Les mots creux
" Gagnant-gagnant ", " réforme d'ampleur ", " la priorité des priorités ", " sérieux budgétaire " : à droite comme à gauche, le discours politique formaté est devenu inaudible
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C'est Manuel Valls lui-même qui a sonné l'alarme devant l'Assemblée nationale lors de son premier discours de politique générale, le 8 avril : " Beaucoup de nos compatriotes n'y croient plus. Ils ne nous entendent plus. La parole publique est devenue pour eux une langue morte." Son diagnostic, grave et volontiers provocateur, d'une classe politique qui ne parviendrait plus à s'adresser à ses concitoyens est partagé par beaucoup, à gauche comme à droite : la crise que traverse le système politique en France est aussi une crise de langage, une crise des mots qui ne font plus sens et peinent à décrire le réel comme à parler aux consciences.
De ce point de vue, les deux premières années du quinquennat de François Hollande ont été un modèle du genre. L'" inversion de la courbe du chômage " est devenue au fil des premiers mois le symbole de cette langue désincarnée et technique, née d'une expression forgée par Michel Sapin, alors ministre du travail, et reprise plusieurs fois par le chef de l'Etat lui-même. La non-réalisation de ladite inversion a à la fois signé l'échec de la gauche à obtenir des résultats, entamé durablement sa crédibilité pour le reste du mandat et souligné sa propension à se couler dans une nov-langue technocratique rejetée massivement par les Français.
" On ne sait plus parler aux gens, on parle comme des machines !", se désolait ainsi un député socialiste au lendemain de la déroute de la majorité aux élections municipales de mars. Depuis le remaniement qui s'en est suivi, la formule malheureuse a d'ailleurs été définitivement abandonnée par le nouveau gouvernement et remisée au rang des expressions bannies.
Le "mal-langage" politique a contaminé l'ensemble de l'échiquier partidaire et standardisé des discours, davantage clivés par le passé. Un phénomène provoqué largement par la fin des batailles idéologiques à partir des années 1990, et renforcé depuis par les mutations médiatiques de l'information en continu et du tweet, qui réclament une expression " à chaud " et calibrée, au risque de se limiter parfois à des slogans ou à des mots-valises. Combien de fois au cours de ces dernières années n'a-t-on pas entendu un(e) responsable " en situation " expliquer " les yeux dans les yeux " que le pays était " à la croisée des chemins", ou affirmer que telle "réforme d'ampleur " était " la mère de toutes les batailles " ? Quels que soient les gouvernements, tout nouvel accord est forcément qualifié de " gagnant-gagnant ", de même que l'emploi, l'éducation ou la lutte contre le terrorisme sont toujours " la priorité des priorités "… Ces mots, forts en apparence, ont en réalité perdu de leur substance au fil du temps : des coquilles vides rendant leurs locuteurs inaudibles par les Français qui éprouvent de plus en plus de défiance envers leurs dirigeants.
Quand cette politique qui s'exprime en bannissant toute aspérité est menée par la gauche, l'effet social et démocratique n'en est que plus désastreux, car " l'histoire de la gauche est jalonnée de marqueurs très forts dans le vocabulaire et leur disparition n'en est que plus spectaculaire ", explique l'historien Christian Delporte, auteur d'Une histoire de la langue de bois (Flammarion, 2009), qui remarque que " le PS ne parle plus depuis longtemps des ouvriers, ni même des travailleurs, mais des salariés noyés dans le grand ensemble flou des classes moyennes ".
Champions en acronymes
L'affaire n'est pas nouvelle. Déjà François Mitterrand et les socialistes avaient inventé les expressions de la " pause " ou de la " parenthèse " pour ne pas avoir à nommer le " tournant de la rigueur " de 1983. De même aujourd'hui, alors que le gouvernement s'apprête à engager 50 milliards d'économies publiques en trois ans, il n'est pas question de parler d'" austérité ", ni même de " rigueur ", mais plutôt de " sérieux budgétaire ", idiome censé être moins douloureux et anxiogène. "Se réfugier derrière des mots techniques et pragmatiques est une réaction hélas assez classique par gros temps économique", rappelle Christian Delporte.
Les socialistes sont donc devenus des champions en acronymes politico-techniques. Depuis 2012, le " CICE " pour " crédit d'impôt compétitivité emploi "ou l'"ANI"pour " accord national interprofessionnel " se sont érigés, parmi d'autres, en porte-drapeaux de cette langue technocratique inintelligible pour beaucoup, quand bien même celle-ci concerne des secteurs aussi décisifs pour le pays que la santé des entreprises ou le monde du travail. Et qu'importent les mises en garde des vieux grognards du PS. "Je demande aux socialistes de faire un effort : le jargon technocratique, ça suffit ", a lancé, fin avril, Jean-Christophe Cambadélis, tout juste propulsé premier secrétaire du PS.
Quelques mois auparavant, en septembre 2013, son ami Claude Bartolone, le président de l'Assemblée nationale, avait lui aussi exhorté son camp, alors embourbé dans le débat sur le " ras-le-bol fiscal ", à en finir avec " la gestionnite aiguë ". En vain, tant le réflexe est installé au sein d'une gauche qui n'incarne plus une rupture ni même un" changement " et semble se réduire à une gestion techniciste des affaires. " On est gouverné par des experts-comptables qui parlent une langue d'experts-comptables ", s'agace le député européen Emmanuel Maurel, leader de l'aile gauche du PS, qui fait remarquer que " jamais sur un marché un seul Français ne l'a interpellé pour parler de “politique de l'offre” ou de “compétitivité hors coût” ".
Partisan du "parler-vrai", Manuel Valls s'est donné pour mission depuis sa nomination à Matignon de "dire la vérité au pays". "Pour le premier ministre, le discours politique doit redevenir vivant et ne plus être la langue morte du discours technique", explique son conseiller en communication, Harold Hauzy, selon lequel " il faut opposer aux discours populistes des extrêmes le discours populaire de la gauche républicaine de gouvernement ". Manuel Valls prend donc soin depuis six mois de parler simple et clair. Expert en communication, il aime frapper les esprits et " briser les tabous ", comme avec son fameux " J'aime l'entreprise", lancé le 27 août à l'université d'été du Medef, et décliné depuis en allemand puis en anglais lors de ses déplacements à Berlin puis à Londres, au risque de devenir un gimmick masquant le fond idéologique de son propos.
" Manuel Valls développe un discours performatif, estimant que l'invocation de sa propre volonté se suffit à elle-même ", explique le chercheur en science politique Gaël Brustier, proche du Parti socialiste et auteur de La guerre culturelle aura bien lieu (Mille et une nuits, 2013). Le 29 avril, dans son intervention pour défendre le plan d'économies de 50 milliards d'euros de son gouvernement devant les députés, Manuel Valls a ainsi répété six fois l'expression " J'assume ", comme une réponse directe à la partie frondeuse de sa majorité. Mais, pour Gaël Brustier, la détermination du premier ministre ne parvient pas à masquer ses propres limites. " Un discours politique, c'est à la fois une vision de l'Histoire à long terme et des mots qui s'incarnent dans le réel et l'imaginaire immédiats des citoyens, explique l'essayiste. Or, le vallsisme n'est pas un corps idéologique très élaboré, Manuel Valls réagit plus à l'actualité qu'il ne dessine le futur. Il s'inscrit dans un social-conservatisme qui invoque les seules valeurs républicaines pour résoudre les problèmes économiques et sociaux. "
L'appel permanent aux "valeurs" serait au contraire la preuve que la gauche socialiste et sociale-démocrate a cessé de "faire de la politique " pour rendre les armes de son propre langage, en se convertissant aux canons de la mondialisation libérale. " Les droites parviennent à composer une petite musique décliniste qui fait sens chez les citoyens bousculés par la mondialisation, estime Gaël Brustier. En face, les gauches sociales-démocrates, qui avaient réussi à donner une lecture du monde pendant les “trente glorieuses”, sont en panne, alors que l'Etat-providence est en crise, que la croyance dans le progrès n'est plus automatique et que l'Europe de la paix n'est plus un argument massue. Les mots du PS aujourd'hui sont des balles à blanc face aux droites décomplexées. Les socialistes sont des pitbulls entre eux, mais des moutons face aux droites. "
Quand le travail devient un "coût", quand les cotisations sociales sont transformées en "charges", quand la question de la réforme de l'assurance-chômage "doit être reposée", la gauche parle comme la droite. Elle serait même devenue une " droite complexée ", adepte de la "double pensée", concept emprunté à George Orwell par le philosophe Jean-Claude Michéa, selon lequel on réalise en pratique ce que l'on dénonce en théorie. " La gauche est incapable de parler avec ses propres mots", estime Juan Branco, chercheur à l'Ecole normale supérieure, qui regrette que la gauche de gouvernement ait abandonné " tout discours lyrique au profit d'une parole technocratique, dénuée de tout sens tragique de l'Histoire ".
" Frustration "
Rien d'étonnant dans ce cas que Jean-Luc Mélenchon, ancien coprésident du Parti de gauche et premier opposant à gauche de l'actuel gouvernement, accuse François Hollande d'avoir " perverti les mots qui servaient à nommer les choses ". Pour Christian Delporte, le chef de l'Etat a " renoncé depuis son élection à un vocabulaire clair pour les électeurs et notamment pour le peuple de gauche". " Quand il parlait de la finance dans son discours du Bourget - durant la campagne présidentielle, le 22 janvier 2012 - , François Hollande renvoyait a minima à un vocabulaire qui plongeait ses racines dans l'histoire de la gauche. Aujourd'hui, son changement de vocabulaire est autant la conséquence que la cause de son changement de politique ", ajoute l'historien.
A l'heure où le Front national engrange chaque jour des voix supplémentaires, la reconquête par les partis traditionnels, à commencer par le PS, d'une parole audible par l'ensemble de la cité est donc indispensable, sous peine de créer, selon Juan Branco, " les conditions d'une catastrophe politique à venir ", car "le vide des discours officiels légitime les discours les plus contestataires et radicaux ". Pour le chercheur, " la gauche au pouvoir tient une parole “responsable” au nom de la tutelle indicible des marchés financiers ou de la technostructure européenne qui s'exerce sur elle et génère une frustration des Français, puisqu'on ne s'adresse plus à eux en réalité, mais à des entités extérieures non nommées ". Dès lors, " la gauche de gouvernement n'étant plus capable de canaliser un discours de rupture, c'est l'extrême droite qui s'en empare et le porte institutionnellement ".
Bastien Bonnefous
© Le Monde
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Oui, il y a des mots creux, techniques, de doux euphémismes mais il y a les mots qui tuent.
RépondreSupprimerNouvelles des fronts de l'extrême droite.
"Un nouveau parti fasciste est né, de par l’association politique entre Soral et Dieudonné, sous le nom très stratégique et pourtant explicite de « réconciliation nationale ». Cette information devrait suffire à répondre à ceux qui prétendent ne voir chez ces deux salopards « que de l’humour décalé ».
Non seulement cela n’a jamais été de l’humour (ou alors pour les fafs et réactionnaires de tout poil), mais il n’a jamais non plus été « décalé ». Les discours soraliens-dieudonnistes s’inscrivent dans la vieille et grande tradition antisémite et néo-coloniale française. Une tradition qui coïncide parfaitement avec les intérêts d’une certaine classe dominante, car il ne faut pas oublier que Soral et Dieudonné sont avant tout des business man, et que l’image du « dissident blanc » comme « du nègre insoumis » ne peut fonctionner que pour les pauvres qui n’ont pas de repères de classe. Encore récemment, la justice bourgeoise n’inquiète que très peu le pseudo-intellectuel, de son vrai nom Alain Bonnet de Soral, comme du pseudo-humoriste."
Vos logorrhées marquent les difficultés qu'il y a à s' arracher du monde onirique de nos primes jeunesses. Par ce qu'il est cruel de voir ses rêves aller se briser sur les murs de la réalité, nous vous pardonnerons pour vos obstinations.
SupprimerJe vous e....de bien bas et là comme pour le reste , je ne rêve pas.
SupprimerQuand à vos obsessions concernant ma petite personne, elles me ravissent car je vous gêne. Je déploierai donc maints autres articles.
En clair, continuez Benoît, c'est excitant.
C'est vrai que ce nouveau parti "Réconciliation nationale" dont l’emblème est notre drapeau national frappé de la svastika a une seule et unique obsession : les juifs et comme raison d'être l'antisémitisme (ou antisionisme ce qui revient au même), à travers l'obsession d'un complot juif, en lien avec les USA et la franc-maçonnerie ! Le commentaire de 15H42 prouve bien que cette démarche soralo-dieudonnesque est soutenue. Le climat s'y prête bien d'ailleurs, avec la folie zemmourienne et la crise palestino-israélienne en toile de fond.
SupprimerLe gouvernement français devra prendre ses responsabilités, en sachant que l'antisémitisme (et le racisme en général) n'est pas une opinion, mais bien un délit et donc punissable.
Soral, qui fut dirigeant du FN, reste proche des Le Pen. Il annonce qu'il crée son parti car il est en désaccord avec les positions pro-israéliennes du FN
S'agit-il d'un partage des rôles pour viser les différentes cibles : les propalestiniens, les proisraéliens... Mais une cible majeure échapperait à cette répartition entre les 2 partis d'extrême-droite : ceux qui aspirent à la résolution d'un conflit qui n'a que trop duré !
Et oui, la méthode Couet a ses limites. Déjà qu'en médecine ça ne marche que rarement, et tant mieux pour ceux avec qui cela a fonctionné, alors en politique, tu parles Charles...DeGaulle.
RépondreSupprimerNouvelles de nos pourris:
RépondreSupprimerLe président de la commission des Finances de l'Assemblée nationale, Gilles Carrez (UMP), risque un redressement fiscal en raison du non-paiement de l'ISF, selon une information de Mediapart confirmée par le parlementaire qui dit être "complètement de bonne foi".
Gilles Carrez a appliqué à la valeur de sa maison, qu'il possède avec sa femme à travers une SCI (société civile immobilière) au Perreux (Val-de-Marne), ville dont il est le député-maire, l'abattement de 30% prévue pour les résidences principales, sauf, justement, si elles sont détenues via une SCI. Cet abattement, auquel il n'avait donc pas droit, a fait baisser la valeur taxable de sa maison au-dessous du seuil des 1,3 million d'euros prévus par la loi pour être assujetti à l'ISF (Impôt de solidarité sur la fortune).
De ce fait, il n'acquitte plus cet impôt depuis qu'en 2011, durant le quinquennat de Nicolas Sarkozy, le seuil d'imposition à l'ISF a été relevé à 1,3 million d'euros.
Les mots creux me laissent indifférent , ceux des discours de l'extrême droite me révulsent .Par contre j'adore écouter "les mots bleus " .
RépondreSupprimerLes Mots Bleus:
RépondreSupprimerIl est six heures au clocher de l'église, dans le square les fleurs poétisent
Un homme va sortir de la mairie, comme chaque soir je l'attends
Il me sourit, il faudrait que je lui parle à tout prix
Je lui dirai les mots bleus , les mots qu'on dit avec les yeux
Parler me semble ridicule, je m'élance et puis je recule
Devant une phrase inutile, qui briserait l'instant fragile, d'une rencontre, d'une rencontre
Je lui dirai les mots bleus, ceux qui rendent les gens heureux
Je l'appellerai sans le nommer,je suis peut être démodée
Le vent d'hiver souffle en avril, j'aime le silence immobile
D'une rencontre, d'une rencontre
Il n'y a plus d'horloge, plus de clocher, dans le square les arbres sont couchés
Je reviens par le train de nuit,sur le quai je le vois
Qui me sourit, il faudra bien qu'il comprenne à tout prix
Je lui dirai les mots bleus, les mots qu'on dit avec les yeux
Toutes les excuses que l'on donne, sont comme les baisers que l'on vole
Il reste une rancoeur subtile, qui gácherait l'instant fragile
De nos retrouvailles, de nos retrouvailles
Je lui dirai les mots bleus, ceux qui rendent les gens heureux
Une histoire d'amour sans paroles n'a pas besoin du protocole
Et tous les longs discours futiles, terniraient quelque peu le style
De nos retrouvailles, de nos retrouvailles
On peut rêver.
D'après Christophe...
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