Comme tous les mercredis, l'"improbablologue" P. Barthélémy nous gratifie d'une analyse humoristique d'un fait de société, voire scientifique, apparemment anodin...
" Sans buisson dessous, l'arbre semble plus grand "
Le Monde 29/6
Voilà. La tyrannie des apparences a triomphé des esprits et des corps. Le paraître l'a emporté sur l'être. La preuve définitive nous en est donnée tous les jours par… le poil. Voyez : des hordes de hipsters ont envahi nos villes, nos magazines et nos plateaux de télévision avec leur barbe taillée au micromètre près ; les footballeurs imposent leurs -excentricités capillaires à une jeunesse qui décroche son bac sans savoir qu'il faut un " x " à cheveux quand il y en a plusieurs ; et la mode du string et du microkini a fait des ravages dans les broussailles pubiennes de ces dames, au point qu'on s'est déjà inquiété dans cette chronique du sort futur du morpion, qui file droit vers l'extinction, en raison de la perte de son -habitat naturel, le poil, le mont de Vénus se confondant de plus en plus avec le mont Chauve.
Les diktats esthétiques font la loi partout, y compris dans les culottes… de ces messieurs. Ils avaient beau dire, depuis le début des temps, que la taille ne faisait pas tout – en s'évertuant néanmoins à donner à leur sexe des surnoms flatteurs comme " colosse ", " troisième jambe " ou " manche de gigot " –, les hommes ont vu, démocratisation du porno aidant, des dimensions " standard " s'imposer à leur pénis qui s'en -serait bien passé. Au point que, selon une étude de 2008, la taille de la verge était, chez la gent masculine, le troisième motif d'insatisfaction physique, derrière le poids (du reste du corps) et la musculature.
Ce nouveau complexe, né de la comparaison avec une image déformée de ce que la quéquette devrait être, fait la fortune des marchands de gonflette -pénienne. On ne compte plus les inventions – qui ne dépareraient pas le bien-nommé concours Lépine – cherchant à faire gagner quelques centimètres : poids à attacher pour étirer la bestiole, machines électriques, pompes, pilules aux herbes, sans oublier le -recours à la phalloplastie. Une astuce moins aventureuse – quoique – a été avancée par… un célèbre marchand de rasoirs : le rasage du pubis (le poil, toujours le poil), avec un slogan affirmant que " sans buisson dessous, l'arbre semble plus grand ". Tailler le taillis pour créer une illusion d'optique, donc.
Où est la science là-dedans, me direz-vous ? On y vient. La vidéo qui accompagnait cette campagne -publicitaire ayant attiré des millions de personnes sur YouTube, -Matthew Hall, chercheur à l'université de Lancaster (Royaume-Uni), a décidé de passer au tamis les quelque 5 129 commentaires laissés par les internautes, pour analyser la manière dont les hommes, dans des arguties profondément philosophiques, justifiaient d'avoir recours à une pratique jusqu'ici perçue comme une affaire féminine et peu en rapport avec les clichés sur la virilité…
Dans son étude, publiée en décembre 2015 par la -revue Sexualities, il a constaté que les commentateurs ont, dans l'ensemble, bien pris garde de ne pas mettre la délicate question de la taille au centre du " débat ", faisant croire qu'il s'agissait avant tout d'un problème d'hygiène et d'esthétique, voire d'un effort pour l'égalité des sexes : " Pourquoi attendrait-on des femmes qu'elles fassent le ménage en bas et pas des hommes ?,demande ainsi un internaute.(…) C'est le respect. (…) Bienvenue dans le XXIe siècle. " D'autres, plus directs, expliquent que leurs compagnes ne leur accordent certaines privautés qu'à condition d'avoir tondu la zone. En conclusion, Matthew Hall note que les hommes modernes sont obligés de reformuler leur discours sur le corps masculin pour y intégrer des pratiques " hybrides ", importées de l'univers féminin. Oui, bienvenue dans le XXIe siècle.
Pierre Barthélémy