23/07/2011 Libération
Le photomontage figurait en une du Figaro mardi dernier. Sous le titre «Affaire Banon-DSK: François Hollande va être entendu», il représentait les visages en gros plan du socialiste et de la victime présumée de Dominique Strauss-Kahn. Cette titraille, aux allures de mise en cause, a provoqué des réactions indignées au PS. Comme celle du député André Vallini, pour qui il est «incompréhensible» de présenter «une audition normale, pour ne pas dire banale […], comme un événement de première importance». Un sentiment partagé… jusque dans la rédaction même du Figaro.
Dérive.«C’était totalement disproportionné, quasiment aussi gros que pour la mort de Ben Laden», lâche un journaliste. Certes, le quotidien est historiquement lié à la droite libérale. Mais un certain nombre de rédacteurs commencent à déplorer sa dérive partisane. «Il y a un gros sentiment de lassitude à la rédaction, poursuit ce journaliste. Les angles sont un peu toujours les mêmes : on tape la gauche et, à droite, on critique Borloo et Villepin.» Selon un autre, «les conversations sont récurrentes autour de la machine à café sur le traitement de ces affaires, la place qu’on leur donne. La phrase qui revient souvent, c’est : "On ne va pas tenir un an comme ça." Mais, au fond, c’est la résignation qui domine.»
Ce n’est pas la première fois que la ligne politique du journal divise sa rédaction. En juillet 2010, la Société des journalistes (SDJ) dénonçait la publication d’un procès-verbal d’audition tronqué sur l’affaire Bettencourt, accompagné d’un article non signé. Pratique qui «participait à l’évidence de la stratégie de communication élaborée à l’Elysée», selon la SDJ. Fin 2010, celle-ci a distribué aux journalistes un questionnaire sur la ligne politique du journal. La synthèse des réponses, rapportée par Mediapart, fait état d’une «gêne réelle quant à la mise en scène de l’information», certaines dénonçant même «une dérive faisant du journal un bulletin de l’UMP».
Contactée, la direction du quotidien n’était pas disponible pour réagir à ces propos. Elle est pourtant directement mise en cause par certains journalistes. En première ligne, le directeur Etienne Mougeotte, arrivé en 2007 de TF1. «On est dans une sorte de dictature molle depuis quatre ans, raconte un journaliste. Les gens en ont marre de se faire rembarrer, donc ils anticipent certains sujets qu’ils savent qu’il va demander. Et il ne faut pas être grand clerc pour voir qu’il y a une ligne directe entre lui et Serge Dassault.» L’industriel, propriétaire du Figaro, est également sénateur UMP de l’Essonne. D’autres réponses au questionnaire de la SDJ faisaient état de difficultés dans le traitement d’informations concernant des pays en affaire avec le groupe Dassault - Brésil et Suisse, notamment. Et il se dit au Figaro que l’ex-directeur de la rédaction Nicolas Beytout, en délicatesse avec le propriétaire, aurait quitté le journal avec une collection de fax de Serge Dassault demandant des modifications dans les articles à paraître.
Lettre interne. Ce climat pesant est aussi alimenté par la fusion en cours entre les rédactions web et papier. «Les unes tirées par les cheveux se surajoutent aux craintes liées à cette fusion menée à marche forcée, personne ne sait à quelle sauce il va être mangé», confie-t-on. Où l’on ne serait pas contre un retour à un style plus sobre : «Tout ça expose beaucoup le journal. Et ça nous fait un peu craindre la présidentielle.» Etienne Mougeotte se veut apaisant. Dans une lettre interne que s’est procurée Libération, il écrit: «Je suis bien conscient du changement que cela implique pour chacun d’entre vous.»
DOMINIQUE ALBERTINI
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire