lundi 18 mai 2009

Grippe : l'OMS en fait-elle trop ?


LEMONDE.FR | 18.05.09

aris, septembre 2009. Des réservistes de l'armée patrouillent sur les Champs-Elysées, les frontières de l'Hexagone sont fermées, les aéroports placés en quarantaine. En ce mois de rentrée, les rues paraissent anormalement calmes. Des millions de salariés ont été invités à travailler à domicile, les transports publics tournent au ralenti, les écoliers, les collégiens et les lycéens ont repris les cours, mais chez eux : sur France 5, des vidéos préenregistrées remplacent les professeurs, priés d'éviter les établissements scolaires. Ces derniers ont d'ailleurs été transformés en hôpitaux de fortune, pour faire face à l'afflux de malades. Cela va sans dire, la tournée d'adieux de Johnny Hallyday est annulée, comme tous les spectacles et manifestations publiques prévus sur le territoire national.


Scénario catastrophe sorti des esprits pervers des scénaristes d'Hollywood ? Conséquences d'une attaque massive d'Al-Qaida ? Non, cette France paralysée et sous haute tension a simplement été placée en état d'alerte pandémique de niveau six, et tente de faire face à la menace d'une propagation massive du virus de la grippe porcine.

L'adoption de ces mesures drastiques n'a rien d'automatique. Elles doivent être prises au cas par cas, par une cellule interministérielle de crise. L'objectif : assurer, dans un pays fortement touché par une épidémie, la continuité de l'État, de la vie sociale et de l'activité économique. Toutes ces mesures sont contenues dans le document rédigé par le Secrétariat général de la défense nationale, un service qui dépend du premier ministre et a été chargé de doter la France d'un plan anti-pandémie grippale "applicable à toute souche grippale, quelle qu'en soit l'origine". Une première version a été établie en 2004 pour préparer le pays à une pandémie grippale d'origine aviaire. La quatrième édition du plan a été publiée le 20 février. C'est elle qui priverait Johnny Hallyday de concerts et renverrait les écoliers devant la télévision.

Les sept phases prévues dans le document correspondent aux étapes de l'Organisation mondiale de la santé – la septième correspondant, dans les deux cas, à la fin de la pandémie. La France, signataire d'un Règlement sanitaire international assez peu contraignant, n'a pas l'obligation d'adopter les mêmes niveaux d'alerte que l'OMS. Mais, depuis l'apparition du virus, elle l'a toujours fait. Si l'OMS passe en niveau six – celui d'une pandémie déclarée – la France, selon toutes vraisemblance, suivra le mouvement.

"PANIQUE INUTILE"

Réunis à l'occasion de l'assemblé annuelle de l'organisation, lundi 18 mai, les experts de l'OMS ont décidé de maintenir leur alerte au niveau cinq – celui d'une pandémie "imminente". L'OMS passe au niveau six lorsque le virus se transmet de façon soutenue dans plus d'une région définie. En théorie, l'évolution récente de la maladie au Japon, où un foyer autonome du virus semble se développer, pourrait justifier un passage au niveau six.

Seulement voilà, les soixante-quatorze morts recensés depuis l'apparition du virus, il y a un mois, justifient-ils de faire tourner la planète au ralenti ? Margaret Chan, numéro un de l'OMS, l'a reconnu dans une interview accordée lundi au quotidien espagnol El Pais : "Lorsque nous annoncerons que nous passons au niveau six, cela provoquera une panique inutile."

Cette inquiétude est partagée par plusieurs pays membres de l'organisation, qui craignent de devoir prendre des mesures de vigilance trop lourdes à supporter. La Grande-Bretagne, le Japon ou la Chine ont demandé à l'OMS plus de "flexibilité" dans ses décisions. La plupart des pays développés ont des plans similaires au plan français et leur mise en place aurait des conséquences économiques et sociales disproportionnées au vu de la gravité de la crise.

C'est justement la question de la "gravité" de la maladie qui est cœur du débat, explique Aphaluck Bhatiasevi, porte-parole de l'OMS, au Monde.fr : "C'est vrai que l'OMS ne prend en compte que la façon dont le virus se répand pour déterminer son niveau d'alerte. Nous ne pouvons pas faire autrement, le degré de gravité est un critère subjectif, qui varie selon les pays. Tous n'ont pas le même nombre de morts. Et les pays du Sud, qui ont une population plus vulnérable, sont favorables au maintien des critères actuels." L'organisation, par la bouche de Mme Bhatiasevi, se dit toutefois "disposée à étudier la requête des Britanniques, des Chinois et des Japonais et à prendre une décision rapidement". Toutefois, assure-t-on, la décision de maintenir le niveau d'alerte à cinq n'a rien à voir avec d'éventuelles pressions de certains membres.

Reste que le virus est toujours considéré comme hautement dangereux. Lundi, devant l'Assemblée des 193 Etats membres de l'organisation, Mme Chan a lancé une ferme mise en garde. "Le virus nous a peut-être accordé un répit, mais nous ne savons pas pour combien de temps. Personne ne sait s'il ne s'agit pas du calme avant la tempête", a-t-elle insisté. "Nous avons toutes les raisons de craindre des interactions du nouveau virus A(H1N1) avec d'autres virus", a-t-elle averti, en évoquant la possibilité d'un échange de gènes avec le virus de la grippe aviaire "aujourd'hui solidement établi chez les volailles dans plusieurs pays". Une interaction pourrait donner naissance à un virus aussi contagieux que le A(H1N1) d'origine porcine et aussi virulent que le A(H5N1) aviaire.


Benoît Vitkine


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