L'exercice du pouvoir selon le FN

S'il fallait illustrer le pouvoir autocratique du chef au FN, la comparaison, rappelée, ci-dessous, entre le père et la fille Le Pen, placés dans une situation similaire, est révélatrice. 

Petit à petit, à travers la "comédie du pouvoir" qu'il nous est donnée de voir au sommet du parti, mais aussi à travers l'exercice autocratique  du pouvoir dans les villes à majorité FN, se dessine ce que serait l'arrivée à la présidence de la République du parti d'extrême droite :  une dictature comme la France n'en a jamais connue ! Tout relève du chef et l'on doit se plier à sa seule volonté, tel est le message de ce qui suit. 

Le Monde 6 mai 2015 Deux générations, une même pratique du pouvoir

Jean-Marie Le Pen ne l'a jamais caché : il n'a pas été un père très présent pour ses filles. Mais à défaut de prendre le rôle de tuteur, le cofondateur du Front national a joué celui de modèle, en particulier auprès de Marine Le Pen. En décidant de suspendre son père, et en convoquant une assemblée générale pour le déchoir de son statut de président d'honneur, la présidente du FN reproduit aujourd'hui les méthodes que ce dernier n'hésitait pas à utiliser à l'encontre de ses adversaires politiques, dans la plus pure tradition d'un mouvement centré sur l'autorité et le respect du chef. En essayant de faire taire toute contestation interne, Mme  Le Pen franchit un pas supplémentaire dans sa prise en main d'un parti qu'elle souhaite dirigé vers la conquête du pouvoir.

" Je suis comme Magellan : quand mon second ne suit pas mes ordres, je lui fais subir le supplice de l'estrapade " (AA : méthode de torture où le bourreau attache les bras de la victime à des cordes, le plus souvent derrière le dos, puis hisse le supplicié jusqu'à le suspendre ), avait lâché, en  1998, un Jean-Marie Le Pen inquisiteur à la veille de la scission provoquée par Bruno Mégret, cité dans Histoire du Front national, de Dominique Albertini et David Doucet (Taillandier, 2013). Le président et le délégué général du FN, en désaccord sur la ligne politique à adopter pour permettre au mouvement de franchir un cap, avaient trouvé dans la désignation de Jany Le Pen comme tête de liste pour les élections européennes de 1999 un motif pour faire éclater leur rivalité. La décision avait été imposée de manière discrétionnaire par M. Le Pen, inéligible à l'époque, qui préférait laisser la place à sa femme plutôt qu'à son dauphin. Ulcéré par la méthode, M.  Mégret avait réclamé l'organisation d'un congrès extraordinaire qui devait lui permettre de solder les comptes. Las, il avait été suspendu de sa fonction de délégué général et de sa " qualité d'adhérent " du FN. La même terminologie que celle qui est utilisée aujourd'hui par Marine Le Pen contre son père.

" Discipline "

" Le parti est fondé sur la discipline. C'est un mot qui a du sens au Front national, c'est même une mystique que l'on retrouve dans tous les discours : il y a un chef qui incarne la volonté populaire à lui tout seul, et pour ce chef, on sacrifie toute critique ", analyse Cécile Alduy, de l'Observatoire des radicalités politiques de la Fondation Jean-Jaurès. Rien d'étonnant, dès lors, que la plupart des instances du parti procèdent de la volonté de son président, ou de sa présidente. Les élections au comité central qui ont été organisées lors du congrès de Lyon, en novembre  2014, ont beau avoir placé en tête Marion Maréchal-Le Pen, les proches de cette dernière n'ont par exemple pas obtenu les postes de direction afférents. Car pour la présidente du FN, il est une dimension qui compte plus que tout : son propre score.

" Les adhérents du Front national m'ont élue avec 100  % des suffrages sur une ligne politique extrêmement claire qui a toujours été la mienne, c'est celle-là qu'ils veulent voir appliquer ", a assuré Mme Le Pen, dimanche 3  mai, lors du " Grand rendez-vous " Europe  1, i-Télé et Le Monde. Elle s'en prenait alors aux contestations émises par M.  Le Pen, " des actes de malveillance ". Hors de question de se laisser parasiter par un père dont elle s'est démarquée progressivement et dont elle a circonscrit l'influence. Dès 2005, elle avait fait connaître sa désapprobation face aux propos tenus dans Rivarol par l'ancien candidat à la présidentielle, pour qui " l'occupation allemande n'a pas été particulièrement inhumaine ". Une prise de distance politique qui s'est amplifiée avec les années et la multiplication des dérapages paternels. " Monseigneur Ebola " capable de " régler (…) l'explosion démographique " en Afrique, le " point de détail " réitéré, les " fervents pétainistes " du Front national… Pour la présidente du FN, son autorité ne peut plus souffrir des " épées de Damoclès " que représentent ces sorties.

" C'est une guerre des chefs, l'enjeu est de savoir qui a le droit à la parole. Marine Le Pen est en train de rejouer la scission de 1998, c'est elle qui prend le rôle de Jean-Marie Le Pen. Elle fait acte d'autorité pour imposer son leadership et sa ligne politique, et étouffer dans l'œuf d'autres velléités de contestation qui pourraient émerger, contre la ligne Philippot notamment ", relève Cécile Alduy. Sûre de l'efficacité de sa ligne économique, la plus sujette à débat au sein de son mouvement aujourd'hui, Mme  Le Pen entend resserrer les rangs à l'aube de l'élection présidentielle de 2017. Et pourquoi pas dépasser le modèle paternel, qui avait la réputation de ne pas être intéressé au fond par la conquête du pouvoir.

Olivier Faye