lundi 4 août 2014

Parmi les expressions modérées, celle d'Elizabeth Roudinesco


Je l'ai dit à plusieurs reprises (et l'on retrouvera dans le texte ci-dessous, beaucoup de sujets que j'ai déjà évoqués), le langage outrancier et haineux sur un sujet qui atteint au plus profond de notre sensibilité humaine, ne peut que exacerber les passions et nuire à ce que beaucoup souhaitent : la paix entre Palestiniens et Israéliens, mais aussi la paix en France, au moment où le racisme anti-arabe et l'antisémitisme font recette, attisés par leurs propagateurs historiques... Sachons raison garder !

“L’antisémitisme est la matrice de tous les racismes”, Elisabeth Roudinesco

Entretien | L'historienne et psychanalyste revient sur deux siècles d’antisémitisme en France. A l'heure où les manifestations pro-palestiniennes font resurgir les divisions hexagonales héritées, notamment, de l'affaire Dreyfus.

Le
Propos recueillis par Juliette Bénabent et Yohav Oremiatzki - Télérama n° 3368

Elisabeth Roudinesco
Elisabeth Roudinesco - Photo : Léa Crespi pour Télérama

Dans le sillage de manifestations en soutien à la population de Gaza, mi-juillet, Paris et sa banlieue ont vu des commerces tenus par des Juifs incendiés, entendu fuser d'immondes « on va vous cramer » ou « mort aux Juifs ». En dépit d'interdictions, certains rassemblements ont donné lieu à de violents débordements antisémites, mettant à mal toute opinion mesurée sur la guerre qui se déroule entre l'armée israélienne et le Hamas, dans la bande de Gaza.
L'historienne et psychanalyste Elisabeth Roudinesco, dans son livre Retour sur la question juive (1), retraçait une histoire du rejet des Juifs, en s'appuyant sur la littérature et la psychanalyse. Selon elle, depuis la Révolution française, il y a toujours eu « deux France » à l'égard des Juifs : l'une accueillante et émancipatrice ; l'autre excluante et persécutrice. Elle décrypte aujourd'hui la violence des réactions françaises.


Pourquoi le conflit israélo-palestinien déchaîne-t-il de telles passions en France ?

Il en déchaîne ailleurs aussi, ainsi à Londres, où elles s'expriment moins dans la rue mais très fortement dans les débats politiques ou universitaires, par exemple sur le port du voile. Mais la France a plusieurs spécificités. Elle a d'abord une importante immigration issue de la décolonisation des pays du Maghreb, dont certains membres s'identifient à un peuple palestinien qui revivrait, d'une certaine manière, la colonisation française. Elle a aussi une abondante communauté juive, dont une partie s'est politisée et radicalisée sous l'influence de certaines fractions extrémistes des institutions juives.

Et puis la France est un Etat laïque, qui refuse catégoriquement l'expression de tout communautarisme –, alors que l'Angleterre, par exemple, s'en accommode. Mais dans le même temps sa politique d'intégration semble en échec, pour des raisons économiques notamment, et la pauvreté des banlieues ne fait qu'empirer ces ressentiments et laisser libre champ au radicalisme.
D'autre part, n'oublions pas que la France est le pays de la Révolution ! Elle est profondément contrastée, et a toujours une lecture extrêmement politisée des conflits et des enjeux. Grâce à la Révolution française, puis à Napoléon, les Juifs ont acquis ici plus de droits civiques, et plus tôt, qu'ailleurs. Dès 1904, mon père est venu en France, dans le culte de Voltaire, pour fuir l'antisémitisme de Rou­manie. Nous sommes aussi le pays de l'affaire Dreyfus et de la pire des collaborations, celle du régime de Vichy. Il y a toujours eu deux France : celle que j'aime, la France ­généreuse des dreyfusards, celle qui a très tôt protégé et accueilli les Juifs, et une France réactionnaire qui a toujours été marquée par l'antisémitisme. Cette dualité fait partie de notre nature profonde.

“L’antisémitisme et le racisme anti-arabe sont les deux facettes d’une même pensée d’extrême droite que l’on voit grandir en France.”


L'inconscient collectif français est-il irrécupérablement antisémite ?

Non, je ne dirais pas cela, puisque la France est divisée, elle n'a pas un inconscient collectif unique. Lorsque j'entends certains brandir le vocabulaire de la Seconde Guerre mondiale [les slogans antisémites des manifestants, mais aussi les « pogroms » évoqués par le Crif (Conseil représentatif des institutions juives de France) après les débordements des manifestations de la région parisienne, ndlr], je suis outrée. Il n'y a aucune comparaison possible. Aujourd'hui, Israël est un Etat auquel tous les Juifs de la Diaspora ne s'identifient pas, et dont on peut critiquer la politique d'escalade. Et tout en affirmant que les cinq millions de musulmans de France ont le droit de vivre en paix, on ne peut accepter le soutien à un Hamas qui refuse de reconnaître l'existence de l'Etat d'Israël.

Le contexte politique français de ces derniers mois a une influence. Ne disons pas que le Front national est antisémite, il fera un procès. Disons que l'antisémitisme va de pair avec le racisme – même s'il le précède historiquement. Le mot « antisémitisme » apparaît en Allemagne dans les années 1870. C'est la haine des Juifs en tant que prétendue race, alors que le concept précédent d'antijudaïsme, lui, était purement religieux. L'antisémitisme, c'est la matrice de tous les racismes !




En France, aujourd'hui, la montée en puissance d'un certain discours politique attise la haine contre les Juifs, c'est vrai, mais elle attise pareillement la haine contre les Arabes. L'antisémitisme et le racisme anti-arabe sont les deux facettes d'une même pensée d'extrême droite que l'on voit grandir en France.


Observez-vous une confusion entre antisionisme et antisémitisme ?

Le sionisme est un mouvement politique, historique, qui a abouti à la création de l'Etat d'Israël, en 1948. On ne peut donc pas aujourd'hui être « antisioniste », cela n'a plus de sens, sauf à contester l'existence même de cet Etat. La confusion s'opère entre hostilité à la politique israélienne d'une part, et antisémitisme d'autre part. C'est absolument stupide. Même en Israël, il existe une opposition à cette politique, bien qu'elle soit écrasée par une sorte de sursaut national, surtout en temps de guerre. En outre, une bonne partie de l'intelligentsia, pourtant très attachée à Israël, voyage et enseigne beaucoup à l'étranger, en France ou aux Etats-Unis, avec le risque que le pays soit livré aux forces les plus obscurantistes…

C'est terrible, il est arrivé la pire des choses possibles : le peuple le plus persécuté de l'Histoire, après avoir créé un Etat sur sa Terre promise, est à son tour devenu persécuteur. Et, en agissant ainsi, il fait reflamber l'antisémitisme partout dans le monde, qui n'en a pas besoin, car il n'est pas mort, et ne mourra jamais. C'est une véritable tragédie juive.


Un discours modéré sur la question peut-il encore s'exprimer en France ?

Il le faut à toute force, et je l'exprime ! A la sortie de mon livre, j'ai été attaquée de toutes parts, traitée d'un côté de « mauvaise Juive », et de l'autre de « sioniste ». Il faut s'accrocher, tenir bon. Je n'ai pas peur de dire que je soutiens l'idée d'un Etat palestinien, mais que je lutte contre toutes les formes d'antisémitisme ; que je suis évidemment favorable à l'existence d'Israël, mais hostile à la volonté de conquête, d'extension des territoires, à la politique désastreuse de Benyamin Netanyahou et de la droite conservatrice israélienne. Et je compatis à la souffrance des deux peuples ! Une position modérée doit être possible en France. Même si ­cela semble parfois désespéré, je continue d'avoir confiance dans les forces de progrès de ce pays.


(1) Ed. Albin Michel, 2009.

14 commentaires:

  1. Merci Alain. Je lis actuellement "Cette nuit la liberté. Passion et supplice de Gandhi" . Ce livre me donne de l'espoir.

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  2. Mr Alpern, vous ne pouvez a la fois combattre le FN, parti d’extrême droite, en place à la Mairie d'Hénin-Beaumont et cautionner la politique de l’extrémiste de droite Israélienne Benjamin Netayahou.Je ne vous comprends pas parfois.

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    1. N'importe qui peut être considéré comme extrême. A chacun ses valeurs.

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    2. Aucun rapport entre le FN et le premier ministre israélien. En gros, le second est la droite française... L'avez-vous déjà vu remettre en cause les droits de l'homme à l'intérieur du pays, imposer sa vision de la culture, se prosterner devant Poutine, etc ?
      Néanmoins, je conteste sa politique d'ancrage sur les terres colonisées. Par contre, il est difficile de se positionner contre un mouvement terroriste qui déclare vouloir détruire Israël et utilise les moyens militaires (roquettes et attentats suicides) pour y parvenir.
      Cela rejoint le commentaire de l'anonyme de 15H22 qui se révèle être GB qui me demande de signaler qu'il en est l'auteur, ayant oublié de signer.

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  3. Où avez vous vu , 13:10, qu'alain alpern combattait le FN à HB ? Ce n'est pas lui qui a appelé à voter blanc aux municipales ?

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    1. Toujours autant de bêtises en à peine 3 lignes :
      - je n'ai fait aucun appel : j'ai dit ce que je votais !
      - j'ai voté contre le FN et la liste Binaisse en votant blanc...
      C'est la deuxième fois que ce commentaire est fait, presque mot à mot. Il n'y aura pas de troisième fois...

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    2. Encre un pseudo socialiste qui a perdu son trône. Assis sur son toilette, il cherche un coupable au lieu de se remettre en question. Se torch... le cu... avec l'huma pourrait qui sait lui remettre les idées en place.

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  4. Comment ? donner des leçons à celui ci, à celui là, y'a qu'à, faut qu' on, alors que chez nous, à Calais, s expose au grand jour une catastrophe humanitaire. La situation est dramatique, explosive, vols, agressions, bataille rangée, l'anarchie complète et une police débordée. Certe ce n est pas la Palestine heureusement, mais c est cela aussi qui fait peur,quand depuis 20 ans on est pas capable de regler les problèmes de cette ville, on devrait se montrer plus discret pour le reglement de ceux d une nation.

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  5. Mr Alpern est assez grand pour se défendre seul et ce n'est sûrement pas après moi qu'il attend . Mais je trouve votre commentaire incroyablement réducteur et ne prenant pas en compte la réalité de l' histoire.

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  6. devinez quelle ministre a un fils en prison a STRASBOURG et qui lui rend visite en helicoptere sur nos deniers (source penitenciere mais chut)

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    1. Devinez qui relaie bêtement les rumeurs idiotes inventées par les fachos :

      http://www.debunkersdehoax.org/non-taubira-ne-va-pas-rendre-visite-a-son-fils-avec-un-helicoptere-et-pour-cause

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    2. Rumeur insupportable ! Voir hoaxbuster.com. Et même si cela avail été vrai, où est le problème d'avoir un enfant en prison ? Cela peut arriver à tout le monde ! La haine contre ce brilliant ministre recèle des relents racistes à peine déguisés, ainsi qu'un mâchisme latent...

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  7. M. Alpern a-t-il des infos sur le financement illégal des colonies juives par DEXIA, banque renflouée à coups de milliards par la France et la Belgique qui en sont les actionnaires principaux ? La colonisation de la Palestine par l'Etat terroriste d'Israël semble aussi relever du business juteux pour DEXIA, fameux partenaire des collectivités locales françaises (dont Hénin-Beaumont) auxquelles cette banque a consenti les fameux emprunts toxiques à taux variables (indexés, peut-être, sur la courbe du nombre des massacrés de Gaza..).

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    1. Pas plus d'info que vous... Datent de 2009, sur Google !
      Le financement n'est pas illégal. La colonisation, si.

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