vendredi 8 mai 2009

Les errements juridiques du secrétaire général de l'Elysée


Note Terra Nova (groupe de réflexion travaillant pour le PS, mais accessible à tous sur abonnement) 08 mai 2009



Claude Guéant, secrétaire général de l'Elysée, a récemment annoncé sa volonté d'interdire les liste "anti-sionistes" qui seraient déposées en vue des élections européennes. Ces annonces, visant en particulier la liste conduite par Dieudonné, peuvent surprendre : les pistes juridiques évoquées ne permettent pas d'interdire cette liste. En fin de compte, on ne peut que regretter la publicité ainsi garantie à Dieudonné.

Claude Guéant, secrétaire général de l’Elysée, a annoncé que le gouvernement recherchait les moyens d’interdire les listes « anti-sionistes » qui seraient déposées en vue de l’élection des représentants français au Parlement européen, et en particulier celle que devrait conduire Dieudonné. Il est curieux que l’exécutif s’avance autant, alors que les voies juridiques sont fermées et que l’instauration, en extrême urgence, d’une interdiction par le législateur à quelques jours du scrutin n’est ni envisageable, ni souhaitable, quel que soient les réserves très fortes que les positions de Dieudonné appellent.

1. AUCUNE DISPOSITION APPLICABLE AUX ÉLECTIONS EUROPÉENNES NE PERMET D'INTERDIRE UNE LISTE A CAUSE DES POSITIONS QU'UN DES CANDIDATS AURAIT ADOPTÉES.

La loi du 7 juillet 1977 relative à l’élection des représentants au Parlement européen organise un système de contrôle pré-électoral par le ministre de l’Itérieur et le Conseil d’Etat, qui est un contrôle de pure régularité des déclarations de candidature.

Une déclaration de candidature est obligatoire pour chaque liste de candidats, et doit être déposée au ministère de l’Intérieur.

L’article 12 de la loi prévoit que « si une déclaration de candidatures ne remplit pas les conditions prévues aux articles 7 et suivants, le ministre de l'Intérieur saisit dans les vingt-quatre heures le Conseil d'Etat, qui statue dans les trois jours. »

Or les conditions posées par ces articles de la loi sont purement formelles (interdiction d’être candidat sur plus d’une liste, obligation de parité des listes, fixation du nombre de candidats par circonscription, formalités et délais de dépôt des listes, informations particulières pour les candidats ressortissants d’autres pays de l’Union, etc.). La loi ne pose aucune condition de fond au regard de laquelle les listes devraient être conformes.

Le Conseil d’Etat a en outre jugé que le contrôle préalable des déclarations qu’il effectue sur la base de ces dispositions « n’inclut pas la vérification de l’éligibilité des candidats », puisque cette condition ne figure pas dans les articles 7 à 10 de la loi de 1977 (CE, 21 mai 2004, Ministre de l’intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales c/ Liste "Automobiliste vache à lait Ras‑le‑Bol, liste apolitique ») – alors que, pour les élections locales et parlementaires nationales, il exerce bien un contrôle sur l’éligibilité des candidats, en application du code électoral.

2 - LES AUTRES TEXTES QUI ENCADRENT LES ACTIVITES SUSCEPTIBLES DE PORTER ATTEINTE A L'ORDRE PUBLIC SONT ÉGALEMENT INAPPLICABLES.

2-1 La loi du 10 janvier 1936 sur les groupes de combat et milices privées permet de dissoudre des groupements de fait pour risque d’atteinte à l’ordre public.

En matière d’incitation à la haine raciale, son article 1er dispose que : « Seront dissous, par décret rendu par le Président de la République en conseil des ministres, toutes les associations ou groupements de fait : (…) 6° (…) qui, soit provoqueraient à la discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, soit propageraient des idées ou théories tendant à justifier ou encourager cette discrimination, cette haine ou cette violence (…) ».

Cette loi peut éventuellement être utilisée pour dissoudre un parti politique. On recense ainsi un cas, dans la jurisprudence du Conseil d’Etat, de dissolution d’un parti qui prônait, dans les années soixante, l’instauration d’une république indépendante en Polynésie… (CE, 15 juillet 1964, Dame Tapua et autres, p. 407).

Mais on voit mal comment cette loi pourrait s’appliquer à une liste électorale, peu assimilable à un groupement de fait.


2-2 Une autre piste évoquée est celle de l’inéligibilité de l’intéressé...

Encore faudrait-il qu’il ait fait l’objet d’une condamnation définitive par le juge répressif, et que cette condamnation ait été accompagnée d’une peine complémentaire le privant de son droit de vote ou le rendant inéligible (articles L. 131-10 et L. 131-26 du code pénal).


Tout porte donc à croire que le secrétaire général de l’Elysée s’est avancé trop vite sur un terrain qu’il est pourtant sensé maîtriser. Il a, en tout cas, assuré à Dieudonné une publicité certaine avant le scrutin, d’autant plus regrettable que, sur le fond, l’exécutif a choisi un mode mineur pour la campagne qui ne sert pas l’Europe

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