lundi 22 mai 2017

Pourquoi le pouvoir a toujours miné le Parti socialiste (2/3)

Le Monde 18/5

La culture marxiste est-elle encore présente au sein du PS et, plus globalement, dans les partis européens d’inspiration socialiste ?
Force d’opposition ou force de gouvernement, parti de rupture ou exercice du pouvoir : loin d’être propre à la France, cette tension n’a cessé de travailler les partis socialistes européens. Et elle plonge ses racines, en effet, dans la théorie de Marx et Engels : crise inéluctable du capitalisme, rôle prééminent de la classe ouvrière, rupture révolutionnaire.
A la fin du XIXe siècle, les premiers sociaux-démocrates s’en réclament. Le parti modèle est alors le Parti social-démocrate d’Allemagne (SPD), que les socialistes de toute l’Europe viennent visiter : un parti puissant, organisé autour de la classe ouvrière, qui ne parvient pas au pouvoir dans l’Allemagne bismarckienne autoritaire mais qui n’en joue pas moins un rôle sociétal et théorique important.
Au milieu des années 1890 survient au SPD un premier grand débat, que l’on appellera la « querelle révisionniste ». Elle oppose deux hommes politiques et théoriciens, Eduard Bernstein et Karl Kautsky. Bernstein estime qu’un certain nombre de prédictions énoncées par Marx sur l’évolution du capitalisme ne se vérifient pas : il faut donc, selon lui, abandonner l’idée révolutionnaire et se diriger vers une logique plus réformiste. Face à lui, Kautsky défend le dogme marxiste et l’idéal révolutionnaire. Le débat sera officiellement tranché en faveur de Kautsky. Mais dans la réalité, dès cette époque, la social-démocratie allemande commence à s’orienter vers le réformisme.
Entre marxistes et sociaux-démocrates européens, la grande rupture survient en 1917. Lénine, qui prend le pouvoir en Russie, se pose en garant du « vrai » marxisme et considère que la social-démocratie a dégénéré parce qu’elle en a trahi les principes. Cet affrontement détermine une grande partie de l’histoire de la gauche du XXe siècle, en séparant la famille communiste d’un côté, la famille social-démocrate de l’autre.
En France, en 1920, la SFIO voit ainsi la majorité de ses adhérents rejoindre l’Internationale communiste – d’où la phrase fameuse de Léon Blum au congrès socialiste de Tours : « Il faut que quelqu’un reste garder la vieille maison. » Pour autant, Blum lui-même ne rompra avec le marxisme qu’à partir de 1946, au lendemain de la seconde guerre mondiale : il plaide alors pour un socialisme humaniste. Quant à l’emblématique SPD, ce n’est qu’à partir de 1959 et du congrès de Bad Godesberg qu’il prendra véritablement ses distances avec le dogme révolutionnaire.

« A dater de 1959, la culture marxiste ne constitue plus la colonne vertébrale des social-démocraties européennes. Elle n’en reste pas moins très prégnante au sein de la gauche, que celle-ci soit ou non au pouvoir »
A dater de ce tournant, la culture marxiste ne constitue plus la colonne vertébrale des social-démocraties européennes. Elle n’en reste pas moins très prégnante au sein de la gauche, que celle-ci soit ou non au pouvoir.
En France, Guy Mollet, secrétaire général de la SFIO de 1946 à 1969, s’en réclamait toujours, et Mitterrand lui-même s’y convertit dans le contexte des années 1960-1970. Si les dogmes de la dictature du prolétariat et de la crise inéluctable du capitalisme sont progressivement tombés en désuétude, le marxisme a longtemps continué à fournir aux socialistes européens sa grille de lecture des réalités sociales. Jusqu’à ce que ces partis soient traversés, à partir des années 1990, par un autre débat : celui de la « troisième voie ».


A suivre

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