reportage le 24/05/2012 par Daniel Schneidermann
A LA DUCASSE DE HÉNIN-BEAUMONT, UNE ATTRACTION TOUTE NEUVE...
...avec une cravate rougePar Daniel Schneidermann le 24/05/2012
L'image est simple: un duel Le Pen-Mélenchon, dans une ville sinistrée du Pas-de-Calais, sur fond de PS gangrené par "les affaires". Trop simple ? C'était l'occasion de tenter de passer "derrière l'image". Suite de notre reportage.
Passons aux choses sérieuses. Depuis hier, on dresse sur les places de Hénin-Beaumont les attractions de la ducasse. Autos tamponneuses, grand huit et barbe à papa: on va enfin s'étourdir d'autre chose que de scandales. Les camarades communistes l'ont gentiment expliqué à Mélenchon à son arrivée: pas question de prévoir des meetings le jour de la ducasse, de la fête des mères, et des communions. Après un moment de surprise républicaine et laïque, il parait que l'OVNI l'a accepté. Ca vaut mieux pour lui.
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Les Heninois, depuis toujours, ont des distractions connues d'eux seuls. N'essayez pas de comprendre, vous n'y parviendrez pas. Eux non plus, d'ailleurs, enfin pas toujours. Depuis dix ans, par exemple, les socialistes locaux s'amusent avec un drôle de fusil: le Front National. C'est un fusil qui ne tire pas droit, et se retourne même contre le tireur. Comme à la foire, on ne gagne jamais, mais c'est tellement irrésistible !
Voici le déroulement habituel. Prenez des élus socialistes, dans une ville minière sinistrée. Donnez-leur tous les pouvoirs, local, départemental, régional. Faites les bouillir dans une marmite de haine, de toute-puissance, et de corruption. Sur ce fumier, faites croître et embellir une section FN. Que croyez-vous qu'il arrivera ? Que les socialistes ennemis vont se réconcilier, s'unir contre l'ennemi commun ? C'est tout le contraire, qui s'est passé à Hénin-Beaumont. Le FN, ce parti sulfureux, infréquentable, contre lequel les chefs socialistes nationaux n'avaient pas de mots assez durs, pas de "pacte républicain" assez ferme, le FN a successivement été utilisé par tel ou tel clan socialiste, officiel, dissident, ou néo-dissident, contre le clan concurrent. Les mêmes qui l'insultaient en public le cajolaient en douce. Tous ont tenté d'utiliser le fusil vicieux contre les chers frères ennemis. Et jusqu'à maintenant, l'arme s'est toujours retournée contre eux.
PIZZA PARTY CONSPIRATIVE
Quelques épisodes. Avant les élections municipales de 2008, France 3 Nord organise un débat entre les quatre principales listes. Socialistes dissidents et frontistes ont un intérêt objectif: battre le maire sortant, Gérard Dalongeville, contre lequel s'accumulent rumeurs et rapports alarmants de la Chambre Régionale des Comptes. Les anti-Dalongeville organisent donc une réunion secrète pour conclure un pacte de non-agression, afin d'écraser sur le plateau de France 3 Marie-Noëlle Lienemann, qui y représentera le maire sortant (France 3 a souhaité "un débat de femmes", histoire d'opposer Lienemann à Le Pen). Les socialistes dissidents se retrouvent donc, autour d'une pizza party conspirative, avec l'état-major lepéniste. Et le débat, comme convenu, tourne à la curée générale anti-Lienemann.
Dalongeville est néanmoins réélu. Il faut dire qu'il y a mis le prix: 250 CDD ont été opportunément signés par la mairie à des électeurs, leurs papas, leurs mamans ou leurs cousins, qui arrivent à échéance quelques jours après le scrutin. Deux listes battues déposent donc un recours en annulation. Le Front National, bien entendu. Mais aussi les socialistes dissidents, regroupés dans une "Alliance Républicaine". Qui le rédige, secrètement ? L'omniprésent chef de cabinet de Marine Le Pen, Bruno Bilde, opportunément titulaire d'un master de droit. Homme dont les compétences ne sont pas seulement intellectuelles, d'ailleurs: à cette époque, il prête aussi la main au déménagement de la section socialiste, expulsée de ses locaux par la Fédération du Pas-de-Calais (elle n'a d'ailleurs toujours pas été reconstituée). "Avec les socialistes, on a souffert ensemble" se souvient-il.
Quelques épisodes. Avant les élections municipales de 2008, France 3 Nord organise un débat entre les quatre principales listes. Socialistes dissidents et frontistes ont un intérêt objectif: battre le maire sortant, Gérard Dalongeville, contre lequel s'accumulent rumeurs et rapports alarmants de la Chambre Régionale des Comptes. Les anti-Dalongeville organisent donc une réunion secrète pour conclure un pacte de non-agression, afin d'écraser sur le plateau de France 3 Marie-Noëlle Lienemann, qui y représentera le maire sortant (France 3 a souhaité "un débat de femmes", histoire d'opposer Lienemann à Le Pen). Les socialistes dissidents se retrouvent donc, autour d'une pizza party conspirative, avec l'état-major lepéniste. Et le débat, comme convenu, tourne à la curée générale anti-Lienemann.
Dalongeville est néanmoins réélu. Il faut dire qu'il y a mis le prix: 250 CDD ont été opportunément signés par la mairie à des électeurs, leurs papas, leurs mamans ou leurs cousins, qui arrivent à échéance quelques jours après le scrutin. Deux listes battues déposent donc un recours en annulation. Le Front National, bien entendu. Mais aussi les socialistes dissidents, regroupés dans une "Alliance Républicaine". Qui le rédige, secrètement ? L'omniprésent chef de cabinet de Marine Le Pen, Bruno Bilde, opportunément titulaire d'un master de droit. Homme dont les compétences ne sont pas seulement intellectuelles, d'ailleurs: à cette époque, il prête aussi la main au déménagement de la section socialiste, expulsée de ses locaux par la Fédération du Pas-de-Calais (elle n'a d'ailleurs toujours pas été reconstituée). "Avec les socialistes, on a souffert ensemble" se souvient-il.
"LA PLUS GROSSE ERREUR DE MA VIE POLITIQUE"
C'est l'époque des amours clandestines, entre Bilde et les chefs des socialistes anti-Dalongeville. A plusieurs reprises, Bilde est aperçu sortant du domicile de l'un d'entre eux. "Je distribuais des tracts dans les boîtes aux lettres" explique le visiteur sans rire. Tenaillée par le remords, la socialiste dissidente Christine Coget, celle qui avait participé à la réunion préparatoire de France 3 -et qui est passée au MoDem- finira par soulager sa conscience et, contre les sommations d'omerta de son camp, révéler l'existence de la réunion secrète. Ce qui n'empêchera pas, ultérieurement, Marine Le Pen de lui lancer au conseil municipal: "vous étiez plus aimable lorsque nous mangions des pizzas ensemble". On ne dîne pas impunément avec le Front National. "Cette réunion a été la plus grosse erreur de ma vie politique" reconnait-elle aujourd'hui.
C'est l'époque des amours clandestines, entre Bilde et les chefs des socialistes anti-Dalongeville. A plusieurs reprises, Bilde est aperçu sortant du domicile de l'un d'entre eux. "Je distribuais des tracts dans les boîtes aux lettres" explique le visiteur sans rire. Tenaillée par le remords, la socialiste dissidente Christine Coget, celle qui avait participé à la réunion préparatoire de France 3 -et qui est passée au MoDem- finira par soulager sa conscience et, contre les sommations d'omerta de son camp, révéler l'existence de la réunion secrète. Ce qui n'empêchera pas, ultérieurement, Marine Le Pen de lui lancer au conseil municipal: "vous étiez plus aimable lorsque nous mangions des pizzas ensemble". On ne dîne pas impunément avec le Front National. "Cette réunion a été la plus grosse erreur de ma vie politique" reconnait-elle aujourd'hui.
"Tu as raison, dit alors Dalongeville à Briois, le PS est une mafia. Je préfère que tu sois le prochain maire de Hénin-Beaumont." Et de proposer au frontiste de l'alimenter en documents compromettants sur l'équipe en place. Mais sous ses airs de Dany Boon, Briois est un homme précautionneux: il a enregistré la conversation au dictaphone. Au conseil municipal suivant, quand Dalongeville allume Briois comme à l'accoutumée, ça ne manque pas: "ce n'est pas ce que vous me disiez, l'autre nuit, sur le parking du Babou" balance Briois. Sidération du conseil. Mouvements divers sur les bancs de la presse locale. Par provocation, Briois clame même qu'il a donné à La voix du nordl'enregistrement du rendez-vous fatidique. Au comble de l'inquiétude, Dalongeville (qui n'a pas donné suite à la demande d'entretien d'@si) cuisine Pascal Wallart, inamovible chef d'agence du quotidien: détient-il bien la sulfureuse cassette ? Wallart (qui l'a écoutée, mais ne l'a pas) fanfaronne et élude. Quelques jours plus tard, les locaux de La Voix du Nord sont cambriolés. "On ne nous a piqué que des cassettes et des CD gravés" se souvient Wallart. Un des hommes de main de Dalongeville, lâché par le maire, confessera quelques années plus tard être l'auteur du cambriolage. Bilde: "on le connaissait bien. C'est le même qui quelque temps plus tôt avait fouillé, sur ordre du maire, les poubelles de Steeve".
Certains ne demandent pas mieux que de continuer à jouer. D'autres veulent croire que Hénin-Beaumont peut échapper à la glu du passé. La perspective d'un procès Kucheida dans la circonscription voisine, les promesses de l'ère Hollande... On se raccroche à ce qu'on peut. Mais comment échapper à l'étau infernal des corrompus et des frontistes ? Pervers miracle de la Pentecôte: voici que tombe du ciel un beau fusil tout neuf, avec une cravate rouge. Bienvenue à la ducasse, Jean-Luc Mélenchon!
Christine Coget a fait la mise au point suivant:
"Pour ce qui concerne "La pizza party" aucun socialiste participant à cette réunion. Pour rappel, cette réunion eut lieu à l'instigation de Bruno Bilde et de Georges Bouquillon, au domicile de Briois, l'avant-veille du débat de France3. Etaient présents Marine Le Pen, Bilde, Briois, Bouquillon et moi, avec le plein accord de Daniel Duquenne, tête de liste de l'Alliance Républicaine. Ni les colistiers ni les autres adhérents de l'AR n'étaient au courant. La liste AR n'était pas non plus une liste composée uniquement de socialistes dissidents.
Cette réunion, considérée en effet comme la plus grande erreur de ma vie politique, je l'ai dénoncée quelques mois après, malgré les pressions exercées par Bouquillon à mon encontre. Celui-ci n'a jamais "avoué", il est d'ailleurs le seul des 5 participants à nier. "Le couteau sous la gorge, je nierai" m'a-t-il dit à plusieurs reprises."
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