Brèves de comptoir

Article "inspiré" par le Monde du 3/4

En 1946, il existait en France un bistrot pour 161 habitants. Aujourd'hui, la proportion est de 1 pour 1 000. On voit par là qu'avec la raréfaction des débits de boissons, le débit de parole se tarit, les gosiers s'assèchent. D'autant que, dans les villes, les cafés populaires laissent la place à des brasseries chics, des bars lounge exempts de brassage socioculturel.

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A cette aune, la collecte entreprise depuis plus de vingt ans par Jean-Marie Gourio, ancien rédacteur en chef adjoint d'Hara-Kiri, tient du travail d'ethnologue ou de sociologue qui tend l'oreille et lève le coude. Depuis 1987, Gourio aime à se rendre dans les troquets, et noter les brassées de réflexions qui en constituent le brouhaha et les consigner dans une série de recueils. La monomanie de Gourio s'est transformée en phénomène de librairie - le dernier recueil en date, Brèves de comptoir : l'anniversaire (Robert Laffont, 2007), s'est écoulé à 70 000 exemplaires. Le premier à se mettre en bouche ces brèves fut Jean Carmet, dans l'émission de sketches "Palace", mise en scène pour la télévision par Jean-Michel Ribes.

C'est tout un monde qu'on effeuille et qu'on écoute aujourd'hui au Théâtre du Rond-Point, dans une troisième adaptation scénique conduite par Gourio et Ribes, après 1994 au Théâtre Tristan-Bernard et 1999 au Théâtre Fontaine. Conçu comme une semaine dans plusieurs cafés, autant de microcosmes et d'ambiances avinées, ce nouveau millésime bénéficie du talent comique des deux piliers, Chantal Neuwirth et Laurent Gamelon, présents dans les deux pièces précédentes.

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Sur scène, les bistrots apparaissent pour ce qu'ils sont au coin de la rue : des salles des fêtes, des bivouacs, des ports de plaisance, des rades sans espoir, des clairières sous néon, des cyclotrons pour foule sentimentale, des sociétés d'économie mixte de solitude et de compagnie. Sans, toutefois, la dimension de la banalité propre à ces lieux. Les conversations, un peu décousues, tiennent davantage de soliloques croisés, car tous s'expriment, peu s'écoutent. Chez cette humanité au comptoir, le triste, le sordide, le dispute au cocasse. Il y a des tranches de vie à la Queneau, des jeux de mots, des appellations d'origine incontrôlable sur la vie de couple, l'Histoire, la politique, le réchauffement climatique, l'écologie, l'art, la météo, les faits divers, la chirurgie esthétique, le racisme, la mort, la connerie, la violence conjugale, la bouffe...

Exemples :

"Mon plus grand chagrin d'amour, c'est que personne ne m'aime"; 

"Lui, il est con comme un iceberg : trois fois plus con que ce qu'on voit !" ; 

"Je suis une mouche de télé. Je regarde que des merdes" ; 

"Logiquement quand t'as fait un gosse, t'as le droit de tuer quelqu'un" ; 

"Ma madeleine de Proust, c'est les rillettes" ; 

"Ils ont dit qu'il allait pleuvoir et ils l'ont fait !" ; "Le blanc, le rouge, le rosé, je bois tout, je suis polyglotte"...

"Au pôle Nord, au pôle Sud, à l'équateur, l'homme s'acclimate partout, il n'y a qu'en banlieue qu'il ne s'acclimate pas".

"La première chose à faire pour jouer du piano, c'est soulever le couvercle."

"À la naissance le nain est normal, c'est en grandissant qu'il rapetisse";

"Les auteurs modernes font des livres tellement petits qu'on ne peut plus mettre des fleurs à sécher dedans"; 

"Dans aucun épisode sur des centaines d'épisodes on voit Rintintin qui fait une crotte.."

"La viande la plus chère, c'est le footballeur".

"Les Nouvelles Brèves de comptoir", de Jean-Marie Gourio, mise en scène de Jean-Michel Ribes. Théâtre du Rond-Point, 2 bis, av. Franklin-Roosevelt, Paris 8^e.