vendredi 9 juillet 2010

Montebourg : "Il faut un juge d'instruction indépendant"




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LEMONDE.FR 09.07.10

L'intégralité du débat avec Arnaud Montebourg, député socialiste, vendredi 9 juillet, à 11 h .


Kous : Pourquoi le PS ne demande-t-il pas la démission d'Eric Woerth immédiatement ?

Arnaud Montebourg : Le premier combat que mènent les socialistes est celui de défendre le fonctionnement normal des institutions, c'est-à-dire la séparation des pouvoirs. M. Woerth et son comportement doivent faire l'objet d'une analyse et d'une enquête de la part d'institutions indépendantes du pouvoir auquel il appartient. Nous avons déjà demandé une commission d'enquête parlementaire. Elle vient d'être refusée par le pouvoir.

Nous avons demandé une enquête de la part d'un organisme indépendant sur les passe-droits fiscaux qui semblent avoir été offerts à plusieurs familles titulaires de très hautes fortunes : la famille Bettencourt ou la famille Wildenstein. On nous a sorti une mission de l'Inspection générale des finances qui répond aux instructions de l'actuel ministre du budget, et qui donc est totalement liée aux intérêts du pouvoir.

Damn : Et sur le rôle du procureur, Philippe Courroye ?

Arnaud Montebourg : Nous avons demandé une enquête judiciaire car il y a de très lourds soupçons que des délits pénaux aient été commis par la famille Woerth, notamment prise illégale d'intérêts ou trafic d'influence. On nous annonce une enquête du procureur Philippe Courroye, qui a été nommé dans les Hauts-de-Seine par le pouvoir, pour protéger précisément les intérêts du président dans ce département qui fut son fief. Hier encore, M. Courroye est cité dans les enregistrements clandestins, dont il refuse l'utilisation à titre de commencement de preuves.

Le procureur de la République n'est pas pour nous une institution indépendante digne de foi pour deux raisons : parce qu'il défend des ordres du pouvoir, et parce qu'il est mêlé à ce scandale et devrait donc déontologiquement se dessaisir au profit d'un juge d'instruction indépendant qui pourrait faire la lumière sur toute cette affaire.

Marc : Le conflit d'intérêt entre sa fonction de trésorier de l'UMP et celle de ministre n'est-elle pas démontrée ? Pourquoi ne pas demander sa démission sur ces bases ?

Arnaud Montebourg : D'abord, le mélange des genres entre un trésorier de l'UMP qui collecte auprès des très grandes fortunes des fonds pour le financement de son parti, et de ministre du budget qui restitue les fonds du bouclier fiscal à ces très grandes fortunes et qui organise l'inertie de son administration dans certains cas pour ne pas contrôler des auteurs de fraude fiscale est en soi une très grave infraction à la déontologie politique.

Je note que M. Woerth ne veut démissionner ni de l'un ni de l'autre. Pourtant, il sera obligé tôt ou tard de répondre de cette confusion des intérêts préjudiciable à l'intérêt public. J'ai exposé il y a quinze jours la position intenable dans laquelle se trouvait M. Woerth et à laquelle il aura à faire face. Je considère que M. Woerth aurait dû depuis longtemps quitter l'une ou l'autre de ses fonctions. En refusant de le faire, il n'aura pas d'autre choix que de rendre des comptes devant l'institution judiciaire.

Jano44 : Quelle est la position du PS par rapport à une intervention publique de Nicolas Sarkozy ?

Arnaud Montebourg : Le rôle du président de la République est d'être le garant du fonctionnement normal des institutions. Il aurait dû, et il peut encore le faire, organiser la protection des institutions mises en cause dans cette affaire. Il aurait dû contraindre le procureur Courroye à saisir un juge d'instruction. Première décision qu'un président de la République, à travers son garde des sceaux, aurait dû prendre.

Il aurait dû, dans le cadre de ses attributions constitutionnelles, saisir le Conseil supérieur de la magistrature au sujet de la mise en cause par les enregistrements clandestins du procureur Courroye et du risque déontologique dans lequel celui-ci se trouve. Et il aurait dû à tout le moins provoquer la démission de son ministre du travail des fonctions de trésorier de l'UMP, et demander à la Cour des comptes d'enquêter de façon indépendante sur les passe-droits fiscaux qui semblent avoir été octroyés à un certain nombre de financeurs de l'UMP. Enfin, son gouvernement aurait dû laisser se créer et fonctionner normalement la commission d'enquête parlementaire que l'opposition a demandée. Si nous étions en Allemagne, en Angleterre ou en Espagne, voilà ce qui se serait produit.

Si nous étions dans un autre régime que la Ve République, qui concentre trop de pouvoirs entre les mains du président de la République et pas assez entre les mains de contre-pouvoirs, en clair, si nous avions un régime beaucoup plus démocratique, il n'y aurait pas de crise politique, il n'y aurait qu'un ministre qui, s'il a fauté, serait sanctionné, sans que nous ayons besoin de demander chaque jour la nomination de pouvoirs indépendants, et sans que nous ayons besoin, nous, députés de l'opposition, de questionner en permanence le ministre sur ses agissements.

Vous comprenez pour quelles raisons je milite avec de nombreux amis rénovateurs pour la naissance d'une nouvelle démocratie dans notre pays, que nous appelons VIe République.

Romain : Le PS fonctionne-t-il également sur la base de dons privés ? Dans quelle mesure les partis politiques peuvent-ils s'écarter de cette source de fonds majeure afin de prévenir ce type de scandale ?

Arnaud Montebourg : Le trésorier du PS, Régis Juanico, s'est exprimé hier sur les conditions dans lesquelles la campagne électorale de 2007 avait été financée. Celui-ci a expliqué que le Parti socialiste n'avait reçu en 2007 que la somme de 100 000 euros en provenance de dons de personnes physiques, là où l'UMP a obtenu une somme considérable et qui fera précédent dans l'Histoire en terme de dons de personnes physiques : 7 millions d'euros.

Le Parti socialiste est un parti qui n'a pas de riches donateurs, car le plus gros don s'élève au niveau national à moins de 1 000 euros. Et au niveau des fédérations, je cite notre trésorier : "Nous avons moins d'une demi-dizaine de donateurs qui dépassent 5 000 euros."

Le système de financement de l'UMP est quant à lui professionnalisé et s'appuie, à l'évidence, sur les très hauts patrimoines et les très grandes fortunes. On comprend donc pourquoi le bouclier fiscal, que nous contestons depuis trois ans, ressemble aux remerciements personnalisés au système de financement de l'UMP. La signification profonde de ce que, finalement, la presse vient de mettre à nu, c'est une consanguinité entre le parti au pouvoir et les très grandes fortunes, pour ne pas dire les quelques milliardaires qui, par ailleurs, fraudent le fisc dans une période où nous avons besoin d'un surcroît de civisme pour remplir nos caisses publiques.

Bovary : Pourquoi, à part Ségolène Royal, vous et quelques individualités à gauche, le PS n'a-t-il pas montré plus de pugnacité dans cette affaire ?

Arnaud Montebourg : Nos députés se succèdent à la tribune de l'Assemblée nationale tous les mardis et mercredis depuis un mois pour questionner sans relâche le gouvernement. Martine Aubry s'est exprimée elle-même. Tous les orateurs du PS se sont peu ou prou exprimés, en posant inlassablement les mêmes questions.

Et c'est à l'opinion publique d'intervenir désormais et d'exprimer comme elle le peut, avec ses moyens, son indignation en questionnant, comme nous le faisons, sur les agissements du pouvoir.


Sur demande, je peux vous adresser la suite (alainalpern@gmail.com)

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