lundi 20 décembre 2010

Le bon roi Henri a toute sa tête

(Le Monde 17/12/10)


Une reconstruction numérique du visage du souverain a pu être faite à partir de sa tête momifiée.
Légiste, toxicologue, historien... Une vingtaine d'experts ont uni leurs forces pour authentifier le crâne embaumé d'Henri IV, perdu depuis la Révolution


Le quadricentenaire de l'assassinat d'Henri IV - mortellement frappé, le 14 mai 1610, rue de la Ferronnerie, à Paris, d'un double coup de couteau au thorax porté par le plus célèbre des régicides, Ravaillac - s'achève en majesté. Une tête momifiée a été authentifiée, par une vingtaine d'experts, comme celle, égarée dans la nature depuis la Révolution française, du monarque au panache blanc.
" C'est un moment extraordinaire ! Ce roi, qui a été célébré toute l'année, nous revient aujourd'hui sous son apparence mortelle, dit avec émotion Jean-Pierre Babelon, président honoraire de la Société Henri IV et biographe du souverain. Pour un peu, on croirait qu'il pose son regard sur nous. "

L'histoire de la tête royale est un roman à rebondissements. Après sa mort, Henri de Navarre est embaumé et inhumé, avec les autres rois de France, dans la basilique Saint-Denis. Mais, en 1793, la nécropole est profanée par les révolutionnaires. " Son cadavre fut dressé devant la foule dans son cercueil, relate l'historien. Violemment souffleté, il se brisa un bras, une jambe, vit ses moustaches arrachées. Alexandre Lenoir, commissaire des beaux-arts, intervint pour sauver le malheureux, qui fut finalement rejeté avec les autres corps dans la fosse commune des souverains. "
Ici commence le mystère. Car lorsque, en 1817, Louis XVIII fait rouvrir la fosse, trois corps, dont celui d'Henri, ont perdu leur chef. Alexandre Lenoir les avait-il fait trancher et mettre de côté ? La piste d'un comte allemand, qui aurait obtenu la précieuse relique pour sa collection privée, a été évoquée. Mais, selon Jean-Pierre Babelon, il y aurait erreur sur la personne.

Toujours est-il qu'en 1919 une tête embaumée est mise aux enchères à Drouot, où elle est achetée, pour 3 francs, par Joseph-Emile Bourdais, photographe à Dinard (Ille-et-Vilaine). Ce passionné d'histoire, persuadé d'avoir mis la main sur le crâne fantôme, se dépensera en recherches et tentera de le faire authentifier. En vain. En 1947, le Musée du Louvre refuse même son acquisition. Joseph-Emile Bourdais mort, le trophée est remis en vente à Drouot, en 1955, et devient la propriété d'un autre féru d'histoire, qui le conservera chez lui, secrètement, jusqu'en 2008.
C'est alors que les morceaux vont être recollés. La pièce à conviction est confiée par son possesseur, aujourd'hui retraité (et dont l'anonymat est préservé), au docteur Philippe Charlier, médecin légiste à l'hôpital Raymond-Poincaré de Garches (Hauts-de-Seine). Ce spécialiste de la pathographie - l'art de faire parler les dépouilles célèbres - s'est déjà illustré en établissant qu'Agnès Sorel, la favorite de Charles VII, avait été intoxiquée par du mercure. Et qu'une côte noircie attribuée à Jeanne d'Arc appartenait, en réalité, à une momie égyptienne.

L'expertise, dont les résultats sont rapportés par l'édition en ligne du British Medical Journal, a tout d'une enquête policière. Elle a mobilisé une brigade de spécialistes de quinze établissements, la plupart français, mais aussi italien, danois et américain. Toutes les disciplines ont été convoquées auprès de la tête couronnée : médecine légale, archéologie, histoire, toxicologie, paléogénétique, anthropologie... Des " nez " des maisons Guerlain et Jean Patou ont même été sollicités, afin d'analyser les odeurs émanant du noble vestige, en particulier les substances végétales déposées dans sa bouche afin de masquer les exhalaisons fétides.

" Quand je me suis retrouvé face à cette tête, j'ai été saisi. Elle est si bien conservée que j'ai eu la sensation qu'elle allait parler ", raconte Joël Poupon, spécialiste des analyses toxicologiques à l'hôpital Lariboisière de Paris, qui l'a examinée sous toutes les coutures.
La relique, de couleur marron clair, se présente bouche ouverte, yeux mi-clos. Le sommet du crâne est dégarni, mais de nombreux cheveux et poils de moustache et de barbe, roux ou blancs, sont présents. Les dents, dont beaucoup sont tombées du vivant du roi, sont en piteux état. Trois marques de découpe, sur les cervicales inférieures, attestent d'une décapitation post mortem.
Plusieurs indices, correspondant à des traits distinctifs souvent représentés sur les portraits du souverain, ont permis l'identification. D'abord, une petite marque sombre en forme de champignon - une verrue ? -, au-dessus de la narine droite. Ensuite, un trou percé dans le lobe de l'oreille droite, suggérant le port continu d'une boucle d'oreille, pratique répandue à la cour.

Ce n'est pas tout. Une blessure cicatrisée, dans la partie gauche du maxillaire supérieur, témoigne du coup de lame reçu en décembre 1594, lors d'une précédente tentative de meurtre. La datation au radiocarbone concorde elle aussi, en situant les restes entre 1450 et 1650. De même, la reconstruction numérique de la boîte crânienne s'accorde avec les moulages réalisés juste après le décès d'Henri IV.

Les tests génétiques de paternité de tête n'ont pas été possibles, faute de fragments d'ADN non contaminés. Mais des traces d'argile et de plâtre ont été relevées, reliquats des différents moulages effectués sur l'auguste chef. Et l'analyse comparée des isotopes du plomb, dans les cheveux de la momie et d'autres résidus pileux déjà certifiés comme véridiques, montre " une similitude de composition ", indique Joël Poupon.
L'investigation a aussi mis en évidence une technique d'embaumement particulière, dite " à l'italienne ", dans laquelle le cerveau est conservé. Une bande noire circulaire à la base du cou s'est révélée faite de pigments charbonneux, du noir ivoire utilisé en peinture, destinés à absorber les fluides de décomposition.

Après plus de deux siècles d'errance, la tête perdue devrait être remise au prince Louis de Bourbon, duc d'Anjou, descendant d'Henri IV et prétendant à la couronne de France. Avant de rejoindre la basilique Saint-Denis. Alors sera enfin réparé le crime de lèse-majesté. 

Pierre Le Hir

1 commentaire:

  1. PEUT ETRE QUE GRACE A L ADN LES CHERCHEURS VONT DECOUVRIR UN LIEN DE PARENTE ENTRE SALADIN ET LORELEI.

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