On compte sur l'Europe pour gérer ce défi...

Il y va de sa crédibilité...

Réfugiés : un défi historique

Le Monde 7/11/2015

Elle n'est pas seulement dépourvue du sens de l'urgence, elle a perdu le sens du tragique. Que s'est-il passé cette année, avant que la Commission de Bruxelles n'émette des hypothèses pour le proche avenir, comme elle l'a fait jeudi 5 novembre ? Les camps de réfugiés installés dans les pays limitrophes de la Syrie, particulièrement en Turquie, débordent, faute de moyens. Des dizaines de milliers de personnes ont pris la route. Elles le font non seulement la mort aux trousses mais aussi la mort dans l'âme : on ne s'éloigne jamais facilement de son pays, surtout dans ces classes moyennes qui prennent la route de l'exil. Elles le font en direction de l'UE, la zone riche la plus proche. Elles le font en payant leur voyage – passeurs et transports réguliers.

Depuis le début de l'année, quelque 700 000 personnes ont ainsi gagné une UE qui compte plus de 500 millions de ressortissants. Elles passent là où la route est libre. L'itinéraire aujourd'hui privilégié est le chemin qui va des côtes turques aux îles grecques, puis, de là, à ceux des pays du nord de l'UE qui sont les plus accueillants, l'Allemagne et la Suède en priorité.

On comptait sur l'automne, puis sur l'hiver, pour que la noria de la flottille des passeurs se ralentisse. Mais la guerre en Syrie ne baisse pas d'intensité et les trafiquants se fichent de la météo. La semaine dernière encore, ils entassaient des familles entières dans des canots de fortune, n'étaient des vents de gros temps et des vagues de plus de 2 mètres. Cette même semaine, on a enregistré jusqu'à 9 000 départs par jour vers les îles grecques. Et plusieurs dizaines de noyades.

Si ce rythme se maintient, la Commission n'a pas tort de dire que le flux des réfugiés devrait cette année dépasser le million. Ici, deux observations. La première : en ces temps d'Etat-providence malmené par une croissance encore anémique, l'intégration des réfugiés est rien de moins que facile. La seconde : pour peu qu'on veuille bien " déshystériser " le débat, les chiffres, rapportés à la richesse et à la population de l'UE, sont importants, mais pas monstrueux.

Seulement, l'UE peine à manifester la solidarité organisée qu'il faudrait – ce " plus d'Europe " que requiert la situation, une mobilisation d'urgence. " Les vagues de la mer Egée ne repoussent pas simplement sur nos rivages les corps des noyés, mais aussi un peu de ce qui fait la civilisation de l'Europe ", dit le premier ministre grec, Alexis Tsipras.

Les pays en première ligne de l'UE, ceux qui sont à sa bordure sud, sont trop souvent laissés à leur sort. La Commission a bien mis au point un plan, sage et modeste, de relocalisation de quelque 160 000 personnes. Il tarde à être appliqué. A ce jour, moins d'une centaine de réfugiés ont été relocalisés au titre du plan de la Commission. A ce rythme, notait le New York Times, il faudra 766 ans pour relocaliser les 160 000 malheureux du programme.

Les Européens se retrouvent dans les jours qui viennent pour une série de réunions sur la question des réfugiés. Ils savent qu'une de leurs priorités sera de négocier avec la Turquie, qui, si on lui en donne les moyens, peut stabiliser le flux des réfugiés, ce quelle ne fait pas aujourd'hui. Tout juste réélu, le président Recep Teyyip Erdogan va poser ses conditions. La négociation sera rude.

Mais si l'UE continue à gérer comme relevant des affaires courantes le premier vrai défi historique qu'elle rencontre, alors, ce qui va se défaire, c'est elle-même.