Est-il encore crédible ?

Après avoir accusé les syndicats, les Musulmans, les patrons, la presse, les juges... d'avoir élu F. Hollande, N. Sarkozy reste "obsédé" par 2017. Pourtant, beaucoup, même parmi les siens, doutent qu'il soit capable de l'emporter.

« Il n’arrive pas à admettre que sa défaite de 2012 ne vient pas des autres, mais de lui-même, de ses attitudes et de ses choix » (Bayrou).

« Le problème, c’est qu’il n’a pas encore de vrai projet d’alternance lui permettant de regarder devant et de donner une perspective. Du coup, il reste dans une sorte de troisième tour de 2012 avec Hollande » (un fidèle).

« Notre société a besoin d’apaisement, pas de revanche » Juppé.

"2017 ne doit pas être un remake de l’élection de 2012 " Fillon.

"S’il ne fait pas le deuil, il sera en décalage avec la situation en 2016". B. Apparu

Mais N. Sarkozy n'est pas homme à écouter ce qu'on lui dit. Se dirige-t-il vers une défaite annoncée ou saura-t-il laissé la place à celui qui se révélera plus crédible aux yeux des militants et sympathisants de droite ? On peut douter de l'objectivité de son choix...

Sarkozy, l’obsession de la revanche

LE MONDE | 07.08.2015

Il y a un an, Nicolas Sarkozy enclenchait le compte à rebours de sa reconquête de l’Elysée. Au cœur de l’été 2014, il apparaissait tête nue au volant de son scooter en compagnie de son épouse, Carla Bruni. De quoi faire la « une » de Paris Match. Quelques jours plus tard, le 7 août 2014, il se confiait à l’hebdomadaire Valeurs actuelles : « La première campagne présidentielle, on la fait toujours par envie et par désir. Pour un retour, le moteur, c’est le devoir. » De quoi ravir le peuple de droite avant de s’envoler à Bali mûrir son post Facebook qui annoncera, le 19 septembre, sa candidature à la présidence de l’UMP. Promis, l’ancien président de la République avait digéré sa défaite. N’avait-il pas lâché devant des journalistes en janvier 2014, lors d’un déplacement en Charente-Maritime : « J’ai perdu la présidentielle. Je n’y pense plus. »

Las. Un an après, l’obsession de 2012 hante toujours celui qui se rêve en solution d’avenir. En public comme en privé, il ressasse. Le 12 juin, à Berlin, devant un parterre d’entrepreneurs allemands, il accuse les syndicats français assimilés à des « partis politiques ». « Tous les syndicats de salariés ont appelé à voter pour François Hollande. Cela explique bien des choses aujourd’hui », affirme-t-il à tort. En 2012, seules la CGT et la FSU avaient appelé à le faire battre. En décembre, lors d’une rencontre avec les représentants du Conseil français du culte musulman, l’ambiance est tendue. « Il nous a dit que s’il avait été battu à la présidentielle, c’était parce que nous avions fait voter pour François Hollande », témoigne Abdallah Zekri, président de l’Observatoire national contre l’islamophobie. Au printemps, il lance à un petit groupe de patrons venus rue de Vaugirard : « Où étiez-vous en 2012 ? » La presse et les juges, accusés d’avoir pourri sa campagne présidentielle, sont très régulièrement pointés du doigt. « Votre déception est à la hauteur de vos attentes puisque vous avez tous voté pour Hollande ! », lance-t-il un jour à un groupe de journalistes avant de s’indigner du traitement reçu dans l’affaire Bettencourt.

« Un combat physique »

Cette succession d’anecdotes pourrait simplement souligner le trait de caractère d’un homme obsédé par la performance et qui ne supporte pas l’échec. Mais elle révèle aussi un des moteurs qui le propulsent en vue de 2017. « Sarkozy veut prendre sa revanche. C’est sa psychologie et son tempérament. Pour lui, la politique est un combat physique, analyse un de ses proches. Il s’en veut d’avoir laissé François Hollande accéder à l’Elysée. A ses yeux, la France a été souillée par le socialisme et c’est à lui de laver cette injustice. » En attendant le match retour, il rejoue le match aller. Depuis un an, il réserve toujours une grande partie de ses meetings à l’évocation du souvenir de la compétition de 2012. Sa principale cible reste évidemment son successeur, auquel il reproche d’avoir été élu sur un programme trompeur. « Qu’est-ce qu’il reste des “Moi président” ? Une longue litanie de mensonges ! », répète-t-il, en surnommant régulièrement son adversaire « Moi je ».

François Bayrou qui avait appelé à voter Hollande au second tour est assimilé à un traître. « C’est un peu facile de se faire élire en rassemblant sur son nom une partie de l’électorat de droite exaspéré et le soir de faire élire François Hollande », dénonce-t-il le 25 novembre 2014, à Angers. Marine Le Pen n’échappe pas à sa vindicte : « Je ne recevrai pas de leçon de Madame Le Pen qui a fait la courte échelle à François Hollande le 6 mai 2012 », accuse-t-il le 21 octobre, à Nice.

Interrogé par Le Monde sur cette obsession de revanche, M. Sarkozy balaye la question d’un revers de la main. « Je n’ai aucune amertume. Tous mes proches vous diront que je ne parle jamais du passé. Je ne suis plus chef de l’Etat, je ne suis plus président du G20 mais je suis très heureux dans mon nouveau job », assure-t-il lors d’un déplacement à Tunis en juillet. Et de recenser ce qu’il considère comme ses principales réussites depuis un an : l’apaisement de sa famille politique et la refondation de l’UMP devenue Les Républicains. « Je suis en train de réussir un retour, ce que personne n’a jamais réussi à faire », veut-il croire.

Surfer sur les victoires locales

Pour M. Sarkozy, ce positionnement a plusieurs avantages. Cela lui permet de ressouder sa base la plus fervente qui n’a jamais accepté la défaite de 2012, mais aussi de s’exonérer du devoir d’inventaire des années élyséennes ou de l’échec de la ligne droitière de sa campagne. « Il n’arrive pas à admettre que sa défaite de 2012 ne vient pas des autres, mais de lui-même, de ses attitudes et de ses choix », analyse François Bayrou. En instillant l’idée d’une reconquête, M. Sarkozy se positionne enfin comme le candidat naturel pour la prochaine échéance présidentielle tout en évitant le débat frontal avec les adversaires de son camp. Tout au long de 2015, il peut ainsi continuer à surfer sur les victoires aux élections locales et s’installer comme le premier opposant autour duquel se rassemble la famille bafouée en 2012.

Mais cette attitude tournée vers le passé commence à inquiéter certains de ses plus fervents soutiens qui observent les mois défiler sans que le président du parti Les Républicains abatte de nouvelles cartes. « Le problème, c’est qu’il n’a pas encore de vrai projet d’alternance lui permettant de regarder devant et de donner une perspective. Du coup, il reste dans une sorte de troisième tour de 2012 avec Hollande », note un fidèle, qui fait partie du premier carré des sarkozystes. Comme s’il était prisonnier de son duel de la précédente présidentielle, M. Sarkozy surfe sur des sujets sociétaux (les repas de substitution, le voile à l’université) ou tente des « coups » pour tenter d’affaiblir son successeur. Ce fut notamment le cas sur la Grèce, quand l’ex-président s’est rendu à Bruxelles quelques heures avant qu’un accord ne soit trouvé.

Dans la bataille à droite, le souvenir de 2012 aura une importance stratégique. Aucun des ténors ne peut encore se permettre de décrire l’ancien président comme l’homme du passé. Ces attaques seraient destructrices. Mais leurs allusions ne trompent pas. « Notre société a besoin d’apaisement, pas de revanche », a ainsi jugé Alain Juppé, le 30 mai, lors de son discours au congrès du parti Les Républicains. « 2017 ne doit pas être un remake de l’élection de 2012 », a lancé François Fillon, le 9 juin, dans une interview au Figaro. Certains de leurs lieutenants n’hésitent pas à évoquer les précédents de Valéry Giscard d’Estaing et Lionel Jospin, « deux hommes incapables de digérer leur défaite », selon le proche d’un candidat à la primaire. « S’il ne fait pas le deuil, il sera en décalage avec la situation en 2016, estime Benoist Apparu, député de la Marne et proche d’Alain Juppé. En même temps, ça peut être un choix tactique : gagner du temps avant de passer la seconde. »

 Matthieu Goar et Alexandre Lemarié