jeudi 4 novembre 2010

Le paradoxe Obama

Vous trouverez, ci-dessous, une excellente analyse, du paradoxe Obama. En complément, quelques commentaires personnels:

- Il nous paraît, à nous, extraordinaire que l'on lui reproche sa réforme santé, pourtant loin des systèmes que nous connaissons en Europe. Par comparaison, le moindre homme de droite européen serait taxé de socialiste par un Républicain US!

- En 2 ans, il a mis en place quelques réformes insuffisantes pour des hommes de gauche européens (modeste régulation financière) , et trop modestes pour des Républicains US (baisse des impôts ...)

- Les Tea Parties, ces ultra-conservateurs issus des rangs républicains, qui ont mobilisé des millions de personnes et probablement influencé beaucoup d'états-uniens abstentionnistes, sont un mélange de villiériste et FN français (nationalisme, racisme, individualisme forcené, anti-étatisme poussé à l'extrême, anti-avortement, homophobie, etc...). Le nombre très important d'abstentionnistes laissent le champ libre aux populistes mal intentionnés. Quand on pense qu'un 1 habitant sur 5 croit qu'Obama est musulman, que beaucoup sont certains qu'il ne devait pas être élu parce que ne possédant pas la nationalité US, on se dit que l'éducation politique des habitants est encore à un niveau assez faible. 

- la perte de sa majorité à la Chambre des Représentants, mais le statu quo au Sénat, va certes freiner les projets d'Obama, mais ne l'empêchera pas nécessairement de gagner les prochaines présidentielles.

- en dehors du soutien massif des immigrés récents et des minorités (ethniques, gays), un espoir pour nous Européens (qui ferions un triomphe à Obama): il séduit les jeunes...


Deux ans après son élection triomphale, le président des Etats-Unis présente un bilan honorable, mais ne parvient plus à convaincre. Les Américains ne l'écoutent plus, et lui semble se résigner à cette incompréhension. Que s'est-il passé ?

Il fallait un certain courage pour aller affronter Jon Stewart, mais Barack Obama n'en manque pas. Et, de toute façon, il n'a pas le choix. Le comédien, qui présente une sorte de vrai faux journal tous les soirs sur la chaîne Comedy Central, est sans pitié mais il est suivi par quelque 2 millions de personnes, principalement des jeunes, la catégorie d'électeurs qui ne s'intéresse que de très loin, généralement, aux élections de mi-mandat, et dont le président américain a absolument besoin s'il veut conserver une majorité.
[...]
Jon Stewart l'a abordé d'entrée sur la déception de la gauche, deux ans après les grandes envolées de 2008. Il a voulu savoir ce qu'étaient devenues les promesses de la campagne. Où étaient " l'espoir " et le " changement " ? Le président a répondu que les circonstances n'avaient pas toujours été optimales (une récession, deux guerres, un pays en proie au " déclinisme ", une marée noire, des tentatives d'attentat). [...]
Barack Obama a encaissé. Sous les rires, Jon Stewart a enfoncé le clou, de l'" audace " - autre slogan de campagne - devenue introuvable à la " timidité " de la réforme de l'assurance-santé. " Jon, j'aime bien votre show, a poliment interrompu le président. Mais sur ce point, je suis en profond désaccord avec vous. Trente millions de personnes vont avoir une assurance grâce à cette réforme. Il y a en ce moment une femme dans le New Hampshire qui n'a pas besoin de vendre sa maison pour obtenir son traitement contre le cancer. Et elle ne pense pas que c'est timide. "
L'animateur n'a pas eu l'air impressionné. Il a laissé échapper une expression familière : " Dude ! " Dès le lendemain, les commentateurs ont relevé que pour la première fois, on s'était adressé au " chef du monde libre " en lui disant " hé, mec ! ", ou " dis-donc, mon gars ! " Sur l'instant, Barack Obama n'a rien montré, sinon une raideur dans le regard comme s'il avait été blessé. Il a reconnu qu'il n'avait " pas transformé " le système politique à Washington, mais que dans l'urgence il avait choisi de " travailler avec ". Il a même admis qu'il devrait modifier le slogan " Yes we can " pour y ajouter un " mais ". Oui, " nous le pouvons mais cela ne va pas arriver en une nuit "....
Deux ans après son triomphe électoral, Barack Obama a les cheveux qui grisonnent sérieusement, a fait récemment remarquer le ministre de la défense, Robert Gates. Son taux d'approbation est stationnaire (46 % depuis plusieurs mois, contre 68 % en janvier 2009). Rien d'irrémédiable : à la même période de 1982, la cote de Ronald Reagan était de 42 %.
Côté bilan, Barack Obama a été " aussi productif que Franklin Roosevelt ou Lyndon Johnson ", indique le professeur James Thurber, directeur du centre d'études présidentielles de l'American University à Washington. Il a empêché l'économie de " tomber dans le gouffre " et sauvé l'industrie automobile. Il a passé une réforme de la santé dont tous les présidents démocrates modernes avaient rêvé, une réforme financière trop limitée aux yeux de la gauche mais qui lui a aliéné Wall Street. Il a donné aux étudiants des prêts abordables, interdit aux compagnies de cartes de crédit d'augmenter les taux d'intérêt sans préavis, étendu le service national de volontariat. Il a nommé deux femmes à la Cour suprême (ce dont les électrices blanches ne lui savent pas particulièrement gré, si on en croit les sondages). Il a obligé les compagnies pétrolières à financer la restauration de l'écosystème de la Louisiane...
Ses compatriotes le jugent pourtant sévèrement. " Beaucoup voient cela comme le paradoxe de la présidence Obama, dit le politologue Thomas Mann, de la Brookings Institution. Des accomplissements législatifs historiques mais pas de remerciement du public, au contraire. "[...]


Traité " comme un chien ", a-t-il dit, par les républicains, critiqué jusqu'à tout récemment par son camp, Barack Obama semble résigné à l'incompréhension actuelle. Il voulait être un démocrate d'un genre différent. Le destin aura voulu qu'il doive présider à une expansion massive de la dette et à des nationalisations. Ses discours, qui étaient lus et relus, sont couverts par les clameurs du Tea Party. Le pays ne l'écoute plus.
Obama a commencé sa présidence en plaidant pour une " nouvelle fondation " économique pour le XXIe siècle, qui reposerait sur une réforme de la santé, l'indépendance énergétique et une réforme de l'éducation. Rapidement, la Maison Blanche a été bousculée par l'imprévu et par l'actualité : la colère populaire contre les bonus des banquiers, la révolte Tea Party contre l'emprise grandissante du gouvernement. Elle a perdu ce que les conseils en communication appellent la " narration ".
Un an et demi après, les Américains ne comprennent pas pourquoi le taux de chômage reste supérieur à 9 % alors que le gouvernement a passé un plan de relance de 787 milliards de dollars (564,6 milliards d'euros) en février 2009. Ils sont persuadés que l'effort n'a pas servi à grand-chose, conviction largement alimentée par les républicains. Quand Barack Obama a pris ses fonctions, le chômage était de 7,7 %.
Un mois plus tard, 600 000 emplois supplémentaires avaient disparu. Et 600 000 de plus en mars. " L'administration a eu l'impression qu'il fallait agir très vite, dit le professeur Wayne, et que le temps manquait pour un programme d'emplois fédéraux. "
Les démocrates expliquent que sans le " stimulus package ", le taux de chômage serait de 12 %, selon l'Office budgétaire du Congrès. Des milliers de professeurs seraient sans emploi. [...}
L'histoire des réductions d'impôts est exemplaire. Un tiers du montant du plan de relance (soit 288 milliards de dollars) a été consacré à des crédits d'impôts. Dans un pays aussi obsédé par les taxes, la mesure aurait dû être célébrée. En fait, elle est passée inaperçue. Selon un sondage du New York Times, 90 % des Américains ignorent que leurs impôts ont diminué depuis que Barack Obama est président (de 400 dollars par contribuable, 800 dollars pour les couples). 30 % sont même persuadés qu'ils ont augmenté.
Il est vrai que l'administration a voulu raffiner. Plutôt que d'envoyer un chèque, comme l'avait fait George Bush, et risquer de voir les Américains épargner ou éponger leur dette plutôt que de consommer, elle a choisi de réduire les prélèvements obligatoires. Beaucoup n'ont même pas remarqué le changement sur leur fiche de paie.
[...]
" A-t-il eu tort de l'imposer au lieu de se concentrer sur l'économie ?, demande Thomas Mann. D'après moi, les choix qu'il a faits étaient raisonnables. Il n'y a pas beaucoup de preuves que s'il avait agi autrement l'économie serait dans une situation différente. " Mais le chercheur estime que M. Obama a été trop patient. Pendant que les sénateurs prolongeaient les débats, trop contents d'avoir les caméras braquées sur la porte de leur salle de réunion, les républicains agitaient la base et le Tea Party s'organisait.
Deux dispositions de la loi seulement sont entrées en application. L'une autorise les enfants à bénéficier de la couverture de leurs parents jusqu'à 26 ans. L'autre interdit aux compagnies de refuser de couvrir les malades. L'essentiel de la réforme, les Bourses d'échanges et l'obligation de souscrire à une assurance, n'entreront en vigueur qu'en 2013-2014. La majorité des Américains ne voient pas les avantages immédiats et s'inquiètent de voir leurs primes augmenter. Ils sont maintenant une majorité à souhaiter l'abrogation de la loi. La campagne des républicains contre le projet n'a pas été dénuée de succès.
[...}
Barack Obama compte s'opposer farouchement à toute tentative de remettre en cause la réforme. " Il est persuadé qu'il a raison, dit le professeur Wayne, du fait que la réforme s'adresse aux plus démunis. Mais les gens ne veulent pas de politique de redistribution. Nous ne voulons pas payer de notre poche les soins de santé des pauvres. "
[...]
Les exemples abondent de perceptions erronées. Les républicains ont fait passer l'idée que l'administration était " anti-business ". Or, les profits des entreprises ont augmenté de 62 % entre mi-2009 et mi-2010, selon les statistiques du département du commerce (pour les petites entreprises, c'est sans changement). La base ignore que les banques qui ont bénéficié du plan de sauvetage ont commencé à rembourser, etc. Curieusement, le secteur des communications de la Maison Blanche n'est pas affecté par le remaniement de fait qui est intervenu depuis l'été dans l'entourage présidentiel, même si David Axelrod, le conseiller stratégique, est donné partant après les midterms pour préparer la campagne 2012.
Corine Lesnes
© Le Monde

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