"Chez nous"

Je suis allé hier à la séance de 18h30, au cinéma Les Etoiles de Bruay-la-Buissière, voir le film de Lucas Belvaux, "Chez nous". Une petite trentaine de spectateurs, mais à la séance suivante, la salle fut prise d'assaut par un grand nombre de personnes dont je n'ai pu évaluer le nombre...

Disons-le tout de suite : on ne voit pas passer les 2 heures que dure le film et, vu le silence ambiant, je pense que les spectateurs furent aussi "scotchés" que je le fus... Étaient-ils, comme moi, intimement convaincus de la nocivité du parti d'extrême droite, objet du film et copie du Front national. Probablement, sinon je pense qu'il y aurait eu des réactions, pendant et après la séance... 

Au préalable, même si la situation se déroule à Hénart, commune imaginaire, contraction de Hénin-Liétart (avant de fusionner pour devenir Hénin-Beaumont), le film n'a rien à voir avec la ville où le FN s'est implanté en 2014. Tout juste une allusion à la volonté du parti d'extrême-droite de chercher un lieu d'implantation locale pour son leader, Agnès Dorgelle (clone de M. Le Pen). L'action se passe bien dans le Bassin minier et l'on reconnaîtra beaucoup de lieux emblématiques : des corons de différentes communes (Bruay par exemple), les terrils jumeaux de Loos, la piste de ski de Noeux-les-Mines... L'allée des Soupîrs, bien connue des Béthunois, a servi de lieu de tournage pour le domicile du personnage principal. 

Au cœur du sujet du film, il s'agit, en vue de proches élections municipales, de recruter une tête de liste sur place. Le médecin dévoué au parti depuis 40 ans et admirateur du père Dorgelle (mis à l'écart par sa fille) est  joué par André Dussollier (excellent). Il jette son dévolu sur Pauline, l'infirmière, unanimement appréciée par sa patientèle. D'abord surprise (son père est un ancien ouvrier, communiste), elle se laisse convaincre, après avoir rencontré Agnès Dorgelle, constamment accompagnée d'un conseiller qui ressemble étrangement à Florian Philippot... La campagne électorale est difficile et émaillée d'incidents... Je n'en dirai pas plus pour laisser un peu de suspens aux futurs spectateurs...

Les acteurs sont excellents et Emilie Dequenne (Pauline) confirme tout son talent. La mise en scène révèle le peu de moyens dont disposait le metteur en scène, mais qu'importe, l'atmosphère que les gens du bassin minier connaissent est bien présente.

Avant même la sortie du film, le Front national s'est offusqué et a pu évoquer la médiocrité de l'oeuvre et le maire FN d'Hénin-Beaumont s'est ridiculisé en parlant de Catherine Jacob (interprète de la leader du parti), comme d'un "pot à tabac"... En vérité, quand on voit son chef avec des yeux enamourés, il faut savoir souffrir la réalité quand elle se présente à vous...

On peut comprendre l'inquiétude du FN, à quelques semaines de l'élection présidentielle. Car le film dévoile la face cachée du Front. Comme dans la réalité, tout est entrepris pour dédiaboliser ce parti dont le père (JM Le Pen, tout le monde l'aura compris) de la présidente avait fait un parti repoussoir regroupant toutes les mouvances de l'extrême-droite pétainiste, maurrassienne, etc. Cette dédiabolisation est l'obsession de la présidente du parti et de ses conseillers qui s'inquiètent des fréquentations des candidats.

Lors d'une réunion publique, on explique bien aux militants les éléments de langage qui ne doivent pas laisser transparaître leurs véritables pensées, racistes bien entendu. Le recrutement de candidats aux élections (et notamment de la tête de liste) privilégie les gens sympathiques, encadrés, bien sûr, par des militants chevronnés et de caciques parachutés qui, eux, savent que le mot d'ordre c'est "la France aux Français " avec toutes les conséquences que cela implique. Le trait est un peu forcé quand Pauline se voit remettre le programme de sa liste qu'elle n'a même pas pu lire avant impression. "De toutes les façons personne ne lit le programme" professe le bon docteur qui assure, par ailleurs, que c'est "le même programme partout avec quelques adaptations locales". 

Lucas Belvaux dépeint bien le racisme ordinaire des militants, au quotidien et lors de réunions "entre-soi"...

Au cours du film, apparaît un mouvement des Identitaires, ces nazillons en rupture avec le parti depuis que ce dernier a décidé de soigner son image. Certes, ces extrémistes ne sont pas implantés dans le bassin minier, mais leur quartier général, dans le film, fait penser à l’ex-Maison flamande de Lambersart, et au bar de la Citadelle, à Lille, distants d'une trentaine de kilomètres du bassin minier. Les étendards (le lion flamand par exemple), dans la salle d’entraînement de boxe, sont explicites. La brutalité de ce mouvement militariste est doublée par la présence discrète du service d'ordre du parti, tout aussi effrayant et qui s'appelle, au Front national, le "Département protection sécurité" (DPS). 

Il s'agit donc d'un film glaçant et inquiétant car il nous montre l'envers du décor d'un parti politique qui veut donner à l'extérieur, une image propre et rassurante. Espérons que cela ouvrira les yeux de certains spectateurs.