jeudi 15 août 2013

Il faut que les choses soient dites


Commentaires AA en fin de texte.

Les peines de prison ferme n'empêchent pas la récidiveLE MONDE | 13.08.2013
Didier Fassin (Professeur à l'Institute for Advanced Study (Princeton) et à l'Ecole des hautes études en sciences sociales)



L'affaire des trois personnes condamnées à de courtes peines d'emprisonnement et libérées par le parquet de Dreux auquel elles avaient été présentées par la police a suscité les réactions attendues, en termes de dénonciation de l'impunité des délinquants, du laxisme des magistrats et de la politique de la garde des sceaux. Sans revenir sur la forme de l'affaire, à savoir le bien-fondé de la décision du ministère public, dont Christiane Taubira a rappelé qu'il agissait dans le cadre de la loi pénitentiaire de 2009 préparée par ses prédécesseurs à la chancellerie, c'est un débat sur le fond qu'il importerait de mener.

Un débat autour du problème de l'efficacité de l'emprisonnement sur la prévention de la récidive. L'erreur a peut-être été, en effet, de présenter la décision du procureur de la République comme n'étant motivée que par la surpopulation dans la maison d'arrêt de Chartres où les condamnés devaient être incarcérés. La question qui se pose plus fondamentalement est de savoir si les mettre en prison servait le bien commun, c'est-à-dire la réduction de la délinquance. Question à laquelle la réponse ne doit donc être ni morale ni idéologique, mais simplement pragmatique : qu'est-ce qui marche et qu'est-ce qui ne marche pas ?

A cette question, Eric Ciotti, spécialiste des questions de sécurité à l'UMP et auteur d'un rapport sur l'exécution des peines commandé par Nicolas Sarkozy, apporte une réponse sans ambages : "Le seul message efficace pour éviter la récidive, c'est la prison ferme." Qu'on approuve ou non les opinions du député, s'il dit vrai, l'argument est décisif pour plus de sévérité, et surtout pour le renoncement aux mesures alternatives à la prison, tels les travaux d'intérêt général, et aux aménagements de peine, notamment sous bracelet électronique. Qu'en est-il donc ?

Il se trouve que pratiquement toutes les enquêtes menées sur le plan international convergent sur un point : l'inefficacité de l'emprisonnement sur la prévention de la récidive. Un état des connaissances actuelles sur la base de centaines d'études réalisées dans les pays occidentaux a été récemment publié dans la prestigieuse revue Annual Review of Law and Social Science. Sans contester l'effet potentiellement dissuasif de la peine d'une manière générale, les auteurs s'intéressent à la dissuasion spécifique : quelles sanctions sont susceptibles de dissuader un individu coupable d'un délit ou d'un crime d'en commettre à nouveau ? Les analyses statistiques sont formelles : l'emprisonnement ferme produit des taux de récidive plus élevés que les peines sans prison ; il en est de même des incarcérations longues comparées à de plus courtes. La France ne fait pas exception.

Une enquête parue dans les Cahiers d'études pénitentiaires et criminologiques établit, à partir de 7 000 dossiers de sortants de prison, que, toutes choses égales par ailleurs, la probabilité de récidive est réduite lorsqu'il y a eu condamnation sans privation de liberté ou aménagement de la peine par comparaison avec les emprisonnements ferme avec "sortie sèche". En réalité, non seulement les séjours en prison exposent les condamnés à un milieu criminogène mais, quand ils ne sont pas aménagés, ce qui est le cas des petites peines, ils désocialisent les détenus en leur faisant perdre leur insertion professionnelle et leurs liens familiaux, dont on sait le rôle préventif.

EFFETS DÉLÉTÈRES À LONG TERME

Il est par conséquent loisible à chacun de souhaiter plus d'emprisonnement ferme, y compris pour les courtes peines, mais ce ne saurait être ni sur des bases scientifiques ni pour l'intérêt général. Ainsi, quand Manuel Valls déclare : "Je suis pour une exécution ferme des peines de prison, même les plus courtes", on peut savoir gré au ministre de l'intérieur de nous faire partager son opinion sur ce sujet sensible. Mais dans la fonction qui est la sienne, on peut attendre qu'il en fasse un peu plus, et qu'il fonde cette opinion sur une analyse éclairée et dans la perspective du bien commun. Enfermer plus peut satisfaire une partie de l'électorat, mais les effets à long terme risquent de s'avérer délétères pour l'ensemble de la population.

Le débat engagé autour de l'affaire de Dreux doit donc être traité de manière sérieuse et responsable. On peut le faire en se fondant sur des connaissances empiriques et en se prévalant d'une éthique de la chose publique. Alors que se prépare une importante et nécessaire réforme de la législation pénale, que toutes les occasions semblent propices à fragiliser, et tandis que la surpopulation carcérale ne cesse de battre des records, les hommes et les femmes politiques doivent faire preuve de rigueur et de dignité dans la conduite de cette réflexion collective. Produit d'un processus démocratique, la Conférence de consensus sur la prévention de la récidive jette des bases pour cette réflexion.

Si l'objectif de l'actuel gouvernement est de défendre la société mieux que ne l'ont fait les gouvernements précédents, il faut avoir ce "courage de la vérité" auquel Michel Foucault a consacré, peu avant sa mort, ses ultimes enseignements : "Prendre le risque de dire, en dépit de tout, toute la vérité."

AA : Bien sûr que face au besoin de sécurité de la population, la démagogie du tout sécuritaire est plus "rentable", malgré les évidences, non seulement celles rappelées par les études citées, ci-dessus, mais aussi celles que l'on constate quand on veut bien jeter un regard objectif sur ce qui passe en cas d'emprisonnement. Il est pourtant bien connu que l'incarcération est une "école du crime" et éloigne le délinquant d'une réinsertion sociale. Encore faut-il que les peines de substitution soient rigoureusement encadrées pour éviter les dérapages de ces derniers jours. Ils sont rares ces dérapages, mais très médiatisées...
Les gouvernements ont adopté 55 textes depuis 2002 qui ont tous poussé à l'incarcération ou alourdi le quantum des peines.
En 2001, 20 837 personnes ont été écrouées, et 88 058 en 2011 ; la durée moyenne de détention a augmenté (8,1 mois en 1999 contre 9,8 mois en 2011); les peines de plus de vingt ans sont passées de 1 252 en 2000 à 2 291 en 2011, ce qui en dit assez sur le prétendu laxisme des juges.
Pour éviter l'explosion, l'Etat, tout en affichant une fermeté de principe, a discrètement doublé le nombre des aménagements de peine, multipliant par cinq le nombre de bracelets électroniques depuis 2005 (Le Monde 20/8/2012). L'opposition UMP a la mémoire courte...
Pour confirmer ce qu'y est évoqué ci-dessus concernant l'enquête des Cahiers d'études pénitentiaires et criminologiques, voici ce qu'écrivait le Monde dans l' article du 20/8/12: "La principale étude française (des démographes Annie Kensey et Abdelmalik Benaouda, du bureau des études et de la prospective de l'administration pénitentiaire, Le Monde du 15 octobre 2011) a prouvé que 63 % des sortants de prison sans aménagement de peine étaient à nouveau condamnés dans les cinq ans, contre 39 % pour les sortants en libération conditionnelle. Les différentes études internationales confirment ces résultats, une étude canadienne de référence (Smith, Goggin et Gendreau en 2002), conclut franchement à "l'inefficacité des stratégies punitives pour réduire la récidive"."
Comment faire passer le message ?

6 commentaires:

  1. L'auteur est en effet un pragmatique, ou plutôt un conséquentialiste, mais sans conclusion. Il fixe un objectif à la prison : réduire la délinquance ( hypothèse) , puis par une étude , il vérifie l'hypothèse : elle est fausse. Donc pourquoi maintenir des prisons? Dans sa logique, il doit aller jusqu'au bout ; elles sont inutiles. Mais en vérité, il ne dit pas que si il y a des prisons, ce n'est pas uniquement pour éviter la récidive. Il dit refuser la morale, et l'idéologie mais il est sournoisement moral et idéologique.
    Le débat sur la récidive tente d'imposer l'idée fausse selon laquelle on enferme un individu pour que, lorsqu'il ressorte, il ne recommence pas ; c'est faux.
    Sinon, M. Alpern, si il y a plus de condamnations en 2011 qu'en 2001, si elles sont plus longues entre 1999 et 2011 et les peines de plus de vingt ans doublée ; ce n'est pas contradictoire avec l'idée d'un laxisme des juges. En rien. C'est un sophisme. Pour comparer, il faudrait mettre un peu de proportionnalité ! Si la durée moyenne n'a augmenté que de 1.7 mois ( même pas 60 jours ) en 12 ans, c'est peut-être parce que le nombre de délits graves a augmenté beaucoup et que parallèlement les juges sont laxistes. Il n'y a rien d'incompatible.

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  2. Ah ces etudes, statistiques et autres avis spécialisés. En chine, des savants se sont penchés sur la question de la récidive. Apres 25 ans d étude, ils en sont arrivés a la conclusion suivante.
    1oo% des victimes d'assassinat n'ont jamais récidivé, et la même proportion pour les auteurs condamnés a la peine capitale a été notée. Pour les condamnées a la prison à vie , la faiblesse des cas n'a pas permis d'apporter une réponse satisfaisante.

    Elections piège à c.....

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  3. c'est vrai que pour la droite mettre en prison les petites frappes ca donne de l'eau a leur moulin,...imaginons un instant si un juge avait requis de la détention préventives,pour leur mentor, Joe Dalton,lors de sa mise en examen,il y a quelque mois...imaginez vous Claude Gueant en détention préventive....pourtant pour le commun des mortels, cela se pratique....il n'y a pas 2 type de délinquant, il n'y que des délinquants....et pourtant chaque jours croupissent des gens simple en prisons sans avoir été jugé....

    « Selon que vous serez puissant ou misérable Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir. »
    de Jean de La Fontaine
    Extrait de la fable Les animaux malades de la peste

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  4. Et les petits voyages dans la Ruhr... hein JP ?

    Tom Jericho.

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    1. ça a l'air de venir là comme un cheveu sur la soupe...Mais je suis sûr que Tom a une idée derrière la tête!

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    2. C'est plus au niveau du falzar, mais bon... ;)

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