Inéluctable ?

Le Front national est arrivé largement en tête du premier tour de l'élection cantonale partielle de Brignoles, dans le Var. Son candidat, Laurent Lopez, a obtenu 40,4 % des voix, devant la candidate UMP, Catherine Delzers, qui arrive en deuxième position avec 20,8 % des voix.

Les deux candidats de gauche, PCF (14,6 % des suffrages) et EELV (8,9 %) ont été éliminés dès le premier tour du scrutin, dans ce canton remporté par la gauche en 2012. Un candidat d'extrême droite dissident, Jean-Paul Dispard (cet ancien conseiller général FN vient d'appeler à faire barrage au second tour... au FN !), ayant obtenu 9,1 % des voix, l'extrême droite réunit au total plus de 49 % des voix lors de ce premier tour marqué par une forte abstention (67 %).

Au-delà des commentaires à l'emporte-pièces (le PC rejette la faute de l'échec de la gauche sur EELV qui n'aurait pas dû présenter de candidat, Jean-Luc Mélenchon estime que "le principal pourvoyeur des voix du FN est à l'Elysée", les médias parlent de "forte poussée" du FN), il convient de ne pas céder à la panique et d'analyser sereinement ces résultats.

Voyons cela de plus près (sources : Le Monde, Libération, Le Figaro)

1- Rappelons les résultats détaillés :

Inscrits : 20 728

Abstentions : 13 815

Votants : 6 913

Blancs et nuls : 185

Exprimés : 6 728

Laurent Lopez (FN) 2 718 voix (40,4 %)

Catherine Delzers (UMP) 1 397 voix (20,8 %)

Laurent Carratala (PCF) 981 voix (14,6 %)

Jean-Paul Dispard (extrême droite) 612 voix (9,1 %)

Magda Igyarto-Arnoult (EELV) 598 voix (8,9 %)

Christian Proust (DVD) 422 voix (6,3 %)

2- Rappelons également que le Conseil d’État avait confirmé en août l'annulation de l'élection cantonale partielle de l'été 2012, qui avait vu le communiste Claude Gilardo, maire de Brignoles, l'emporter de seulement treize voix face au candidat du FN, Jean-Paul Dispard, qui a été exclu, entre-temps du FN. Cette élection avait déjà eu lieu à la suite d'une précédente annulation du scrutin de mars 2011, quand Claude Gilardo, battu de cinq voix par le FN, avait introduit un recours devant la justice administrative. Bref, la lutte serrée entre le PC et le FN continue sur un territoire où le FN fait des scores importants depuis quelques années déjà (voir ci-dessous).

3- L'abstention est énorme

Laurent Lopez et l'autre candidat d'extrême droite, Jean-Paul Dispard (ex-FN), du Parti de la France, réunissent 3 329 voix alors que 13 815 personnes ne se sont pas déplacées, soit 67,6 % des inscrits.

Rapportés au nombre d'inscrits, les votes pour les deux candidats d'extrême droite représentent quelque 16 % des suffrages,  4,7 % pour le candidat communiste Laurent Carratala et 2,9 % pour la candidate écologiste Magga Igyarto-Arnoult.

4- En nombre de voix, la progression du FN est très faible, voire même... en baisse !

En 2004, le candidat du Front national obtenait au 2^e tour 2 654 voix, dimanche il a obtenu 2 717 voix.

Le FN (en comptant le candidat dissident) obtient 16,06 % des voix des inscrits. En 2004, il avait obtenu 15,9 % des suffrages.

Au premier tour de la présidentielle 2007, le FN obtenait 2 329 voix, soit 400 de moins qu'aujourd'hui.

En 2012 : 4 647 voix. Avec une décrue depuis : 3 666 voix au premier tour des législatives 2012, 3 139 lors de la triangulaire du second (2 718 avant-hier)

5- Ce n'est pas mieux pour les partis dits de gouvernement

Ils sont en chute quasi constante depuis 2007. Lorsque le FN est présent au second tour, il réalise des scores proches de l'UMP (premier tour de la présidentielle et des législatives 2012).

Quant à la gauche, longtemps portée par les communistes, elle est en chute régulière.

L'abstention, très élevée dimanche avec 13 815 inscrits qui ne sont pas allés voter, est très haute depuis longtemps : 10 552 abstentions au 2^e tour des législatives 2012, 6 922 au premier tour de la présidentielle 2012.

A noter, également, que lorsque le FN est au second tour, la participation n'augmente que peu !

6- Le FN a progressé dans la moitié des cantonales partielles depuis 2012

Dix élections cantonales partielles ont eu lieu depuis l'élection de François Hollande. Le score du Front national au premier tour n'a progressé que dans la moitié des cas. Le parti de Marine Le Pen a eu moins de réussite au second tour : outre l'invalidation de la cantonale de Brignoles; à Levens (Alpes-Maritimes), lors de la partielle de septembre 2012, il a échoué à se qualifier au second tour, comme il l'avait fait en 2011.

Seules deux des dix cantonales partielles ont conduit à un changement politique : en octobre 2012, l'UMP Marc Sené a supplanté le régionaliste David Heckel à Sarre-Union (Bas-Rhin). Au même moment, le FN Jean-Paul Dispard (désormais dissident) coiffait sur le poteau le communiste Claude Gilardo élu depuis 1998 à Brignoles.

Qu'en conclure?

- En valeur absolue le FN ne progresse pas. Mais il peut emporter des victoires...

- La perspective d'une victoire du FN ne mobilise plus les électeurs de gauche, lors d'un second tour. On verra dimanche prochain qu'à moins d'une participation beaucoup plus importante, le FN va emporter facilement cette élection cantonale.

- La moindre mobilisation des partis traditionnels prouve que M. Le Pen a réussi son pari,  en dédiabolisant tellement le FN que les électeurs n'en ont plus peur ! L'extrême droite frontiste apparait ainsi comme un parti comme les autres...

- Le mépris des partis traditionnels pour les électeurs (le cumul des mandats...), leur attitude féodale (les élus sont intouchables), leurs difficultés à expliquer les raisons de leurs échecs plus que les échecs eux-mêmes, tout cela fait que les électeurs se révoltent soit activement (vote FN), soit, surtout, passivement (abstention).

Quelles sont les solutions ? Probablement une nouvelle gouvernance, la parité, le non-cumul horizontal et vertical des mandats/fonctions favorisant une proximité plus grande avec les citoyens...