De Henin-Beaumont à Grenoble, deux voies pour l’avenir
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Laurence Druon
Laurence Druon
lundi 28 avril 2014
Étrange expérience : avoir vécu dans les deux villes d’Hénin-Beaumont et de
Grenoble, remportées l’une par le Front national, l’autre par les
écologistes. Une divergence qui exprime sans détour les voies politiques
entre lesquelles choisir.
J’ai vécu vingt ans à Hénin-Beaumont puis vingt ans à Grenoble.
Le résultat des élections municipales de 2014 à Hénin-Beaumont et Grenoble montrent deux façons d’envisager une solution à « la crise » : tenter une extrême-droite renouvelée ou s’engager dans la transition sociale, écologique, économique et démocratique.
« La crise », je suis née avec : matin après matin depuis
quarante ans, la radio m’annonce un taux de croissance en berne,
impuissant à faire baisser un taux de chômage en hausse.
Les mines avaient déjà fermé quand j’allais au collège en ZEP où mes
camarades avaient des noms commençant par Ben ou finissant par ski. Les
maires de mon enfance étaient toujours de gauche comme le premier
président auquel j’ai prêté attention et qui suscitait tant d’espoir
autour de moi.
J’ai passé mon enfance, non pas sur des pistes de ski, mais dans des
mouvements d’éducation populaire. Nos animateurs nous faisaient prendre
des initiatives, découvrir la force du collectif, vivre des valeurs de
coopération, exercer notre sens critique et notre créativité. Nous
avions monté un spectacle, « Ça crée jeunes » pour exprimer nos
rêves et nos convictions, et nous avions rempli les 800 places du
Colysée de Lens, la plus grande salle du coin. Quand on rencontrait les
copains de Lens, Avion, Béthune, Arras, Boulogne sur Mer, on leur disait
fièrement, « A Hénin, on est bien ».
Hénin-Beaumont, Grenoble : deux villes dont l’image d’Epinal tente d’expliquer le choix politique à ces dernières municipales :
. Hénin, ville sinistrée où les usines ont fermé laissant un sol pollué
aux métaux lourds sur cinquante kilomètres carrés, avec ses classes
populaires sous-qualifiées, chômeuses et assistées, qui tuent dans
l’alcool le spleen du plat pays gris et pluvieux.
. Grenoble, ville d’innovation technologique, laboratoire social et
citoyen, aux premières loges pour la révolution et la résistance, aux
cadres écolos qui profitent des plaisirs de la montagne.
Bref, les bofs et les bobos.
Deux villes qui ont pourtant des couleurs communes : le gris des
nuages gorgés de pluie ou de pollution, et aussi le rouge puissant du
mouvement ouvrier et du socialisme municipal.
Deux villes déçues aujourd’hui par le socialisme de pouvoir, et qui
aspirent à un vrai changement, qui osent un autre choix, qui tentent une
alternative.
Ces alternatives sont dénoncées avec la même virulence comme des
périls : péril bleu marine à Hénin-Beaumont, péril rouge et vert à
Grenoble, périls brandis par ceux qui donnent facilement des leçons ou
ont intérêt à ce que rien ne change.
Pourtant ces deux alternatives n’ont pas la même teneur.
« Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître, et dans ce clair-obscur surgissent les monstres », disait Gramsci, communiste italien emprisonné par les fascistes dans une autre période de « crise »,
celle des années 30. Notre modèle de société se meurt : un modèle
économique qui épuise la planète, accroît les inégalités, ne crée plus
assez d’emplois et rend malades ceux qui travaillent, ne donne aux
citoyens qu’un seul horizon : celui de consommateurs frénétiques. Une
démocratie qui ne vit plus. Bref un monde qui peine à trouver du sens.
Voir s’épuiser ce modèle dans lequel nous avons été formés, cela a de
quoi faire peur. Voir se matérialiser dans le ciel ou sur les arbres
tout près de chez nous la pollution et le dérèglement climatique ajoute
encore à la peur.
Cette peur est utilisée par les extrêmismes, politiques ou religieux,
pour faire passer des idées simples : il suffit de faire confiance à
l’homme providentiel (qui parle au nom d’un Dieu dans le cas des
extrémismes religieux) et d’appliquer sans réfléchir les recettes qu’il
nous donne pour résoudre les problèmes. Il suffit de sortir de l’Europe
et de virer les étrangers pour qu’il n’y ait plus de chômeurs, inutile
d’inventer un autre système économique. Il suffit de multiplier les
caméras de surveillance pour que les gens n’aient plus peur.
Pas besoin de se mobiliser en tant que citoyens pour penser cette
société devenue si complexe et agir chacun à son échelle pour la
transformer : il suffit de faire confiance à d’autres qui s’occupent de
notre avenir.
J’ai l’espoir que ce qui est proposé à Grenoble n’est pas qu’une alternative « verte et rouge »
de partis écolos divisés, d’élus locaux qui n’ont pas toujours fait les
bons choix, du Parti de Gauche de Jean-Luc Mélenchon qui est allé se
parachuter aux dernières législatives à Hénin-Beaumont en se proposant
comme homme providentiel alternatif à Marine Le Pen, et en s’asseyant du
même coup sur les militants locaux.
Ce qui est proposé à Grenoble, c’est d’inventer d’autres voies
économiques, sociales, environnementales, urbanistiques, éducatives,
démocratiques, c’est parler de « pouvoir de vivre » et de « pouvoir d’agir de chaque habitant » et pas seulement de « pouvoir d’achat », c’est « soustraire
les biens communs (eau, énergie) au privé », « végétaliser la ville »,
« mettre des clauses sociales, environnementales et d’insertion en cas
de marchés publics ou d’aides aux entreprises locales », réduire la pollution atmosphérique, manger bio et local à la cantine.
C’est aussi « refonder la vie démocratique locale », « co-construire les projets avec les habitants ».
Tout cela ne marchera que si les habitants, les acteurs locaux, les
entreprises, acceptent de s’engager et de modifier leurs comportements
individuels et collectifs, pas à pas. C’est une invitation faite à
chacun d’être responsables, co-responsables de l’avenir de la ville.
Ce qui se construit à Grenoble peut également se construire à Hénin.
Généraliser les clauses sociales, environnementales et d'insertion dans les marchés publics, c'est une très bonne idée. Mais, vu la configuration du territoire, ce n'est pas à l'échelle d'une seule ville qu'il faut penser le projet mais à l'échelle de l'agglomération (les 14 communes + l'agglo elle même). Cette démarche doit s'appuyer sur une compétence, une expertise : la clause peut s'appliquer sur des marchés de travaux mais aussi de prestations. Il faut exclure les petits marchés pour lesquels le nombre d'heures dédiées à l'insertion seraient trop faibles, faciliter la tâche des entreprises attributaires pour construire de vrais parcours d'insertion vers la qualification et l'ensemble. Il ne s'agit pas que de proposer des heures de travail mais bien de penser "parcours qualitatif", avec, pour chaque bénéficiaire, un amont, un pendant, et un aval ... Bref, un vrai "projet qualité" pour les 6 ans à venir avec une impulsion, une expertise et un appui proposés par la CAHC aux communes ... Voilà un bel effet concret de mutualisation ... Se serait de surcroît innovant ... Il n'existe pas, je pense, d'intercommunalité qui ait déjà porté une telle démarche dans la région, à part peut-être la Communauté Urbaine de Dunkerque qui favorise depuis plusieurs années la mise en place de clauses d'insertion sociale et de clauses d'emploi ...
RépondreSupprimerOuais, super, payons encore des études plein pot pour les copains de ceux qui dirigent.
SupprimerQue proposez vous?
SupprimerIntéressante cette comparaison avec Grenoble... Mais l'auteur ne peu ignorer que la ville de Grenoble fut la première à "inventer" le nouveau socialisme municipal avec un maire historique et "olympique":Hubert Dubedout.
RépondreSupprimerC'est de Grenoble qu'est partie ce grand mouvement d'analyse et de mode de management des collectivités territoriales.
Pour ceux -trop rares- qui ont suivi les formations destinées aux cadres de la fonction publique territoriale, notamment les premiers contingents d'attachés territoriaux de 1980, ils saventcombien l'université était elle-même impliquée dans ce vaste mouvement de la rénovation urbaine. Rénovation Urbaine à travers différentes expériences d'habitats, mais aussi tout ce qui fait le ciment d'une collectivité territoriale avec pour emblême le caractère culturel des MJC....
Les villes nouvelles se sont inspirées de l'expérience grenobloise et de grandes réussites restent dans les memoires, comme Hérouville-Saint-Clair dans la banlieue de Caen; Dans son renouveau de l'époque, le mouvement de la Jeunesse socialiste ne s'était pas trompé puisqu'il y avait organisé un congrés national en1973... Combien de notre région s'intéressaient à ces expériences de démocratie municipale ?
J'aime bien votre comparaison, parce qu'elle permet de mesurer les écarts qui se sont creusés depuis des années et qui montrent que l'expérience héninoise est -elle aussi, hélas- le fruit de l'histoire récente et de la façon dont une population et ses élus se forgent leur avenir.
9H21. Il ne faut pas avoir honte d'imiter et de s'inspirer. Mais nos gouvernants sont ils encore socialistes? Je suppose que Grenoble s'intéresse de près à la démocratie participative et le résultats des élections en est la preuve.
RépondreSupprimerLes villes, les intercommunalités, les échelons intermédiaires entre l’État et les individus sont très souvent encore dans l’injonction participative, c’est-à-dire que les institutions font appel à des dispositifs descendants, mettant en place des réunions laissant finalement peu la place à la construction d’une réelle parole habitante dans l’intérêt collectif ( je participe à Nantes dans mon quartier défavorisé mais en voie de réhabilitation et de mixité sociale à de telles réunions avec le CCAS dans le cadre des clubs Coup de Pouce, élargis. Car la réalité est complexe et demande la réunion d'acteurs multiples et divers).
Elles vont parfois faire appel ces institutions – mais occasionnellement – à des consultants militants de la démocratie participative,pour croiser les savoirs des habitants avec ceux des techniciens et des élus. Ou alors, elles vont croire encourager la participation en lançant des appels à projets, qui génèrent plus de la compétition entre associations et quelquefois une certaine gabegie financière!!!
Mais on reste dans un mode descendant…La participation devrait être ascendante.Il s’agit là d’encourager la création de collectifs d’habitants, qui pourraient construire leur parole et défendre leurs droits dans la durée, leur donner du pouvoir d’agir, jusqu’à faire de la contre-expertise et s'opposer à certaines décisions municipales
Il y a en fait, deux formes d’accroissement du pouvoir d’agir : la première peut être encouragée par les institutions, les travailleurs sociaux, et même la police ( et oui) à travers les dispositifs participatifs .La deuxième est une forme beaucoup plus poussée, qui part du principe que le contre-pouvoir est nécessaire en démocratie…
Intellectuellement d'accord Mary 10h21,
SupprimerLa démocratie participative est aux antipodes de la démagogie, des propos "populistes".
A défaut de "tenter l'expérience", on obtient de fait des populations sans avenir économique, sans présent politique (formule facile, ok).
Et qui bien sûr ne peuvent manifester que la colère issue de cette impuissance effective, de cette absence de pouvoir.
Merci pour votre intervention et ce qu'elle porte en termes de projets.
A mary, votre vision du mode descendant et non seulement angélique, elle est irréalisable.....Notamment ce que vous qualifiez de contre expertise.....De toute rfaçon toute décision municipale est déjà susceptible d'être contestée. Bien à vous.
RépondreSupprimerMerci. Enfin quelqu'un qui ne vit pas chez les bisounours.
SupprimerQue proposez-vous 11H37?
SupprimerOn aurait pu penser que vous débordiez d'idées 11H37. Prompt à critiquer mais rien à proposer. Classique.
SupprimerMary, ne tenez pas compte des "arguments " de certains...
SupprimerLa fausse bonne idée: les clauses d'insertion.
RépondreSupprimerElles sont généralisées dans l'ensemble des marchés publics. Mal calibrées, mal définies, souvent exhorbitantes en termes de nombre d'heures car souvent IMPOSEES par le maitre d'ouvrage (qui pourra se gausser auprès des classes populaires d'avoir déclencher un nombre astronomique d'heures d'insertion et d'avoir su les imposer aux entreprise sans combattre et sans comprendre), elles sont devenues un frein aujourd'hui à l'embauche.
Entre les obligations d'insertion, l'emploi de personnes handicapées, les alternances, quelles places restent-ils aux jeunes sortis d'école?
Un nombre d'heure sur un chantier est défini, pas extensible à l'infini. Un jeune en insertion, c'est du temps à passer, à former pour qu'il soit productif, à accompagner souvent sur le volet social, pour s'assurer qu'il ne vient pas travailler le ventre vide. C'est aussi s'assurer qu'il a bien compris le problème de sa sécurité (le boucher ne devient pas maçon d'un claquement de doigts). Comme c'est devenu une obligation contractuelle, ce nombre d'heure sera utilisé AU DETRIMENT d'un jeune formé pour, d'un fils d'ouvrier qui lui ne sera pas éligible à l'insertion.
Dans un monde régi par l'économie, avec des réductions d'éffectifs liés aux gains de productivité, oui vraiment, l'insertion est la fausse bonne idée, bien vendue par le monde politique.
Que proposez-vous, notamment pour les jeunes qui ont décroché?
SupprimerTraiter une théorie politique d'utopie, est ce la condamner ? Et non. Je parlais de mode ascendant. Le mode descendant est ce que nous vivons... avec toutes les réalisations aberrantes dans l'aménagement de la ville que nous connaissons ... et qui sont le fait d'experts, paraît- il...
RépondreSupprimerLes décisions municipales ne sont contestables en réalité que ... tous les six ans.
La contre expertise est celle des personnes qui vivent réellement sur les lieux de vie cités et qui effectivement se coltinent la réalité et la subissent. Parlons du plan de circulation dans la ville d'Hénin. Mais bien d'autres sujets relevant du vivre ensemble et du développement où les municipalités ferait bien d'entendre les citoyens.
Mais cela ne se fait jamais... puisque tout le monde pense que c'est impossible.
Traiter une théorie politique d'utopie c'est alors la condamner effectivement.
Cordialement.
10h52 à Mary: sauf erreur de ma part je ne vous ai pas traitée d' utopiste! et quand bien même, eussé-je utilisé ce terme ? Serait-ce insultant ? Pardonnez moi d'être un jacobin.
RépondreSupprimerRépublicain mais jacobin ! 'C' est honteux ?
Signé 10 h 52
Chevènementiste jusqu'au boutiste ... 10H52 /13H11?
SupprimerVous aurais-je reconnu?
Non pas chevènementiste "jusqu'au boutiste" mais tout simplement Républicain réaliste ayant eu bien du mal à lutter contre l'inertie d'un pseudo maire insipide et inopérant, pour mettre en place les dispositifs de la démocratie participative.
SupprimerMr KEMEL a voter en faveur des propositions faites par le premier ministre. Un vote de courage et de lucidité en ces periodes de graves difficultés, en electeur plus soucieux de l avenir de ses enfants que du sien, je vous en remercie Mr le député.
RépondreSupprimerOui, vous pouvez dire merci à papa. Il s'occupe bien de l'avenir de ses petits. Par contre, celui des autres...
Supprimeroui super meme un deputé de droite l a approuver
Supprimerles vrais chevenementistes ,( comme les mélanchonistes ) ,sont de vrais hommes de gauche.sauf les 2 exceptions : le local BOUQUILLON et le départemental ALEXANDRE, le complice jusqu'au boutiste de dalongeville.
RépondreSupprimernormale c " est le système umps
RépondreSupprimerDe Hénin-Beaumont à Douai .
RépondreSupprimerhttp://www.lavoixdunord.fr/region/a-douai-front-uni-autour-des-commercants-en-lutte-contre-ia34b0n2095600
En lutte aussi bientôt certainement des Héninois contre de nouveaux restaurants en centre commercial au lieu du centre ville.