Le Monde 18/5
Qu’appelle-t-on la « troisième voie » ?
Qu’appelle-t-on la « troisième voie » ?
Théorisée
par le sociologue et philosophe britannique Anthony Giddens, la
« troisième voie » vise à créer une philosophie politique
et économique à mi-chemin entre la social-démocratie et le libéralisme.
Elle a été lancée en Amérique par Bill Clinton [président des
Etats-Unis de 1993 à 2001] et en Europe par Tony Blair [premier
ministre du Royaume-Uni de 1997 à 2007], puis reprise par le
social-démocrate Gerhard Schröder [chancelier fédéral d’Allemagne de
1998 à 2005].
L’idée
est la suivante : le capitalisme a changé, on ne peut pas ignorer la
mondialisation, elle crée des inégalités mais elle fournit aussi d’énormes
opportunités. Autrement dit : il faut se réconcilier avec une forme de
libéralisme, et donner leurs chances non plus à des catégories sociales mais à
des individus.
D’où
l’importance de l’éducation et de la formation – grand thème de Tony Blair dans
les années 1990 –, seules à même de répartir au mieux ces opportunités en
aidant les catégories les plus faibles. Lesquelles ne sont plus seulement les
classes populaires, mais aussi des classes moyennes émergentes malmenées par la
mondialisation.
Cette
évolution a déclenché l’un des grands débats de l’histoire du socialisme
européen, peut-être le plus grand depuis celui entre Bernstein et Kautsky.
Car elle a
de multiples conséquences sur le paysage politique : l’affrontement
gauche-droite s’estompe au profit d’un clivage entre progressistes et
conservateurs ; le centre gauche devient le dépositaire d’une forme
d’optimisme ; le rôle de l’Etat s’amenuise ; les droits sociaux
s’accompagnent de devoirs et de responsabilité individuelle… Tous ces éléments
ont secoué fortement tous les partis socialistes et sociaux-démocrates. La
majorité d’entre eux se sont reconnus dans cette proposition – à l’exception
notable du parti d’Epinay.
Pourquoi
cette résistance au changement du PS français ?
Parce que
cette troisième voie emprunte beaucoup au libéralisme, et que ce
« social-libéralisme » ne passe pas dans la gauche française – du
moins officiellement. Car, en réalité, lorsqu’ils sont au pouvoir, les
socialistes français tentent eux aussi de mener cette politique. Mais ils ne le
disent pas : ils sont à nouveau dans une forme de réformisme honteux.
En
premier lieu pour des raisons historiques : à la fin des années 1990,
alors que le débat fait rage au sein des social-démocraties européennes, le
gouvernement Jospin, au pouvoir de 1997 à 2002, est soutenu par une gauche
plurielle rassemblant notamment le Parti communiste français (PCF) et Les
Verts. Tactiquement, pas question, donc, d’aller dans cette direction.
Pour des
raisons culturelles, ensuite : au sein de la gauche française, la
troisième voie est perçue comme un libéralisme uniquement économique. Or, si le
PS est progressiste en termes de libéralisme culturel (défense des libertés
individuelles), il est nettement moins à l’aise avec le libéralisme
économique. Nous avons en effet une culture étatique très importante héritée de
notre histoire monarchique.
« La
troisième voie suppose de s’affranchir du clivage gauche-droite, ce qui est
inadmissible pour l’ensemble de la classe politique française »
Enfin, la
troisième voie suppose de s’affranchir du clivage gauche-droite, ce qui est
inadmissible pour l’ensemble de la classe politique française. C’est en effet
la France qui a inventé ce clivage, selon la position géographique prise
par les différents partis politiques dans l’Assemblée constituante de
1789 ! C’est la division suprême, la summa divisio dont
parlait l’historien René Rémond, celle qui structure les mentalités, les
cultures et les comportements politiques.
Et cette
division a encore été renforcée sous la Ve République par la
loi électorale du scrutin majoritaire à deux tours : même si le clivage
entre gauche et droite est de plus en plus difficile à comprendre sur les
questions économiques, il revient en force au moment de l’élection. C’est ce
que perturbe aujourd’hui Emmanuel Macron.
Quel
résultat a donné cette troisième voie dans les pays qui l’ont suivie ?
Tous les
tenants du social-libéralisme le savent aujourd’hui : la troisième voie
n’est pas la solution miracle. Certes, elle réduit le taux de chômage dans
la plupart des pays qui l’ont suivie. Mais au prix d’un creusement des
inégalités, qui s’est encore accentué depuis la crise financière de 2008.
Résultat :
non seulement ces politiques sont aujourd’hui contestées, mais elles ne
garantissent plus la victoire des partis qui les portent – en Italie, le
mouvement démocrate de Matteo Renzi est ainsi sévèrement concurrencé par le
Mouvement 5 Etoiles.
La
mondialisation nous plonge dans une phase historique de bouleversement, et
toute la gauche européenne est en crise. Le problème n’est donc pas propre à la
France. Mais plus encore que les autres partis social-démocrates, le PS, du
fait de sa résistance au changement, souffre d’une faiblesse d’élaboration
intellectuelle et de travail théorique. Aujourd’hui, c’est peut-être ce qui
pèse le plus sur sa survie.
Quel
avenir peut-on prédire au PS français ?
Le PS est
dans une situation gravissime. Depuis le congrès d’Epinay, au cours duquel
François Mitterrand, en 1971, a pris le contrôle du tout nouveau PS, sa
grande force a été de parvenir à rassembler des sensibilités différentes
autour d’un projet.
Or, la
machine vient d’exploser en vol. Le quinquennat de François Hollande a mis au
jour qu’il y avait peut-être en effet, comme le disait Manuel Valls, des
gauches « irréconciliables ».
La gauche
française peut aujourd’hui être comparée à un champ magnétique à deux
pôles : le pôle Mélenchon et le pôle Macron. Ecartelé entre ces deux
forces contraires, le PS voit son centre se fragiliser, alors qu’il s’agit
justement d’un parti gouverné au centre.
Se
sortira-t-il de cette crise ? S’il doit continuer d’exister, il lui faudra
tout refonder : ses bases, son identité, sa stratégie. Il lui faudra
surtout faire un devoir d’inventaire de son exercice du pouvoir, en remontant
jusqu’en 1981. Après le quinquennat qu’ils viennent de vivre, les
socialistes ne peuvent plus éviter cet examen de conscience. Moyennant quoi ils
parviendront peut-être, pour certains d’entre eux, à « garder la
vieille maison ».
pfff
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