lundi 25 juillet 2011

"C'est curieux qu'il soit au Front national, il a l'air normal" (2)


Jean-Pierre Stirbois, l'apparatchik du FN
LE MONDE MAGAZINE | 15.07.11


BRAS DESSUS BRAS DESSOUS

L'image de Stirbois évolue. Celui qui avait purgé les radicaux est perçu comme leur chef de file. Il est en permanence suspecté de préparer un putsch ou une scission. Aux journées parlementaires frontistes de 1987, Stirbois et Le Pen arrivent bras dessus bras dessous, afin de démentir le conflit. Les journalistes interrogent le président du Front sur son avenir. "Faites très attention de vouloir dépouiller l'ours pendant qu'il est encore vivant, rétorque Jean-Marie Le Pen. Il peut encore très bien vous enlever la tête d'un coup de patte." Pour contrer l'influence de son secrétaire général, Jean-Marie Le Pen fait monter Carl Lang et Bruno Mégret dans l'appareil. Dans la presse, Stirbois menace : "Le FN était en 1983 une entreprise artisanale, il est devenu une PME et maintenant presque une grande surface. Si le chef d'entreprise fait preuve de mollesse, l'affaire périclitera. Je suis sans mollesse."

Cette idée d'un duel entre les deux têtes du parti n'est pas partagée par Lorrain de Saint-Affrique. Alors conseiller en communication de Le Pen, cet ex-giscardien est un ennemi de Stirbois. Il est aujourd'hui loin de l'extrême droite. Il considère qu'en aucun cas le numéro deux n'a voulu déstabiliser le chef : "Il aurait pris une balle pour Le Pen". Conscient qu'il a les qualités d'un apparatchik et non d'un leader populiste, Jean-Pierre Stirbois serait resté à sa place. En cas d'empêchement de Le Pen, il n'imaginait pas le remplacer mais aurait souhaité introniser Bruno Gollnisch, qui avait su prouver sa fidélité au parti après l'avoir rejoint en 1983. Par-delà certaines tensions, Stirbois confortait Le Pen dans sa position de patron assurant l'équilibre entre tous.

La base de la démarche de Stirbois est de faire subir à la droite une double pression. Par la droite : il s'agit de caricaturer ses thèmes (néolibéralisme, antifiscalisme, antimarxisme) pour démontrer qu'ils sont identiques à ceux de la gauche et poser le FN comme la "vraie droite". Par la gauche : dès 1982, il affirme que seul le FN peut aller chercher des voix populaires, et donc assurer une alternance à la gauche. Il reprend comme un étendard le qualificatif de "national-populiste" apposé par les politistes au parti. Pour lui, "ceux qui votent traditionnellement à gauche parce qu'ils s'imaginent depuis toujours que la gauche défend les travailleurs vont petit à petit comprendre que le mouvement qui défend le mieux les travailleurs français, c'est le Front national". La sociologie électorale va dans son sens : entre 1984 et 1988, la part des ouvriers votant FN est passée de 8 à 19 %.

"UN PARTI PUR ET DUR"

Pour les cantonales de 1985, Stirbois défend l'idée que le Front n'appelle pas à voter pour la droite au second tour. Il souhaite l'affaiblir afin de la contraindre à une alliance aux législatives à suivre. Le président du FN rêve d'être ministre de la défense du gouvernement de cohabitation, mais préfère la méthode douce. "Stirbois a dit à Le Pen qu'il commettait une erreur, que seule une stratégie de rupture ferait plier le RPR et l'UDF", relate son camarade Jean-François Touzé. Le débat reste en suspens. Il se repose au lendemain du premier tour de la présidentielle de 1988 où Le Pen a obtenu 14 % des voix. Depuis un an, Stirbois plaide pour que le Front fasse voter Mitterrand. Au bureau politique, Le Pen dit qu'"il faut faire voter Chirac". Stirbois rétorque sèchement : "Pourquoi ?". Finalement, Le Pen prône l'abstention ou le vote Chirac mais son second glisse un bulletin François Mitterrand dans l'urne.


Stirbois se lance ensuite à corps perdu dans la campagne pour le "non" au référendum sur le statut de la Nouvelle-Calédonie. Le soir du 5 novembre 1988, il tient meeting à Dreux. Dans une référence lourde de sens, un clin d'œil à Pierre Sergent, ancien chef de l'OAS-Métro qui a été élu député FN de Perpignan, il se déclare prêt à retourner en Nouvelle-Calédonie "mettre sa peau au bout de ses idées". Après avoir ainsi menacé la France d'une nouvelle OAS, il reprend la route dans sa Golf GTI et percute un arbre. Le maître d'œuvre de la deuxième période du FN meurt sur le coup.

L'émotion est intense au Front national, et la rumeur enfle : Jean-Pierre Stirbois aurait été assassiné, comme François Duprat. Les amis du défunt se retrouvent à la Mutualité pour une soirée d'hommage. Roger Holeindre, vieux compagnon de Le Pen, salue celui qui "a chassé du FN les incapables et les voyous [pour bâtir] un parti pur et dur".
Mais cette disparition va entraîner l'élimination de ses affidés. En 1990, son camarade Michel Schneider tente de renverser la vapeur en adressant un courrier aux principaux cadres de l'extrême droite. Son texte est une charge contre l'autoritarisme et la "banalisation conservatrice" de Jean-Marie Le Pen qui le mènerait vers la droite, et donc "dans le cul-de-sac". Son objectif est de construire un courant national-populiste poussant Marie-France Stirbois. C'est un échec. Quand Bruno Mégret conquiert, via son épouse, la mairie de Vitrolles, il débaptise l'avenue Jean-Marie-Tjibaou (leader kanak assassiné) pour la renommer avenue Jean-Pierre-Stirbois. L'apparatchik disparu a intégré le rayon des symboles du parti frontiste.

Joseph Beauregard et Nicolas Lebourg

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire