Les "décodeurs", un blog du Monde
26 octobre 2012
Jeudi 25 octobre, François Fillon et Jean-François Copé étaient sur France 2, pour un "Des paroles et des actes" consacré à la confrontation de leurs idées, dans le cadre de la campagne pour la tête de l'UMP.(AA: l'émission n'a rassemblé que 2,3 millions de téléspectateurs, selon Médiamétrie, chiffre très éloigné des 5,9 millions atteints lors du face-à-face télévisé entre François Hollande et Martine Aubry, le 13 octobre 2011, lors de la finale de la primaire socialiste).
Les deux rivaux étaient interrogés chacun leur tour, puis en même temps, mais sans s'interpeller directement. Et parmi leurs propos, on recense nombre d'approximations et autres erreurs factuelles. En voici quatre pour chacun des deux protagonistes :
François Fillon survend son bilan et promet des choses intenables
1/ Fillon : "Les dépenses publiques ont baissé pour la première fois en France en 2011 - Il est interrompu par François Langlet, qui lui dit que c'est faux. "En volume, elles ont baissé"'.
Pourquoi c'est plutôt faux ? François Fillon cherche à prouver qu'il a bien géré l'Etat. Mais lorsqu'on lui rétorque que la pression fiscale a augmenté en France entre 2007 et 2012, il a recours à un autre argument : le fait que les dépenses publiques auraient diminué en France en 2011. Et il précise : "en volume, elles ont baissé". Effectivement, le gouvernement Fillon avait gelé, en valeur, la dépense publique en 2011.
Mais malgré ce gel, cette dépense a légèrement progressé, selon les documents officiels. Le rapport économique, social et financier produit en marge du projet de loi de finances 2013 montre, que la dépense publique a progressé, en volume, de 0,1% en 2011. Et si l'on prend le chiffre "hors plan de relance, livraisons de matériel militaire et recettes de fréquences hertziennes", la hausse est de 0,9%.
Par ailleurs, M. Fillon se trompe aussi en disant que cette baisse était "la première" dans l'histoire de France. La dépense publique a diminué à plusieurs reprises, comme on peut le constater sur ce graphique, extrait d'un rapport de 2010. En réalité, comme le note le texte, il est très difficile d'établir des comparaisons de long terme tant le contexte et les méthodes de calcul ont changé.
2/ Fillon : "Repousser les plans sociaux après les élections ? C'est absolument faux ! Nicolas Sarkozy a demandé qu'on repousse le plan social (AA: Peugeot), mais pas l'annonce du plan social. C'est un choix politique."
Pourquoi cette phrase est gênante ? L'accusation avait été martelée par la gauche durant la présidentielle : le gouvernement sortant aurait fait reculer des annonces de plans sociaux. M. Fillon s'emporte, assurant que tout cela est absolument faux... mais reconnaît tout de même que le président sortant a bien demandé qu'on repousse le plan social lui-même. Ce que M. Sarkozy a toujours nié.
L'ancien ministre du travail, Xavier Bertrand, qui a annoncé vendredi 25 octobre son soutien à M. Fillon, a d'ailleurs nié que M. Sarkozy ait demandéun délai à PSA. Et M. Fillon est revenu sur ses propos, expliquant dans un communiqué vendredi que "Nicolas Sarkozy n'a pas demandé qu'on repousse l'annonce du plan social, mais que tout soit tenté pour l’éviter, comme il a toujours essayé de le faire pour toutes les entreprises pendant cinq ans".
Mais cette phrase vient contredire les propos du patron de PSA, Philippe Varin, qui affirmait pour sa part, en début d'été "c'est une décision tellement importante qu'il n'était pas question d'en faire un enjeu de la période électorale. Nous avons attendu dès que possible", rappelle LeFigaro.fr,
3/ Fillon : [sur le mariage homosexuel] "En revanche, s'il y a une alternance, c'est une mesure sur laquelle il faudrait revenir, Parce que sur un sujet comme celui-là, on ne peut pas considérer qu'une fois le texte voté, les choses sont acquises"
Pourquoi cela paraît très complexe, pour ne pas dire impossible ? Sans doute conscient du rejet de ce projet socialiste parmi les militants UMP, M. Fillon promet un peu trop rapidement que si la droite reprend le pouvoir, elle "reviendra" sur cette loi. Or ce ne serait probablement pas possible.
L'article 2 du code civil le postule : "La loi ne dispose que pour l'avenir ; elle n'a point d'effet rétroactif". En France comme dans la plupart des pays, la loi ne revient pas en arrière.
Le principe est également inscrit dans le droit européen et consacré par la jurisprudence. Il serait donc en théorie possible de modifier la loi et d'abroger l'union entre couples de mêmes sexes, mais pas de faire perdre cet avantage aux bénéficiaires de la mesure, surtout s'ils sont nombreux. On créerait donc une situation d'inégalité de droit entre couples de même sexe unis avant l'abrogation et couples désirant s'unir après celle-ci. Une majorité qui arriverait au pouvoir une fois le mariage homosexuel rendu légal aurait donc très probablement beaucoup de mal à le défaire.
Un cas récent à l'étranger est celui de la "proposition 8", par laquelle les républicains de Californie ont tenté de faire annuler les mariages homosexuels conclus dans cet Etat. Après des années de procédure, elle a été jugée inconstitutionnelle. En Espagne également, une procédure judiciaire est en cours depuis sept ans pour abroger le mariage homosexuel, permis depuis 2005, mais les juristes estiment peu probable que la justice revienne en arrière et supprime une liberté civile acquise.
Si l'UMP revient au pouvoir en 2017, après quatre ans durant lesquels le mariage homosexuel aura été autorisé et des dizaines de milliers - on peut le supposer - de couples homosexuels unis, il sera donc extrêmement compliqué, notamment juridiquement, mais aussi politiquement, de trouver une manière de l'abroger.
4/ Fillon : "Jamais je n'appelerai à voter pour ce parti (le FN). Mas jamais je n'ai appelé à voter pour le PS."
Pourquoi c'est un peu plus compliqué que cela ? François Fillon semble oublier sa prise de position des cantonales 2011. Devant le bureau politique de l'UMP, l'ancien premier ministre s'était montré quelque peu ambigu : ""Il ne faut pas tomber dans tous les pièges que l'on nous tend. D'ici à dimanche, nous devons d'abord mobiliser les abstentionnistes. Et là où il y a un duel entre le PS et le FN, nous devons d'abord rappeler nos valeurs et rappeler que nos valeurs ne sont pas celles du Front national".
Alors que Nicolas Sarkozy et Jean-François Copé avaient édicté, pour cette élection, la consigne qui deviendra le fameux "ni-ni" (ni appel à voter PS, ni appel à voter FN), le premier ministre de l'époque était, lui, plus ambigu, même s'il n'a pas appelé à voter socialiste explicitement.
Jean-François Copé invente des emplois non pourvus et des alliances à gauche
1/ Copé : "Avec mes amis, nous sommes montés à Paris faire cette loi sur l'interdiction de la burqa".
Pourquoi c'est quelque peu romancé ? Jean-François Copé n'a de cesse, dans cette campagne, de jouer la province contre Paris, accusé de tous les maux et assimilé à la "presse parisienne" et sa "bien-pensance". Et lorsqu'il veut vanter son action contre le port du voile intégral en 2010, M. Copé prend des accents de campagnard qui serait "monté à la capitale" de manière exceptionnelle.
La phrase n'est pas factuellement fausse. Elle est toutefois d'une belle hypocrisie. D'une part, Meaux, la ville de M. Copé, se situe à 37 km de Paris. Sauf en cas d'embouteillages, "monter" à la capitale prend une vingtaine de minutes. Ensuite, lorsqu'il a fait adopter sa résolution contre le port du voile intégral, le maire de Meaux était surtout connu comme président du groupe UMP à l'Assemblée nationale.
Dire qu'il est "monté à Paris" avec ses amis reviendrait à dire qu'il n'y était pas souvent. Or, comme le montrent les relevés du collectif "Regards Citoyens", M. Copé était plutôt présent très souvent dans l'Hémicycle en 2010, ce qui est logique lorsqu'on pilote la majorité parlementaire.
Du reste, on peut rappeler que M. Copé possédait en 2005 un appartement de 184 m² dans le XVIe arrondissement de Paris. Il occupait alors également un logement de fonction, arguant que son propre logement était en travaux. Selon Mediapart, l'appartement a été revendu en 2008.
2/ Copé : "Il y a entre 350 et 500 000 emplois non pourvus"
Pourquoi c'est impossible à dire ? Interrogé sur le chômage en France, M. Copé a évoqué un "problème d'offre" et jugé qu'il ne s'agissait pas d'une question de manque de travail, puisque, selon lui, des centaines de milliers d'offres d'emploi ne seraient, selon lui, pas pourvues. Un argument qu'on retrouve, surtout à droite, depuis des années.
Pourtant, tous les spécialistes, qu'ils soient plutôt marqués à gauche ou plutôt à droite, s'accordent à le dire : ce chiffre, qui ne varie pas depuis des années, n'a aucune réalité. Il correspond à une très vieille enquête, de l'association des directeurs de ressources humaines, en 2007. Encore celle-ci précisait-elle que le chiffre correspondait aux offres non statisfaites de Pôle Emploi. Or celles-ci ont pu l'être car l'employeur a changé d'avis, ou car il a recruté hors de l'agence.
Une source pour ce chiffre est une enquête sur les besoins de main-d'œuvre, réalisée par le Credoc et Pôle emploi, selon laquelle 38% des recrutements seraient jugés "difficiles", ce qui correspondrait à 579 600 emplois. Mais recrutement difficile ne veut pas dire impossible. Les offres non pourvues sont très souvent issues de secteurs comme le BTP ou la restauration, où l'on cherche une main d'oeuvre non qualifiée pour des contrats le plus souvent à durée déterminée, où salaires et conditions de travail sont souvent peu attractifs.
Mais en réalité, personne n'est capable de chiffrer combien d'offres sont non pourvues en France : la majorité des recrutements se font hors de Pôle Emploi, qui n'en collecterait que 35%, selon le journaliste du Figaro Marc Landré. Et Pôle Emploi connaît nombre d'erreurs (annonces non retirées quand l'offre est pourvue, offre suprimée...). En réalité, personne n'est capable d'estimer combien d'emplois ne sont pas pourvus.
3/ Copé : "Le PS est allié avec l'extrême-gauche de Jean-Luc Mélenchon, qui n'a rien à envier à l'extrême-droite de Marine Le Pen."
Pourquoi c'est plutôt faux ? L'affirmation est répétée à longueur de meetings par Jean-François Copé, et elle sert de base à la différenciation qu'il opère entre l'UMP qui refuse toute alliance avec le FN et la gauche qu'il accuse d'être "alliée à l'extrême-gauche".
D'une part, Jean-Luc Mélenchon et le Front de gauche sont-ils "l'extrême-gauche" ? L'affirmation pourrait se discuter : il existe d'autres partis (LO, NPA) qui se placent plus à gauche que le Front de gauche sur l'échiquier politique.
Mais surtout, quelle est la réalité de cette "alliance" ? Dernièrement Jean-Luc Mélenchon et le FdG ont été tout aussi critiques à l'égard du gouvernement socialiste que l'UMP. Auparavant, le Front de gauche avait refusé de participer au gouvernement des socialistes. Et encore auparavant, le parti de M. Mélenchon avait certes appelé à voter Hollande, mais "pour chasser Sarkozy" et non par adhésion pour son programme.
"Il n'y a pas le choix, si on veut chasser Nicolas Sarkozy, il n'y a qu'un bulletin de disponible", avait lancé dans M. Mélenchon sur RMC-BFMTV le 4 mai. "Il ne nous le demande pas et nous ne lui demandons pas de nous caresser la tête en nous proposant des quarts de révolution citoyenne ou des dixièmes de VIe République ou des morceaux de notre programme, ce n'est pas notre manière de faire".
En dehors d'un accord tacite et pas toujours respecté d'appeler à voter pour le candidat de gauche restant au second tour, il n'existe aucune alliance programmatique entre Front de gauche et PS, même s'il faut rappeler qu'un certain nombre de villes sont dirigées par des "majorités plurielles" comprenant des membres du PC ou du Parti de gauche.
Vendredi 25 octobre, le Front de gauche a menacé de porter plainte en diffamation contre M. Copé, qui avait, la veille, estimé que le parti de M. Mélenchon comportait des "maoïstes et des trotskistes" qui appellent "à la violence et à la haine".
4/ Copé: "Le Front national travaille tous les jours à notre destruction. Je rappelle qu'entre les deux tours de l'élection présidentielle, Marine Le Pen a appelé à faire battre Nicolas Sarkozy."
Pourquoi c'est complètement faux ? Là encore, M. Copé réécrit quelque peu l'histoire : Marine Le Pen n'a jamais appelé dans l'entre-deux-tours à faire battre Nicolas Sarkozy. La dirigeante du FN a, au contraire, refusé de donner une consigne, expliquant, le 23 avril sur France 2 : ""Je considère depuis longtemps Nicolas Sarkozy et François Hollande sur la même ligne sur des sujets qui m'apparaissent absolument essentiels, dont le premier est évidemment la souveraineté de notre pays"
Une affirmation répétée lors de son discours du 1er mai: "Je n'accorderai ni confiance, ni mandat à ces deux candidats. Dimanche, je voterai blanc". Et à ses partisans : "Chacun d'entre vous, chacun d'entre nous fera le sien. C'est de notre avenir commun dont nous parlons, vous êtes des citoyens libres et vous voterez selon votre conscience, librement !"
Il est exact que la présidente du FN souhaitait sans doute la défaite de M. Sarkozy, à laquelle elle avait électoralement intérêt. Mais il y a une différence entre souhaiter et appeler à une défaite.
Samuel Laurent