Vous n'y croyez toujours pas ?

L'Homme est une météorite géante. 

Le Canard enchaîné 2/9/2015

La première fois qu'on en entend parler, on n'y croit pas. Encore une exagération d'écologistes catastrophistes ! Essayez de vous souvenir : quand les termes de "sixième extinction" sont-ils arrivés pour la première fois à vos oreilles ? Quand avez-vous pris connaissance des faits suivants : à partir de la révolution industrielle, et surtout depuis la seconde guerre mondiale, l'homme a enclenché un véritable massacre du vivant; la disparition des espèces animales est aujourd'hui si rapide et massive qu'il faut remonter à des millions d'années pour en observer une de telle ampleur; c'était alors la cinquième extinction, celle qui vit la disparition des dinosaures, provoquée par la chute d'une météorite géante dans le Yucatan, au Mexique ? L'homme moderne est une météorite géante. 

La preuve que nous avons du mal à y croire ? En 1995 parut aux Etats-Unis un livre (publié deux ans plus tard en France) dont le titre était "La sixième extinction". Ses auteurs, Richard Leakey, paléoanthropologue de renommée mondiale, et Roger Lewin, spécialiste de la biologie et de l'écologie de l'évolution, furent parmi les premiers à mettre ce phénomène en évidence, à le baptiser, à annoncer l'"extinction de 100 000 espèces par an", notamment à cause de la "réduction des habitats sauvages causés par le développement économique" et de la "déforestation tropicale". Seule une poignée de scientifiques, d'amis des animaux et d'écolos avaient relayé ce cri d'alarme.

Et voilà qu'aujourd'hui sort un livre qui porte exactement le même titre (1). Il parle de la même chose et présente une masse de preuves plus écrasante encore. Ecrit par Elizabeth Kolbert, une journaliste du New Yorker, il a reçu, en mai, le fameux prix Pulitzer et a commencé à toucher un large public. Vingt ans après, nous allons enfin croire cette incroyable histoire...

Il n'y a pas, en effet, que les ours polaires, les pandas, les éléphants ou les abeilles dont les populations s'effondrent. Si l'humanité poursuit sur cette voie, le quart des espèces aura disparu dans 50 ans et la moitié dans un siècle. C'est loin ?

Au zoo de Cincinnati, Elizabeth Kolbert va voir un rhinocéros de Sumatra, la plus petite et la plus ancienne des cinq espèces de rhinocéros existant encore, dont il reste moins de cinquante individus au monde, tenus en captivité, bichonnés, surveillés, étudiés par une armée de spécialistes. Au Panama, elle se rend au chevet des dernières grenouilles dorées, décimées par un micro-champignon sans doute dispersé à travers le monde par le biais de laboratoires d'analyse médicale. Près de l'île italienne d'Ischia, elle plonge au fond de la mer pour étudier les dégâts provoqués sur la faune par un excès de gaz carbonique. Et elle rappelle cet avertissement de Richard Leakey : "Homo sapiens ne sera pas seulement la cause de la sixième extinction, il en sera aussi une des victimes". La journaliste qui "n'a rien d'une pasionaria écologiste" (" Libération" 15/8), raconte tout cela à l'américaine : de cette hécatombe, elle fait une vraie story. Et c'est effrayant.

Pendant ce temps-là, que se passe-t-il en France ? Depuis mars le (timide") projet de loi de Ségolène Royal sur la biodiversité reste ensablé au Sénat. A EELV, on a tellement à faire avec les guéguerres intestines qu'on n'a pas de temps à perdre avec l'écologie. C'est bientôt l'ouverture de la chasse.

Jean-Luc Porquet

(1) " La sixième extinction", La librairie Vuibert, 370 p, 21,50 €. Disponible le 4 septembre.

Cet article est à rapprocher de celui du Monde du 20 août dernier : L’humain, un « insoutenable » superprédateur

Extraits : Les humains exploitent les poissons à un taux 14 fois supérieur, en moyenne, à celui des autres prédateurs marins. Ils tuent aussi des grands carnivores – comme les ours, les loups ou les lions – à un rythme 9 fois supérieur à celui qui voit ces prédateurs s’entre-tuer dans la nature. Cela signifie, concrètement, que l’industrie de la pêche capture 78 % de la population adulte de saumons d’Alaska par an, contre 6 % prélevés par les grizzlys – les plus gros prédateurs de cette espèce. Ou encore que nous chassons chaque année 32 % des pumas américains, contre 1 % tués par leurs congénères. "Contrairement aux autres prédateurs qui sont naturellement régulés par le nombre de proies, nous subsistons grâce à énormément d’espèces à la fois. Et comme nous sommes omnivores, ce qui implique que nous ne dépendons pas des proies pour notre survie, celles-ci diminuent sans que cela ne nous pousse à relâcher la pression." Les scientifiques appellent alors à changer de techniques de chasse et de pêche, pour cibler davantage les jeunes – une idée qui va à l’encontre des recommandations actuelles. Surtout, la prédation humaine doit être considérablement réduite.