vendredi 9 avril 2010

Fiscalité écologique et razzia planétaire, par Dominique Bourg et Nicolas Hulot

Point de vue

LE MONDE | 06.04.10 |

ous avons changé de monde. Personne ne nie la mondialisation économique. Plus personne n'entretient d'illusions sur le pouvoir d'un pays isolé à infléchir la réalité. La concurrence commerciale entre les nations est tangible pour tous. Elle est présente dans notre quotidien via la multitude des biens disponibles, mais aussi à travers les délocalisations et fermetures d'entreprises.
Nous sommes également face à d'autres changements, plus structurants encore, mais presque imperceptibles. Car si nos sens peuvent nous renseigner sur la météo et ses variations, ils ne nous permettent en rien de repérer l'évolution des températures moyennes ou de la composition chimique de l'atmosphère. Plus généralement, ils ne disent rien sur les limites de la planète et celles de ses ressources.
Et pourtant le tableau est saisissant : une véritable razzia ! Nous vidons la Terre d'une grande part de ses ressources. Les grandes compagnies pétrolières, notamment Shell et Total, annoncent pour les toutes prochaines années le pic pétrolier. Bientôt notre addiction à l'or noir, faute de ressources, deviendra ingérable socialement et économiquement.
Nous avons dans le même temps fait main basse sur les ressources minérales facilement accessibles. Pour un grand nombre de métaux, les gisements actuellement exploités devraient être épuisés entre une et quelques décennies. Nous pourrons trouver d'autres gisements, mais à un coût énergétique et économique toujours plus élevé.
Nous utilisons annuellement la moitié des ressources d'eau douce disponible, en dégradant sa qualité quand nous la restituons aux écosystèmes. Dans les mers, la situation n'est pas meilleure. Nous avons vidé les océans. Le poids moyen des poissons pêchés est, en trente ans, passé de 800 à 150 grammes. Il y a autant de thons rouges conservés à - 60 °C au Japon que dans les mers.
Ajoutons à cet état des ressources les limites imposées à nos activités par le fonctionnement même de la biosphère. Nous avons franchi, ou nous sommes sur le point de le faire, si l'on suit une publication récente de Nature, un seuil de dangerosité dans les neuf domaines suivants : le changement climatique, le taux d'érosion de la biodiversité, l'interférence des cycles de l'azote et du phosphore, la déplétion de l'ozone stratosphérique, l'acidification des océans, l'usage de l'eau douce et celui des sols, la quantité et la qualité de la pollution chimique et enfin l'impact des aérosols atmosphériques.
Finalement, comme l'a établi en 2005 le Millennium Ecosystem Assessment, plus de la moitié des services écologiques de fourniture et de régulation que nous procurent les écosystèmes sont dégradés ; les autres sont en voie de l'être.
Arrêtons là cet inventaire d'informations macabres, inaccessibles à nos sens, et qui peuvent donc facilement être contestées par toutes sortes de marchands de sable. Car ce problème de perception se traduit par un prisme idéologique qui conduit à ignorer que cette situation menace directement nos activités économiques et même, à plus long terme, la viabilité de la planète pour l'espèce humaine.
Il n'y a donc aucun sens à opposer souci de l'environnement et souci économique, tant la disponibilité des ressources naturelles et l'état de la biosphère les conditionnent. Nous sommes sept milliards sur Terre, bientôt neuf, et nous n'avons d'autre choix que de changer de logiciel économique, en produisant et en consommant à la fois mieux et moins. Poursuivre notre entreprise de dilapidation est le plus sûr moyen de susciter le chaos économique, les conflits, puis la ruine pure et simple. D'où la responsabilité morale insupportable que prennent aujourd'hui les légions de climato-sceptiques, en réalité d'écolo-sceptiques, qui s'affirment de toutes parts.
Il y a une grande similitude entre la remise en cause par ces sceptiques de la science des autres - les climato-sceptiques ne sont pas en effet généralement des climatologues patentés - et le créationnisme : à savoir le rejet des connaissances qui blessent votre croyance, en Dieu pour les uns et dans la toute-puissance des techniques pour les autres. Mais il y a une énorme différence : les créationnistes restent sur le terrain des idées et des idéologies, même s'ils fragilisent l'institution scientifique. En revanche, les climato-sceptiques découragent un effort collectif destiné à éloigner des dangers bien réels. Ils se conforment à la logique naguère dénoncée par l'humoriste Pierre Desproges : "Je n'ai pas le cancer et je ne l'aurai jamais : je suis contre !"

L'abandon dans ce contexte de la taxe carbone serait irresponsable. La contribution climat-énergie n'était que l'amorce d'un basculement général de nos régulations, notamment fiscales, afin de rendre nos économies et nos comportements plus économes en ressources. Il ne s'agissait pas d'un impôt nouveau, mais de faire basculer progressivement la fiscalité du travail sur l'usage des ressources naturelles. Y renoncer revient à hâter les difficultés de tous et de toutes sortes.

Dominique Bourg, philosophe membre du comité de veille écologique de la Fondation Nicolas Hulot.
Nicolas Hulot, président de la Fondation Nicolas-Hulot pour la nature et l'homme.

1 commentaire:

  1. DANS CE DOMAINE COMME DANS D AUTRES, ON PENSE D ABORD: ARGENT. FISC. JE CROIS QUE CE SONT LES COMPORTEMENTS QUI SONT A CHANGER; UNE IDEE SERAIT D INCLURE UN CERTAIN NOMBRE HEURES DE COURS DES LA PRIMAIRE AFIN D ECLAIRER NOS ENFANTS SUR LE DEVENIR DE NOTRE VAISSEAU SPATIAL QU EST LA TERRE.

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