mardi 24 avril 2012

Les sondeurs se sont-ils trompés ?



Le Monde du 25/4/2012


Entre les estimations diffusées à 20 heures et les résultats définitifs d'une élection, il y a souvent une marge. Jamais elle n'avait atteint une telle ampleur qu'au premier tour de l'élection présidentielle, dimanche 22 avril. Marine Le Pen, donnée à 20 % à 20 heures sur Lemonde.fr et les antennes de Radio France et de France Télévisions, obtient finalement 17,90 %.
Même écart entre le score attribué à Nicolas Sarkozy, 25,5 %, et son score final, 27,18 %. Ces chiffres ont certes été corrigés au fil de la soirée, mais une partie des débats, à la télévision et à la radio, ont été menés sur la base de chiffres partiellement erronés, au grand dam de certains candidats.

Comment sont réalisées les estimations de 20 heures ?

Une estimation n'est pas un sondage. Pour fournir des indications dès la fermeture des derniers bureaux de vote, les instituts travaillent à l'aide de bureaux tests, choisis en fonction de la géographie électorale de manière à être représentatifs. " Une estimation est une opération extrêmement complexe, qui repose sur la constitution d'un échantillon représentatif de bureaux de vote ", précise Brice Teinturier, directeur général délégué d'Ipsos, choisi comme fournisseur par Le Monde, Radio France et France Télévisions. " Nous utilisons des bureaux de vote qui ferment à 18 heures et à 19 heures, pour pouvoir donner, dès 20 heures, une approche du résultat, sur la base des premiers bulletins dépouillés ", explique-t-il.
TNS Sofres, qui a fourni des estimations à TF 1, LCI et RTL, est satisfait de son travail. " Nos estimations étaient "dans le mille" pour 20 heures ", souligne Guénaëlle Gault, directrice du département stratégies d'opinion de l'institut, qui donnait M. Hollande à 28,6 %, M. Sarkozy à 27,3 % et Mme Le Pen à 18 %, soit, quasiment, les scores finaux. D'autres instituts ont été moins exacts, dont Ipsos qui, à 20 heures, plaçait Mme Le Pen 2 points au-dessus de son score final et M. Sarkozy 2 points au-dessous.
En principe, une estimation est fiable à quelques dixièmes de points près. Frédéric Dabi, directeur général adjoint de l'IFOP, qui n'a pas fourni d'estimations dimanche soir, s'étonne de ce qui s'est passé. " On a vu des choses inédites, des estimations qui ont énormément fluctué au fil des heures, au point de dénaturer un peu la soirée électorale ", critique-t-il. M. Dabi observe que Mme Le Pen, à 17,9 %, obtient un résultat inférieur aux scores cumulés de son père et de Bruno Mégret en 2002.

Comment expliquer les écarts entre estimations et score final ?

M. Teinturier reconnaît " un souci autour du vote FN " dans ses estimations à 20 heures, même s'il juge que " tout le monde est parti en surévaluant Marine Le Pen ", puis a rectifié le tir en cours de soirée. " Comme nous n'avons pas encore les bulletins dépouillés venant des bureaux de vote qui ferment à 20 heures, l'estimation doit corriger cette déformation de l'échantillon ", explique-t-il. Des algorithmes informatiques sont chargés de ce redressement mais, cette fois, poursuit M. Teinturier " les bureaux de vote des grandes agglomérations, qui ferment après 20 heures, ont évolué différemment des bureaux de vote ruraux et péri-urbains, ceux de 18 heures et 19 heures, s'agissant du FN notamment ". " C'est pourquoi nous avons eu, à 20 heures, Marine Le Pen à 20 % et une correction qui ne s'est faite que progressivement ", explique-t-il.
Le responsable d'Ipsos souligne que, " à 21 h 37, notre estimation à l'antenne était à 18,5 % pour Marine Le Pen ". " Elle a obtenu 18 % des suffrages, ajoute-t-il. Cet écart de 0,5 explique aussi en grande partie que Nicolas Sarkozy était à 26,1 % dans notre estimation au lieu des 27 % qu'il a obtenus. "

Les sondeurs ont-ils correctement anticipé le résultat ?

Il est devenu habituel de critiquer les sondages après chaque élection. Pourtant, tous les instituts avaient donné le bon ordre d'arrivée, même si certains ont placé à égalité M. Hollande et M. Sarkozy. Dans les dernières enquêtes, le chef de l'Etat était situé entre 25 % et 27,5 % ; il obtient 27,18 %. M. Hollande, donné entre 27% et 30%, obtient finalement 28,63 %.
Les sondeurs ont été moins précis sur Mme Le Pen, évaluée entre 14 % et 16,5 % et qui fait finalement 17,90 %, soit 1,5 point de plus. " Le vote Le Pen est toujours sous- déclaré ", estime Mme Gault (TNS Sofres). Au reste, la tendance à la hausse du vote pour la candidate du Front national avait bien été repérée par les derniers sondages.
Toutes les enquêtes ont surestimé Jean-Luc Mélenchon, avec parfois des écarts de plus de 3 points au-dessus du vote final (11,10 %). " La bulle qui s'était formée autour de lui a éclaté la dernière semaine du fait du vote utile ", estime Mme Gault, tandis que M. Dabi juge que " le vote anti-Sarkozy structure les scrutins depuis cinq ans ". M. Teinturier ajoute que les sondeurs avaient mis en garde sur " la porosité des électorats " et le risque d'ajustements de dernière heure.



Samuel Laurent






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