Commentaires AA à la fin
"Les ingrédients du populisme sont là et dépassent l'électorat de M. Le Pen"
LE MONDE |
Michel Winock, 75 ans, spécialiste de l'histoire politique et idéologique de la France contemporaine, compare la situation française actuelle avec celle de la fin du XIXe siècle ou celle des années 1930.
Que vous inspire ce sondage? (AA: celui qui montre que les Français pensent qu'il y a trop d'immigrés en France, qu'il manque un chef, que la délinquance est trop forte., que l'islam est contraire à nos valeurs..)?
"La France a peur." Les mots prononcés de manière théâtrale à la télévision par Roger Gicquel, en 1976, sont d'actualité. Aujourd'hui, ce sondage l'atteste, ce qui hante la société française n'est plus l'horreur d'un fait divers, mais la peur du présent et de l'avenir.
Les Français – du moins la grande majorité d'entre eux – semblent avoir peur de tout : du chômage croissant, de la détérioration économique, de la mondialisation, des étrangers trop nombreux, de l'Union européenne, de l'islam conquérant et intolérant. Se prononcent-ils en faveur de moyens de redressement ? Ils répondent : redressement de l'autorité et repli sur le pré carré.
Certes, on note dans les réponses des personnes interrogées des contradictions ou des nuances, mais l'ensemble du sondage laisse un goût de désespérance prononcé.
Cette crise de l'opinion a-t-elle des précédents ?
Cette situation de l'esprit public, morose, délétère, angoissé, la France l'a déjà connue, en dehors même des années de guerre. Pour commencer, la dépression économique des années 1880 qui a frappé tous les secteurs professionnels et provoqué marasme général et chômage massif. Les difficultés budgétaires ralentissent les commandes de l'Etat. La crise du phylloxéra dévaste la viticulture ; la concurrence des blés étrangers fait chuter les prix ; le petit commerce pâtit des premiers grands magasins.
La crise économique se double d'une crise politique à la suite des élections de 1885 qui ne dégagent aucune majorité stable, la valse des ministères s'ensuit ; l'antiparlementarisme s'enflamme.
L'un des traits de l'opinion qui ressemble aux résultats de votre sondage est le rejet des travailleurs étrangers. Les tribuns de la plèbe s'emparent du sujet, et pour longtemps. Début mai 1893, un débat allume le Parlement sur les "conditions du séjour des étrangers en France et sur la protection du travail national". Le terme d'"invasion" devient courant.
A la xénophobie est lié le déferlement de l'antisémitisme, orchestré par Edouard Drumont, auteur de La France juive, et bientôt directeur d'un quotidien, La Libre Parole, qui divulgue les crimes prétendus des enfants de Moïse, autant de flèches empoisonnées que répercute toute une presse nationaliste.
La demande pressante d'un retour à l'autorité, qui devrait s'incarner dans un chef populaire, a pris la figure du mouvement boulangiste entre 1886 et 1889. Son échec n'a pas été définitif : les ligues de l'affaire Dreyfus, à la fin du siècle, reprendront aussi bien sa flamme antiparlementaire que l'antisémitisme de Drumont.
La comparaison est souvent faite, également, avec la situation des années 1930...
Comme à la fin du XIXe siècle, la crise économique qui affecte la France dans les années 1930 est une crise mondiale, dont elle ne perçoit pas toujours les tenants et les aboutissants. Les réactions d'une partie de la grande presse reprennent la forme de la xénophobie et de l'antisémitisme : "M. Léon Blum, écrit Jean-Pierre Maxence, par toutes ses fibres, représente l'étranger. " Le Front populaire, vainqueur des élections de 1936, est accusé d'accélérer les nationalisations. Le vieux slogan de Drumont : "La France aux Français !" est repris de plus belle. "Au Parlement, dans la rue, chez les médecins, la question juive est désormais au premier rang", lit-on, en avril 1938, dans Je suis partout qui lui consacre un numéro spécial.
L'arrivée d'Allemagne des juifs persécutés alarme les autorités publiques. Une circulaire de 1933 déclare : "L'introduction en France des Israélites chassés d'Allemagne doit se poursuivre avec une extrême circonspection." Les boucs émissaires sont désignés. Il faut maintenant rétablir l'autorité, et vous voyez toutes les ligues de droite et d'extrême droite se faire concurrence en appelant un chef. Gustave Hervé trouvera la solution dès 1936 : "C'est Pétain qu'il nous faut !"
Pensez-vous qu'il existe un réel danger de populisme aujourd'hui ?
Comparaison n'est pas raison, on le sait. Les deux précédents évoqués se situent dans des contextes historiques très différents du nôtre. Ce qui me frappe simplement, c'est la résurgence de stéréotypes connus, fondés à la fois sur des aspects de la réalité et sur des fantasmes : l'idée de la décadence (déclin de la France "inéluctable"), le rejet des élites politiques (corrompues), le voeu d'un retour à l'autorité, la demande de protectionnisme, la xénophobie (trop d'étrangers en France), et la substitution de l'islamophobie à l'antisémitisme.
Les ingrédients du populisme sont là et dépassent les rangs des électeurs de Marine Le Pen. C'est une rude réalité avec laquelle doivent se colleter les partis républicains, de droite comme de gauche. En même temps, la "droitisation" de l'UMP peut y trouver sa justification, au risque d'aggraver l'affrontement entre "deux France". Mais l'histoire est imprévisible : on ne peut inférer du passé les lendemains qui nous attendent.
AA: Les parallèles sont bien évoqués par M Winock J'ajouterai quelques considérations personnelles:
- Aujourd'hui, l'économie est mondialisée et les économies nationales sont interdépendantes, même si certains tirent leur épingle du jeu...
- L'information circule plus qu'auparavant, mais les mêmes fantasmes existent toujours, cultivés par les extrémistes de droite.
- Les pays d'Europe (à part, l'Allemagne, étonnamment) voient l'émergence de ceux que l'on appellent pudiquement les "populismes". mais ces derniers (dont le FN en France) sont tout aussi xénophobes (surtout à l'égard des Musulmans) et antisémites (voir, spécialement dans les pays de l'Est où "la bête immonde n'est pas morte": l'exemple du Jobbik en Hongrie est parlant).
- Le culte du chef...Curieusement y échappent les royautés! Hollande incarne le contraire du culte du chef et les démocrates devraient s'en réjouir: mais...
- Dans les époques citées par l'historien, le fric-roi n'existait pas encore! Or c'est bien un accélérateur des inégalités, très mal ressenties...En France, il est curieux que le FN, surfant sur cette réalité, apparaisse comme le chantre de la lutte contre le fric-roi, alors que la fortune de JM Le Pen n'est un secret pour personne...
- La question est de savoir comment redonner confiance et espoir...Une société plus juste, de l'argent mieux réparti, des élus exemplaires: voilà des solutions bien connues, pourtant...
L ARGENT SOUS FORME D EMPLOIS POUR LES ELUS ET LEUR FAMILLE EST MIEUX REPARTI GRACE A L' A N P S. LES SERFS DEMERDEZ VOUS!
RépondreSupprimerGustave Hervé était socialiste. Le parti populiste RNP a été créé par un socialiste, Déat. Le parti populiste PPF a été créé par un communiste, Doriot. Jusqu'à Drieu La Rochelle qui écrit "Socialisme Fasciste".
RépondreSupprimerAlors, il y a un racisme d'extrême droite avec son anti-parlementarisme, son anti-républicanisme etc...
Mais le populisme et le fascisme, en France, c'est quand même bien la gauche. C'est bien parce que je suis de gauche que je l'ai à l'esprit; voilà vers quoi il ne faut pas aller.
Oui, c'est vrai, les solutions existes. Pour les mettre en oeuvre, il faut juste des gens honnêtes. Sur la durée.
RépondreSupprimerBardés plus ou moins de bonnes intentions, ils arrivent au pouvoir, et là, c'est caranaval... la soupe est servie et ces messieurs dames ont très faim. Plus que de raison.
Tom Jericho.
oups (existent)
RépondreSupprimerTom Jericho.