve Briois « l’avocat du peuple ». Je comprends qu’ils m’en veuillent de cette troublante indiscrétion qui n’avait pourtant rien d’une conversation privée, d’une confidence « off ». Ce matin-là, il était convenu que je suive l’élu, donc le personnage public, dans le cadre de ses activités militantes, en l’occurrence un porte-à-porte. Cela n’avait donc rien d’une rencontre informelle et privée.

Bref, je me pointe à la salle des fêtes à 16h20. Bruno Bilde fait le barrage à l’entrée et distribue au compte-gouttes les accréditations à la presse. Vient mon tour. Il m’annonce qu’il ne me laissera pas entrer. Je fais mine d’être surpris. Bilde s’emporte : « Il est hors de question que l’on travaille avec des gens malhonnêtes intellectuellement et ouvertement contre le Front national ». En clair, je suis désormais blacklisté et serai refoulé de toutes les initiatives du FN pendant la campagne des municipales. Pas grave, je ferai le film sans eux ! Et puis, j’ai toujours détesté la galette des rois et la frangipane.
La discussion, extrêmement tendue,  a duré une petite dizaine de minutes.

Au moins les choses ont le mérite d’être claires.

Edouard Mills-Affif

En 2003, Edouard Mills-Affif, documentariste, était le premier à témoigner de la percée du Front national dans le bassin minier (Pas-de-Calais), une terre de gauche blessée devenue un terrain de chasse idéal pour l’extrême droite. Au pays des Gueules noires : la fabrique du Front national  (52’) pénétrait dans les coulisses du laboratoire de Steeve Briois et dévoilait la face cachée de la stratégie de « dédiabolisation » chère à Marine Le Pen. Avec Bassin miné , le réalisateur entend poursuivre ce travail de décryptage, à l’occasion des prochaines élections municipales, qui pourraient voir Hénin-Beaumont basculer du Parti socialiste vers le Front national. Le récit, sur une décennie, d’une méthodique conquête politique.

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