Contrairement à ce que certains économistes prétendent, ce modèle ne crée pas d’emplois, au bout du compte il ne cesse d’en détruire. Il déstructure des économies entières, démantèle des services publics et jette des populations dans la pauvreté. Certes, il génère énormément de richesses mais qui sont très peu partagées. Ce qui attise la convoitise, exacerbe les tensions sociales et géopolitiques, fait le lit du terrorisme…
Assez logiquement, la crise écologique résulte, elle aussi, de ce modèle économique. La recherche effrénée de croissance matérielle, de profits immédiats nous a conduits à bâtir une société mondialisée, nourrie au consumérisme de masse.
Pour continuer à produire et à consommer sans relâche, nous rasons les forêts, vidons les océans, épuisons les sols, massacrons les animaux, polluons l’air et l’eau, tout en envoyant des quantités considérables de gaz dans l’atmosphère et en empilant les déchets.
De nombreuses études pointent désormais le risque d’un effondrement écologique sans précédent, susceptible de déclencher conflits, migrations de masse, ruptures alimentaires, cracks économique et financier… Et il pourrait intervenir dans les vingt à trente ans.
Face à cette situation, notre réponse est faible. Pour ne pas dire inconsistante. Une grande part d’entre nous attend patiemment que quelqu’un résolve le problème à notre place : nos dirigeants politiques (qui ne semblent pas décidés), de brillants ingénieurs qui inventeraient des technologies miraculeuses, des patrons d’entreprise qui verraient soudain la lumière, des activistes qui nous dérangent ou nous donnent bonne conscience selon les situations…
« Veillée d’armes »
Mais un système aussi global et complexe que le nôtre ne pourra pas changer de cette façon. Comme le répète souvent l’astrophysicien Hubert Reeves, « nous vivons une veillée d’armes ». Ce qui signifie que nous devrions être mobilisés, unis, comme à l’aube d’une guerre mondiale. Les problèmes que nous affrontons sont énormes et ils nécessitent que nous soyons ensemble pour les relever.
D’abord en mettant en œuvre dans notre vie de tous les jours, tout ce qui est en notre pouvoir pour inverser la tendance. Les possibilités sont nombreuses mais là encore nous pourrions les résumer en quelques gestes simples : manger bio, local et moins de produits animaux, économiser l’énergie, choisir un fournisseur d’électricité renouvelable, acheter tout ce qui peut être fabriqué localement à des entrepreneurs locaux et indépendants, choisir une banque qui n’a pas de filiale dans les paradis fiscaux et ne spécule pas sur les marchés, systématiquement recycler, réutiliser, réparer, composter, acheter moins et mieux (des produits bios, équitables, fabriqués dans des conditions sociales et environnementales satisfaisantes)…
Mais la société ne changera pas simplement en additionnant des gestes individuels. Il est également nécessaire de transformer nos entreprises, nos métiers, pour qu’ils contribuent à résoudre ces problèmes.
Ce que la spécialiste du développement durable Isabelle Delannoy appelle l’économie symbiotique (concept réunissant les innovations économiques de ces dernières années telles que l’économie circulaire, du partage, sociale et solidaire, bleue, le biomimétisme…) permet aujourd’hui d’envisager un monde où nos activités ne détruiraient plus les écosystèmes mais les régénéreraient tout en répartissant plus équitablement les richesses. Elle encouragerait la formation de sociétés plus autonomes et donc plus libres, tout en étant reliées les unes aux autres.
Mais cela suppose une véritable métamorphose de notre vision du monde : passer de l’avidité et de la recherche de sécurité par l’accumulation, du culte matérialiste et de la peur de manquer à un monde de coopération, de partage, où le bonheur d’être remplacerait la frénésie d’avoir.
La bonne nouvelle est que ces changements nous demanderont une immense créativité. Or, être créatif est l’une des choses les plus excitantes qui soient pour un être humain. Particulièrement lorsqu’il peut créer dans un champ qui le passionne et pour lequel il est doué.
Pour moi, c’est ici que la révolution peut commencer : renoncer au servage du travail moderne, à un certain conformisme, qui nous contraint à vendre notre temps, notre énergie, notre inventivité en échange d’un salaire, et embrasser des vocations. Des activités dont la finalité n’est plus de faire tourner la machine infernale, mais qui participent à créer une société plus épanouissante, plus en équilibre.
Certes, renoncer à une certaine sécurité nous demandera du courage. Mais que préférons-nous ? Souffrir à petite dose pendant des années, rationnellement nous asseoir sur nos rêves tandis que le bateau se dirige vers l’abîme ou connaître une existence vibrante, donner du sens, nous réaliser, avoir la satisfaction d’être utile ? Et peut-être l’emporter…
Réinventer la politique
Enfin, des mesures politiques devraient être prises. D’abord en termes de fiscalité et de régulation : taxer le carbone pour accélérer la transition énergétique vers les renouvelables, alléger la fiscalité du travail, taxer les transactions financières à caractère spéculatif, réorienter les subventions agricoles pour stimuler une agriculture biologique, vivrière, locale, qui ne détruit ni les écosystèmes ni les emplois, transformer le mécanisme de création monétaire pour progressivement se libérer de la dette.
Ainsi pouvoir consacrer des fonds aux activités d’intérêt général et pouvoir aider les plus fragiles : santé, éducation, culture, services publics…
Selon les calculs que nous avons faits pour le film Demain, nous pourrions, au bas mot, créer 1,5 million d’emplois en adoptant une ambitieuse transition énergétique, en relocalisant une grande part de notre alimentation et en montant notre taux de recyclage à 80 % (contre 25 % aujourd’hui).
Nous connaissons la plupart des solutions à nos problèmes. Et elles fonctionnent. Nous savons régénérer les sols, ralentir le dérèglement du climat, sortir des populations entières de la pauvreté, fabriquer des produits neufs à partir de déchets, produire de l’énergie à partir du soleil, de l’eau, du vent…
En quelques décennies, nous pourrions redresser la barre et sauver une bonne partie de l’humanité. Et lui permettre de vivre mieux. A condition de favoriser la coopération entre droite et gauche, citoyens et élus, législatif et exécutif. De nous unir. Et de cesser les petites guéguerres politiciennes et les stratégies électoralistes.
Aujourd’hui, nous sommes nombreux à ne nous retrouver ni dans ce que propose la droite, ni dans ce que propose la gauche. Et encore moins dans le Front national. Nous n’appartenons souvent à aucun parti. Nous sommes de simples citoyennes et citoyens. Mais nous ne pouvons plus regarder la situation se dégrader de la sorte. Il nous faut amorcer le mouvement. Et tout réinventer, y compris la politique. Nous en avons les moyens et, encore une fois, qu’y a-t-il de plus enthousiasmant ?