Dominique Strauss-Kahn a emménagé dans sa prison dorée : 153 Franklin Street, à Tribeca, quartier très chic du sud-ouest de Manhattan, où les bobos ont envahi les anciennes usines transformées en lofts de luxe. DSK est assigné à résidence, muni d'un bracelet électronique, surveillé par des caméras et deux vigiles armés, dans cette sublime maison individuelle de deux étages de brique rouge et aux fenêtres blanches, toujours en vente au prix de 13,995 millions de dollars (9,868 millions d'euros), louée 50 000 dollars (35 000 euros) par mois.
La lumière filtre derrière les fenêtres aux stores baissés. Des sites d'agences immobilières dévoilent les photos de cet ancien atelier de ferronnerie joliment rénové. Au sous-sol, le home cinéma, une salle de gymnastique, un spa, un bar. Dans les étages, quatre chambres, cinq salles de bains, un grand salon avec verrière. Sur le toit, une terrasse protégée par des paravents japonais, mais visible des immeubles voisins.
Mercredi 25 mai, vers 19 h 30, M. Strauss-Kahn est sorti du 71 Broadway, où il avait été enfermé à sa sortie de la prison de Rikers Island, le 20 mai. Il s'est montré détendu et tout sourire, costume et chemise ouverte, entouré de trois agents de sécurité. Une voiture l'a déposé quelques " blocs " plus loin, devant la maison de Tribeca. A aucun moment, sa femme, Anne Sinclair, n'était à ses côtés. Sa fille Camille était entrée dans la maison quelque trois quarts d'heure avant lui. Une voisine du quartier s'amuse : " Marrant qu'il soit là ! Ça va, il est enfermé, je ne risque rien. "
C'est le dernier épisode en date dans l'extravagant feuilleton de l'affaire Strauss-Kahn. Arrêté, incarcéré dans une cellule de 12 mètres carrés à Rikers Island, inculpé formellement pour agression sexuelle, tentative de viol et séquestration à l'encontre d'une femme de chambre du Sofitel où il avait loué une suite, l'ancien directeur général du Fonds monétaire international (FMI) était devenu le pestiféré de New York.
Personne ne voulait l'avoir pour voisin. La conception puritaine de la punition, le dégoût anticipé face à un violeur présumé, la peur des nuisances causées par une telle célébrité : tout concourt à susciter le rejet des résidents new-yorkais. Depuis plusieurs jours, Anne Sinclair peinait à trouver le logement dans lequel son mari doit rester en résidence surveillée, dans l'attente de son procès.
Il n'a pu loger chez sa fille Camille, dans le quartier de Columbia où elle étudie : les avocats de l'université s'y sont opposés. Il n'a pu loger dans l'un des deux luxueux appartements que sa femme avait loués dans le Upper East Side : les riverains du Bristol Plaza, 200 East 65th Street, ont mis le holà. La société de surveillance qu'il est contraint, par la justice, de financer a dû lui fournir un appartement provisoire au 71 Broadway.
Le système de l'immobilier aux Etats-Unis, et en particulier à New York, est à l'origine de cette errance forcée. Devenir propriétaire dans un immeuble nécessite de se plier à des règles strictes fixées par la copropriété ; devenir locataire dépend du type de propriété auquel le loueur s'est lié lui-même.
A Manhattan, la propriété immobilière est divisée en quatre catégories : les maisons de ville, les immeubles de location (rental buildings), les " condos " (copropriétés à la française) et, spécifique à la ville de New York, les " co-ops " : ces immeubles constitués en " coopératives " représentent 85 % de la propriété immobilière new-yorkaise (hors maisons individuelles). " Acheter un appartement dans un co-op revient à devenir actionnaire de la société propriétaire de l'immeuble, explique Joelle Larroche, spécialisée dans la vente de condos à l'agence immobilière Prudential. A chaque appartement correspond une quantité d'actions et le co-op affecte au propriétaire l'usage d'un appartement spécifique. "
Les règles du co-op, fixées par un conseil d'administration élu, peuvent être draconiennes et des plus farfelues. L'acquéreur, pour pouvoir acheter, doit d'abord passer un interrogatoire devant ses futurs copropriétaires, qui ont le droit d'interdire son achat sans se justifier. Il lui faut répondre à certains critères (comportement, niveau social, capacité financière...) et accepter les règlements, spécifiques à chaque co-op.
Selon les cas, il doit s'engager à ne jamais louer son bien, ou à ne le faire que pour une durée limitée ; à ne pas fumer dans l'appartement ; à ne pas avoir d'animal ou de machine à laver le linge ; à ne pas repeindre une pièce sans l'autorisation du co-op... les copropriétaires étant actionnaires de l'immeuble, ils sont partout chez eux, et très concernés par la couleur de votre cuisine.
La chanteuse Madonna a ainsi été interdite, à plusieurs reprises, d'acquisition d'un appartement sur Park Avenue, à Manhattan. Le voisinage n'avait pas envie d'une star et des paparazzi partout. Dans ce contexte new-yorkais dominé par les co-ops, le pouvoir des voisins est immense. DSK semble cependant avoir fini sa course folle au 153 Franklin Street. Jusqu'à son procès, il ne pourra en sortir que sous surveillance et strictement pour trois motifs : se rendre aux convocations judiciaires, se faire soigner ou prier.
Marion Van Renterghem
© Le Monde 28/05/11
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