samedi 14 septembre 2013

Les politiques sont-ils à la hauteur ?


Un peu long, mais un régal . Endogamie, manque de prospective, utilité des partis, rapports à l'histoire, urgence, énarchie...
 
LE MONDE CULTURE ET IDEES |


C'est une expérience presque trop facile à réaliser. Prenez n'importe quelle petite assemblée et posez benoîtement la question : "En politique, trouvez-vous que le niveau a baissé ?" Droite et gauche confondues, érudits ou pas, militants ou abstentionnistes, tous se retrouveront dans une belle unanimité. Nos derniers présidents de la République ? Archaïques, vulgaires, étriqués, et, quoi qu'il en soit, impuissants face à la mondialisation ! Nos élus ? Perdus dans le tourbillon des "petites phrases" ! Les ministres ? Absorbés par le court terme ! Les partis ? Un ramassis d'apparatchiks !
Les nostalgiques regrettent les joutes entre Jaurès et Clemenceau, la profondeur des Mémoires du général de Gaulle, les références littéraires de François Mitterrand. Les modernes remarquent qu'aucun dirigeant n'a autant changé la société qu'un Steve Jobs. Mais il est peu probable que vous trouviez un interlocuteur assez fou ou assez enthousiaste pour défendre le niveau de la classe politique française. En déclin, vous dit-on.

MARQUES D'ENDOGAMIE
Rares, pourtant, sont les travaux universitaires sur la question. Comme si le délabrement paraissait à la fois sûr et impossible à mesurer. Bien sûr, la science politique évalue depuis longtemps les marques d'endogamie du milieu. Dans les sociétés contemporaines, représenter, c'est être représentatif. Et être représentatif, c'est être ressemblant. Or la ressemblance pèche encore dans un pays dont le président de la République a pourtant fait toute sa campagne sur sa supposée "normalité".
Béligh et Hamdi Nabli notent ainsi dans un petit essai publié récemment par la Fondation Jean Jaurès, L'(In)égalité politique en démocratie, que près de 40 % des nouveaux députés élus lors des élections législatives de 2012 n'ont pas comblé le décalage entre la morphologie du corps législatif et la société française. Ainsi, écrivent-ils, "la société politique moderne serait discursivement ouverte, par son idéologie démocratique et libérale, mais pratiquement fermée. Tel est le paradoxe de sociétés libérales caractérisées par l'homogamie sociale".

MANQUE DE PROSPECTIVE
Ce qui frappe pourtant plus encore est ailleurs. Jamais on n'a vu fleurir autant de think tanks, ces groupes de réflexion censés penser les réformes et l'avenir. Jamais, pourtant, les dirigeants n'ont paru aussi peu préparés à assumer les mutations du monde. Désormais, on évalue, on compare, on décrypte, on sonde, sans pouvoir inventer ni se projeter au-delà de deux ou trois ans. Le fond de l'air est devenu fade et chacun a le sentiment diffus que le personnel politique est plus faible, plus démuni qu'auparavant.
Les politologues, les philosophes et les élus eux-mêmes n'ignorent pas la question. Et chacun y répond à sa manière. "C'est la politique qui est devenue plus compliquée, remarque le député européen Daniel Cohn-Bendit. On réclame à un responsable national de trouver des réponses à des problèmes économiques ou écologiques qui n'ont de solutions qu'à un niveau international. Croyez-vous que, dans ce contexte, les politiques d'autrefois auraient été plus compétents pour résoudre les difficultés d'aujourd'hui ?" La puissance s'est en effet déplacée, dès la fin des années 1960, et sans doute Pompidou est-il le dernier président français à avoir détenu, à la tête de l'Etat, la réalité de la puissance publique.
Mais le milieu politique a-t-il évolué comme il le devrait ? "C'est un groupe social en plein désarroi", souligne Dominique Reynié, professeur de sciences politiques, directeur général de la Fondation pour l'innovation politique, un groupe de réflexion de tendance libérale proche de l'UMP. Il y tient un séminaire sur les pratiques des politiques. Là, il observe avec eux leur façon très concrète de penser, de décider. "Ils forment le groupe socioprofessionnel le plus localisé dans une société mondialisée, constate-t-il, le plus attaché à la culture de l'Etat et de l'administration dans un univers où c'est le marché qui, pour le meilleur et pour le pire, a pris de l'importance."

"PERSONNALISATION, OBLIGATION DE VITESSE ET EMPIRISME"
Le dernier numéro de la revue Esprit (août-septembre) tente d'analyser cet appauvrissement à travers un tour d'horizon cinglant. "A quoi servent les partis ?", questionne la revue, dirigée par Marc-Olivier Padis. A plus grand-chose, répondent quasi unanimement ses contributeurs. "L'organisation même de la vie des partis politiques est difficilement compatible avec un travail intellectuel, écrit Lucile Schmid, membre du comité de rédaction d'Esprit et corédactrice du projet présidentiel d'Europe Ecologie - Les Verts en 2012. Ultraréactivité à l'actualité, guerre des chefs et des sous-chefs, présence vibrionnante sur le terrain, l'exercice politique est marqué par la personnalisation, l'obligation de vitesse et l'empirisme."
Le philosophe Luc Ferry, qui a goûté les joies et les limites de l'exercice politique en étant ministre de l'éducation nationale de 2002 à 2004 sous Jacques Chirac, y voit une évolution plus profonde. "Les hommes politiques d'aujourd'hui manquent de sens historique. Or, la politique est le rapport à l'Histoire. Le monde a évolué dans le sens de ce qu'Heidegger appelait le sens de la technique, estime-t-il. La première mondialisation en Europe, c'est Newton, une révolution scientifique au temps des Lumières : les lois de la gravitation et de l'inertie valent pour tous. C'est, d'une certaine façon, le premier discours vraiment mondialisé, universel. Cette mondialisation est au service d'un projet : l'émancipation de l'humanité."
Cette idée-là durera un siècle et demi. "Quand de Gaulle dit : "La ménagère voudrait une machine à laver", c'est encore l'idée de progrès, remarque Luc Ferry. Mais, avec la finance et l'Internet, la concurrence est mondiale et la question de la compétition, de la survie, l'a emporté sur la finalité. On entre dans une logique qui est celle de l'innovation pour l'innovation. Et la finalité disparaît." A ses yeux, "la compétition universelle a entraîné un monde de super-techniciens. Aujourd'hui, la gestion d'un ministère ressemble à celle d'une agence de communication. Il y a une définalisation au profit de la seule considération des moyens. Et, désormais, mieux vaut la science des médias que la science tout court".

NOTES DES COMMUNICANTS
Ah, les médias ! Leur poids croissant est indéniablement l'un des éléments du problème. Et les politiques sont sans doute les plus acerbes sur cette relation d'interdépendance qui les unit à eux. "J'ai fait des réunions de cabinet dont le thème était : "Comment faire pour être repris dans Le Parisien ?", reconnaît ainsi l'ancien ministre du logement Benoist Apparu. On a mis trois quarts d'heure pour concevoir le plan destiné à sauver les concierges et on a fait carton plein. Mais, le pire, c'est que l'on était jugé là-dessus par le président Sarkozy. Le fait de faire partie des secrétaires d'Etat qui parlent dans le poste aide à rester au gouvernement en cas de remaniement..." Les rapports du Plan qui nourrissaient autrefois les discussions ont été remplacés par les notes des communicants. Les politiques lisent ce qui sera utile le lendemain sur les radios et les chaînes d'information continue. Dans ces conditions, de simples éléments de langage suffiront...
Car l'urgence, ce sacre du présent décrit par le sociologue allemand Hartmut Rosa en 2010 dans Accélération. Une critique sociale du temps (La Découverte, 2010), ou par le directeur de la Fondation Jean Jaurès, Gilles Finchelstein, un an plus tard, dans La Dictature de l'urgence, est devenue la plaie du politique. Constamment sollicité par les médias, rivé à son compte Twitter, il finit parfois par déblatérer à tort et à travers.
Dans son séminaire sur les pratiques politiques, Dominique Reynié en est ainsi venu à s'interroger sur les différentes façons dont les dirigeants accèdent à l'information. "La culture énarchique combinée à la culture de l'urgence ont produit un système. Désormais, les élus ingurgitent des notes d'une ou deux pages. Comment comprendre la complexité avec une information aussi parcellaire, superficielle et parfois énigmatique ? On en arrive très vite à des formes de renoncement. Ne vaudrait-il pas mieux prendre deux heures pour lire cinquante pages approfondies sur un sujet ? Bien sûr que oui. Quel homme politique le fait encore ?"

CRISE DE VOCATION
Au cours des dernières décennies, le recrutement des politiques s'est insensiblement modifié. Pour le sénateur du Territoire de Belfort Jean-Pierre Chevènement : "La culture historique et philosophique a indéniablement baissé. Dans les années 1960, on se croyait obligé de lire Marx, Freud et Nietzche. Aujourd'hui, on lit au mieux Nicolas Baverez et Alain Minc, et encore ils n'ont pas les lecteurs qu'ils méritent."
La nouvelle génération n'a connu aucun de ces grands chocs politiques que furent la seconde guerre mondiale, les guerres de décolonisation ou mai 1968, et qui opérèrent dans les générations précédentes une sélection darwinienne. Beaucoup ont appris la politique dans les syndicats étudiants, les médias ou plus souvent, dans le sillage d'autres élus. "On est passé de la république des professeurs à celle des énarques et, désormais, de la république des énarques à celle des attachés parlementaires, très bons sur les jeux d'appareil mais en dehors de la vraie vie", constate le conseiller médias et culture du président de la République, David Kessler. Il est révélateur que le think tank du Parti socialiste, Terra Nova, ait eu davantage d'influence au PS sur l'organisation des primaires que sur la réflexion économique...
La vocation, le goût pour la politique semblent s'être eux-mêmes affaiblis. "Dans ma promotion de l'ENA, faire de la politique était le but supérieur, remarquait récemment, lors d'un déjeuner avec la rédaction du Monde, François Hollande. Aujourd'hui, ce n'est plus le cas et le niveau a baissé, déjà, depuis vingt ans. Le privé, avec ses salaires, son ouverture sur l'étranger, ses carrières, a aspiré les plus ambitieux."

DÉCLASSEMENT
Le discrédit, les scandales judiciaires, la fin de l'argent sans contrôle ont fait le reste. "Les citoyens ont moins confiance dans notre utilité, ils pensent plus souvent que nous ne servons à rien et cela pèse sur notre génération, reconnaît le député socialiste Christophe Borgel. Du coup, toute une série de gens qui auraient fait de la politique, il y a trente ans, se retrouvent plutôt dans le secteur privé ou dans des grandes ONG."
Jean-Pierre Raffarin, sénateur UMP de la Vienne (Poitou-Charentes), résume les choses de façon plus radicale encore. "Le profil de ceux qui veulent faire de la politique a vraiment changé. Les jeunes qui viennent me voir aujourd'hui cherchent un job en même temps qu'un mandat." C'est un sentiment de déclassement qui, dans sa génération, domine. "Ce qui s'est dégradé, c'est que ma mère voulait que mon père fasse de la politique alors que ni ma femme ni mes enfants ne veulent que j'en fasse, constate-t-il ainsi. Il y a une forme d'impuissance, une trop grande exposition médiatique et ce n'est plus une carrière gratifiante. On est des moins que rien pour les industriels avec lesquels on discute chaque jour, mais les électeurs croient encore que nous vivons dans une jouissance effrénée..."
 
Raphaëlle Bacqué
Journaliste au Monde



 "L'(IN)ÉGALITÉ POLITIQUE EN DÉMOCRATIE"
de Béligh et Hamdi Nabli (Fondation Jean Jaurès, 68 p., 6 €). Téléchargeable gratuitement sur le site de la Fondation Jean Jaurès.
"LA DICTATURE DE L'URGENCE"
de Gilles Finchelstein (Fayard, 2011).
 

8 commentaires:

  1. Monsieur Alpern,
    Le 12 septembre, j'écrivais sur le blog de Mr Piret un commentaire sur l'article " De l'honneur en politique", article qui m'interrogeais.
    Mr Piret refuse de valider mes propos, en me renvoyant vers un lien explicatif que je résume:
    "Je n'ignore pas les usages détournés que l'on fait sur les blogs..../ les commentaires dont les rédacteurs ne pourront être nommément identifiés ne seront pas publiés..."
    Je ne détourne jamais l'usage des blogs, je me nomme Mary Le Morillon et Mr Piret dispose de mon adresse email.
    Voici donc mon commentaire, l'esprit, car malheureusement, je ne l'ai pas enregistré.

    Mr Piret, si je vous rejoins sur les différences entre les termes "honneur" et "considération", je m'interroge et m'inquiète des propos qui suivent.
    Est-ce à celui ou celle qui a "attaqué" préalablement une personne ( quelque soit ses raisons)de déterminer si cette personne,pour qui elle n'a pas de considération, est en droit ou pas d'ester en justice parce qu'elle se sent diffamée, est en droit ou pas d'avoir un sens de l'honneur?
    La presse, les tabloids, les blogs et les télés, mais aussi des particuliers et des électeurs pour un homme politique ( souvenons -nous de l'affaire Baudis)pourraient alors dire tout et n'importe quoi puisque ce serait aux citoyens seuls de "reconnaître ou non, s'ils le jugent utile, en chacun des acteurs politiques, un sens de l'honneur".
    Mr Binaisse a semble t'il, à plusieurs reprises, porté plainte pour diffamation. Est-ce à nous citoyens de juger de la considération qu'il a de lui même?
    Vision de la justice pour le moins inquiétante.

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  2. Une petite info d'un monsieur la morale payé à 20 000 euros/heure.

    http://fr.news.yahoo.com/lilian-thuram-karine-marchand-laccuserait-violences-conjugales-081522773.html

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    1. ne vous avancez pas trop sur ce terrain, la principal intéressè n'a pas confirmer ses violences et le scoop est donné par un magazine de chiotte ou de salle d'attente...je n'y crois pas du tout a cette affaire...

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  3. Personnellement j ai renoncé à réagir sur le blog de Pirer. Je ne suis pourtant pas dans l insulte ni dans la diffamation. Je ne lis plus bon plus ses articles car il soulève des questions auxquelles il est impossible de répondrez

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    1. A chaque chose , il est difficile de répondre , à chaque chose , la réponse est un compromis .Après réflexion , on essaie de faire le moins mauvais choix , on réfléchit !!Le blog de Monsieur Piret est ainsi , ou c'est ainsi que je le lis ; ah! c'est plus facile de lire Voici , Gala ou le tract FN . Comme j'entends dire une voisine , au moins là , c'est facile à lire , ça va vite , on se casse pas la tête et on comprend !!

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  4. François Mitterrand disait en 89, <> Voila la méprise qui existe de nos jours entre le personnel politique et l attente qu en a le citoyen. Tout ou presque ne se décide plus chez nous, mais par une nébuleuse qui s appelle la technocratie européenne.

    Elections piege à c...........

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    1. Avant d’être européenne, la technocratie est nationale (française, en l’occurrence), et avant d’être nationale, elle est locale. Elle a bon dos, l'Europe. Elle n'est pas la cause, mais la conséquence de ce qui se fait, en bien ou pas, à un niveau plus restreint. FM, malgré son érudition et son art de la g... politique, pouvait lui aussi se tromper de cible.

      Tom Jericho.

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  5. Ce n'est pas non plus la technocratie européenne qui détient le pouvoir... ce serait peut être possible de s'opposer aux mesures les plus insensées... mais des nébuleuses financières puissantes, des entreprises tentaculaires mondiales aux intérêts exclusivement financiers et privés.
    Pour cacher cela, il est bon d'accuser le voisin, de parler de concurrence sauvage qui nous échapperait,de crise, de tant en tant de nous envoyer en guerre pour travailler l'idée de nation ou de patriotisme et renouveler les stocks d'armes, de nous inventer de nouveaux besoins et produits manufacturés à la durée de vie la plus courte possible pour que nous consommions vite et mal, de proposer une télé abrutissante...
    La politique c'est nous. Pour changer ce monde, peut être devrons nous changer individuellement.

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