dimanche 31 juillet 2011

Ce que Nicolas Sarkozy a fait du discours de Grenoble


LEMONDE.FR | 30.07.11 |

Nicolas Sarkozy et Brice Hortefeux, le 30 juillet 2010 à Grenoble.
Nicolas Sarkozy et Brice Hortefeux, le 30 juillet 2010 à Grenoble.REUTERS/PHILIPPE WOJAZER

Eté 2010. La majorité présidentielle n'a pas encore digéré la défaite des élections régionales, et subit maintenant l'affaire Woerth-Bettencourt. Nicolas Sarkozy, lui, stagne au plus bas des enquêtes d'opinion et peine à trouver une stratégie de rebond. Il finit par tenter un "coup", sur un terrain qui lui a toujours profité, celui de la sécurité.

 C'est à Grenoble le 30 juillet 2010, peu après un fait divers où un policier a été blessé, que le président de la République lance sa déclaration de "guerre contre les trafiquants, contre les voyous".L'ancien ministre de l'intérieur qui depuis 2002 vante son bilan dans la lutte contre l'insécurité, scande ses solutions pour 2010: lutte contre l'immigration irrégulière,"mettre un terme aux implantations sauvages de campements de Roms" et démanteler les camps existants.

Il souhaite également pouvoir engager la responsabilité des parents dont les enfants commettent des infractions et propose une déchéance de la nationalité française à toute personne d'origine étrangère qui aurait porté atteinte à la vie d'un dépositaire de l'autorité publique. Après l'invention du ministère de l'immigration et de l'identité nationale en 2007 et le lancement en 2010 du grand débat sur ce thème confié à Eric Besson, en charge du poste, Nicolas Sarkozy établit cette fois dans ce discours un lien direct entre immigration et délinquance, en estimant que "nous payons aujourd'hui les conséquences de quarante ans d'immigration incontrôlée".

SARKOZY PERD AU CENTRE CE QU'IL GAGNE SUR SA DROITE
Dans un premier temps, l'opération semble fonctionner. Un sondage IFOP pour Le Figaro du 6 août montre que le démantèlement des camps illégaux de Roms est approuvé à 79 %, le retrait de la nationalité française pour les délinquants d'origine étrangère à 70 % et la condamnation à deux ans de prison des parents de mineurs délinquants à 55 %. Mais ce sondage est critiqué, tant en raison de son échantillon que de sa manière de poser les questions.
Quoi qu'il en soit, la séquence sécuritaire estivale ne suffit pas à redresser la cote de popularité du président de la République. Un sondage de l'institut TNS-Sofres-Logica pour Le Figaro Magazine publié début octobre lui attribue 26 % d'opinions favorables, soit 4 points perdus en un mois.
Sa communication sécuritaire et anti-immigration a pourtant bien touché sa cible puisque le président de la République regagne quatre points parmi les sympathisants FN. Mais il en cède cinq sur l'ensemble des sympathisants de droite. M. Sarkozy perd au centre ce qu'il gagne sur sa droite.

LA FRANCE ISOLÉE EN EUROPE
Outre ce faible gain dans l'opinion, la prise de position est mal vue à l'international. Une circulaire du ministère de l'intérieur adressée aux préfets enjoint les pouvoirs publics locaux de viser "en priorité" les Roms. Lorsqu'elle est publiée dans la presse, elle attire l'attention de Viviane Reding, commissaire européenne en charge de la justice.
Celle-ci rappelle à la France qu'elle n'a pas à mener des politiques"discriminatoires" à l'égard des Roms ou de toute autre population, "une honte" selon elle.  "Je pensais que l'Europe ne serait plus le témoin de ce genre de situation après la seconde guerre mondiale" ajoute la commissaire, menaçant la France de deux procédures d'infraction.
Nicolas Sarkozy riposte lors du sommet européen du 16 septembre : "Viviane Reding a offensé la France. La France s'est sentie blessée." Finalement, la Commission européenne lancera bien une procédure d'infraction contre la France pour non-respect des garanties légales (procédure écrite, possibilités d'appel, analyse au cas par cas) prévues par la directive sur la libre circulation des ressortissants européens, en cas d'expulsion.
Depuis, la France a répondu à la mise en demeure de Bruxelles, mais le pays reste sous surveillance européenne. Pour Nicolas Sarkozy, qui depuis la fin 2008 et la présidence française des Vingt-Sept, aime à se camper en leader de l'Union européenne (UE), l'épisode est un raté.

CENSURES DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL 
Au niveau législatif, le discours de Grenoble se traduira par un renforcement de la loi sur la sécurité et l'immigration mais également par de nombreuses déconvenues législatives pour le gouvernement. L'exécutif comptait sur le fourre-tout législatif  de la loi Loppsi 2 pour ajouter une série de dispositions issues du discours. Mais, le 10 mars 2011, le Conseil constitutionnel a censuré pas moins de 13 articles de cette loi, la plus lourde
décision de censure depuis les débuts de la Ve République.
Parmi les mesures votées par le gouvernement et rejetées par la haute autorité, l'application de peines planchers aux mineurs, ainsi que la possibilité pour les préfets de procéder à des évacuations de campements illégaux à tout moment de l'année et sans obligation d'accueil. La privatisation de la surveillance sur la voie publique est également censurée, tout comme le projet d'installation de salles d'audience "au sein" des centres de rétention administrative.
Le Conseil constitutionnel retoque également la possibilité d'infliger une peine aux représentants légaux d'un mineur, rappelant ainsi qu'il ne peut y avoir de "responsabilité pénale du fait d'autrui". En revanche, il valide la possibilité donnée au préfet ou au tribunal des enfants de prononcer une mesure de "couvre-feu" pour les mineurs de 23 heures à 6 heures.

NOUVELLE LOI SUR L'IMMIGRATION
Le 31 mars 2010, un projet de loi sur l'immigration est adopté en conseil des ministres. Il est définitivement voté par le Parlement quatorze mois plus tard, après de nombreuses navettes entre Assemblée et Sénat.
Il prévoit une série de dispositions : pour les sans-papiers en instance d'expulsion, l'intervention du juge des libertés et de la détention est repoussée à cinq jours et non plus à deux. Le titre de séjour accordé aux "étrangers malades" ne pourra dorénavant être accordé qu'en cas d'"absence" du traitement approprié dans le pays d'origine, sans tenir compte des moyens réels que le malade aura de pouvoir se procurer le traitement.
Ensuite, les "mariages gris", notion inventée par Eric Besson et désignant une union entre un étranger et une personne de nationalité française abusée dans ses sentiments, seront passibles d'une peine de cinq ans de prison et d'une amende de 15 000 euros.
Une mesure n'est toutefois pas conservée : sous la pression de la gauche et des parlementaires centristes, le texte qui prévoyait l'extension de déchéance de nationalité demandé par Nicolas Sarkozy est rayé du projet.

FAIBLE BILAN DES LOIS RÉPRESSIVES
Concernant les Roms, cible principale du discours de Grenoble, le gouvernement présente un bilan qui ne tient pas ses engagements. Selon le ministère de l'intérieur, 9 300 Roumains et Bulgares ont été expulsés de France en 2009, 9 529 en 2010 et 4 714 au premier trimestre 2011.
Les chiffres demeurent stables, même si de nombreux campements illicites ont été démantelés. "Les Roms permettent à l'administration d'atteindre ses objectifs d'expulsion des étrangers. On sait que ça ne sert à rien, que les gens reviennent mais on continue malgré le coût humain et financier", déplore Damien Nantes, de l'association Hors la rue. Les expulsions restent "sans effet" sur le nombre de Roms présents en France, où "reviennent rapidement" les familles reconduites, confirme Médecins du monde dans un rapport.
L'ONG souligne également les conséquences humaines de la politique gouvernementale : cette communauté vit "dans un climat de peur, alimenté par des intimidations répétées, des procédures administratives de reconduites à la frontière irrégulières, des gardes à vue non justifiées et des contrôles systématiques de papiers".

SARKOZY SE REPRÉSIDENTIALISE
Un an après le discours de Grenoble, l'UMP jure toujours ne pas s'être trompée. "Le premier tour de la présidentielle se gagnera à droite et il faut franchir le premier tour. Si on a un risque d'être débordé, c'est par le Front national, pas par le centre", martèle-t-on au siège du parti présidentiel.
Mais l'échéance présidentielle commande à Nicolas Sarkozy une représidentialisation de son personnage et donc de laisser les déclarations sulfureuses à d'autres. La stratégie a été amorcée en janvier et le président de la République a tenu le cap, selon son propre camp. "Il est plus en retrait, ne commente plus la politique, multiplie les déplacements consensuels", se félicite-t-on dans l'entourage du président. "La meilleure communication, c'est de ne pas en faire. Il faut de l'authenticité, pas du tralala. Il faut être minimaliste. C'est pour ça que je ne ferai pas d'interview avant un moment", confiait Nicolas Sarkozy au Journal du Dimanche en mai dernier.
Une stratégie qui semble rendre ses premiers dividendes au candidat Sarkozy. Il regagne du terrain sur ses concurrents dans la course présidentielle en progressant de 6 points en un mois selon le baromètre IFOP/Journal du Dimanche. Il y a fort à parier que le Sarkozy nouveau ne rejouera pas cet été le discours de Grenoble.
La majorité présidentielle n'a cependant pas l'intention de laisser le champ libre sur les thématiques chères au Front national. Pour continuer à miser sur l'immigration, la sécurité et la nationalité, le relais a été passé au ministre de l'intérieur, Claude Guéant, et au collectif de députés La Droite populaire.
Organisatrice d'une convention sur l'immigration le 7 juillet, l'UMP poursuivra à la rentrée avec une nouvelle convention, sur la nationalité cette fois, et sous le patronage de Lionnel Luca, cofondateur de la Droite populaire, avec pour mission de continuer à labourer les terrains de prédilection de Marine Le Pen.

Eric Nunès

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