Ci-dessous quelques extraits d'un article de LEMONDE.FR du 28.10.11, assez évocateurs du "style" présidentiel.
Lors de son intervention à la télévision, jeudi 27 octobre, Nicolas Sarkozy a égrené un certain nombre d'affirmations, chiffrées ou non. Certaines nous ont interpellés. Après avoir décrypté en direct l'intervention du chef de l'Etat, nous sommes revenus plus en détail sur quatre déclarations qui ne sont pas à proprement parler fausses mais qui sont le résultat d'extrapolations plutôt trompeuses.
1) "La réforme [des retraites] que nous avons fait voter, c'est 24 milliards de plus par an"
C'est vrai, mais pas avant 2025. Pour vérifier cette déclaration, il faut se plonger dans le rapport du Sénat de septembre 2010 qui mesure l'impact total prévisible de la réforme des retraites. On y apprend ainsi que cet impact devrait s'élever à 5 milliards d'euros en 2012, soit près de cinq fois moins que le chiffre avancé par Nicolas Sarkozy.
Cette réforme va cependant rapporter de plus en plus d'année en année : ainsi, en 2025, l'impact global devrait bien être de 24 milliards d'euros, selon le Sénat. Or, ces chiffres, outre qu'ils sont hypothétiques, sont axés sur des projections de croissance qui sont plus que susceptibles d'évoluer. Jeudi soir, le président a d'ailleurs révisé à la baisse la croissance pour 2012 en la ramenant à 1 % (contre 1,75 %), ce qui implique "6 à 8 milliards d'euros" de moins dans le budget 2012.
2) "Avec les heures supplémentaires, c'est 9 millions de salariés français qui ont gagné en moyenne 450 euros de plus"
C'est vrai, mais si l'on parle d'un gain annuel. Un rapport de janvier 2009 expliquait que les 5,5 millions de salariés ayant bénéficié du dispositif avaient gagné en moyenne 150 euros par mois et par foyer.
L'imprécision du propos présidentiel le rend par ailleurs difficile à vérifier. En réécoutant l'émission, il apparaît en fait que le chef de l'Etat ne précise pas s'il s'agit d'un gain mensuel, annuel ou trimestriel, ce qui est pourtant primordial. Quoi qu'il en soit, un rapport parlementaire récent (juin 2011) a établi que la défiscalisation des heures supplémentaires a apporté un gain annuel moyen d'environ 500 euros (soit environ 40 euros par mois) à 9,2 millions de salariés (sur un total de 23,6 millions).
3) "Au début de l'année, [les policiers et les gendarmes] savent que 5 % d'entre eux termineront l'année soit morts, soit blessés graves"
Le chiffre est bon, mais pas la qualification. On compte en France 150 000 policiers et 120 000 gendarmes ; il y aurait donc, selon les dires de M.Sarkozy, chaque année environ 7 500 policiers et 6 000 gendarmes tués ou gravement blessés. En présentant le 21 janvier les résultats de la politique de sécurité en 2010, Brice Hortefeux, alors ministre l'intérieur, a rendu hommage aux "12 875 policiers et gendarmes blessés dans l'exercice de leur mission en 2010" : la proportion évoquée par Nicolas Sarkozy est donc exacte, même si M.Hortefeux ne parlait pas de "blessés graves".
Il faut par ailleurs souligner plusieurs choses. D'une part, la proportion de décès est très faible. Pour la seule police, le capitaine de police Stéphane Lemercier a répertorié dans son livre Victimes du devoir (éditions du Prévôt, 2011) le nombre de personnes tuées en se basant sur une large revue de presse : il en compte 9 pour l'année 2009. Le sociologue Laurent Mucchielli, qui a signé la préface de Victimes du devoir, rappelle d'ailleurs que le décès d'un policier en service est rarissime, et qu'il s'agit le plus souvent non pas d'agressions volontaires, mais d'accidents. D'autre part, il assure que, dans 85 % des cas, les policiers blessés le sont de façon superficielle ; si l'on suit son calcul, le nombre de policiers "gravement" blessés tournerait donc plutôt autour de 1 000.
4) "Il n'y a pas un pays d'Europe où ceux qui ont de l'argent payent autant d'impôts qu'en France".
C'est très difficilement vérifiable, comme l'expliquait Alternatives économiques en 2010, notamment parce que le système fiscal français est l'un des plus complexes qui existent. En outre, il faudrait savoir ce que le chef de l'Etat entend par "ceux qui ont de l'argent".
Si l'on ne prend en compte que l'impôt sur le revenu, la France n'est pas celle qui taxe le plus les plus riches. Selon une étude comparative menée par le site d'information spécialisé My Europ et publiée sur Rue89, l'Hexagone se trouve notamment derrière l'Allemagne, la Belgique et le Royaume-Uni. En France, le taux marginal (c'est à dire le taux d'imposition qui s'applique à la dernière tranche de revenu) s'applique quand un ménage gagne plus de 70 830 euros par an. Pour eux, le taux d'imposition est de 41 %. Seule la Belgique taxe plus et plus tôt, puisqu'elle applique un taux d'imposition marginal de 50 % quand un revenu dépasse 34 300 euros annuels.
Les autres voisins européens appliquent quant à eux les taux marginaux à partir de revenus beaucoup plus élevés mais les proportions sont tout de même plus importantes. En Allemagne, le taux d'imposition marginal est de 45 % pour les revenus supérieurs à 250 000 euros par an. En Espagne, il varie entre 44 % et 49 % pour les revenus de plus de 120 000 euros annuels (une variation due au fait que les communautés autonomes espagnoles gèrent 50 % de l'impôt sur le revenu) et au Royaume-Uni, il est de 50 % pour les revenus de plus de 175 000 euros annuels. Si l'on prend ensuite en considération les niches fiscales, la France reste toujours au moins derrière l'Allemagne, selon un rapport de la Cour des comptes de mai 2011.
Mais si l'on prend en compte la totalité des impôts (revenu, capital, etc.), la comparaison devient plus complexe, notamment parce que la France est le seul pays d'Europe à appliquer le mécanisme de l'impôt sur la fortune. Selon l'économiste Thomas Piketty, qui le premier a calculé un taux d'imposition global (en cumulant tous les types de prélèvements), les personnes ayant un revenu situé entre 5 000 et 9 000 euros mensuel sont effectivement très fortement taxées (taux à 48 - 49 %). Mais au delà de ce seuil, le taux décroît fortement et descend même jusqu'à 35 % pour les 0,1 % d'ultrariches. Enfin, le plan de rigueur adopté en août par le gouvernement prévoit une taxe supplémentaire pour les plus riches : exceptionnelle, elle est de 3 % pour les revenus dépassant 500 000 euros par an, et ce jusqu'à ce que le déficit public atteigne 3 % du PIB. Mais cela concerne moins de 1 % de la population.
Hélène Bekmezian et Alexandre Léchenet