lundi 13 octobre 2014

A voir sur Arte à partir de mardi soir


Aux origines du capitalisme

LE MONDE | 

Rarement on aura rendu aussi accessible, et passionnant, le décryptage du capitalisme et des idées qui gouvernent la « science économique ». En faisant tomber bien des mythes, cette série nous aide à comprendre les crises et les inégalités d’aujourd’hui.
Partir de la vie et des idées d’Adam Smith, David Ricardo, Thomas Malthus, John Maynard Keynes, Friedrich Hayek et Karl Polanyi était un pari de taille. Il est réussi tant la démonstration est patiente, claire, érudite. Chacun des épisodes nous emmène dans les villes où ces auteurs sont nés, dans les maisons où ils ont vécu, sur leurs tombes, et nous restitue l’époque, le milieu social, le contexte familial, social et historique qui les a entourés et influencés.
Le grand voyage peut ainsi commencer, car ces hommes qui ont inventé l’économie – du moins, croyaient-ils – ont raisonné, débattu, circulé, imaginé. Mais leurs idées – ou ce que l’on croyait être leurs idées – ont, plus encore, fait le tour du monde. Pas moins de vingt-deux pays sont visités durant ce parcours minutieux entre Histoire et présent, de Venise à Vienne, des campagnes anglaises aux villages d’Amazonie péruvienne en passant par l’Inde, Haïti, la Chine, Wall Street ou les côtes ghanéennes, point de départ de la traite des esclaves. Parallèlement, des archives montrent l’évolution des débats économiques au cours des dernières décennies. Une vingtaine de spécialistes internationaux apportent aussi leur éclairage : historiens, géographes, anthropologues, sociologues et bien sûr économistes tels les Français Robert Boyer et Thomas Piketty. Très bien ciselé, l’ensemble est réalisé avec un sens aigu de la pédagogie.

L’ORGUEIL DE LA RAISON
Nombre de mythes s’évanouissent : des concepts considérés comme naturels – le marché libre, le marché du travail, la « main invisible », etc. – reposent en effet sur de pures hypothèses ou des interprétations fausses, travesties ou bien sorties de leur contexte. Là n’est pas le plus grave : elles ont la prétention de faire de l’économie une science exacte, où le facteur humain comme la nature deviennent des marchandises comme les autres. Cet orgueil de la raison n’est pas innocent : il s’agit souvent de justifier a posteriori des situations, un ordre et des hiérarchies sociales et humaines, plutôt que de fonder un projet de société.
Ainsi, Adam Smith, dont l’œuvre majeure est la Théorie des sentiments moraux, parle de « l’intérêt personnel » comme d’un moteur légitime de l’action humaine dans son autre ouvrage publié La Richesse des nations. Mais il ne confond pas cette notion avec l’avidité ou l’égoïsme, comme des économistes tels que Milton Friedman ont pu le prétendre à la fin des années 1970 et au début des années 1980 pour justifier la dérégulation et le recul de l’Etat-providence. Smith s’est également inquiété le premier des conséquences de la division du travail sur le sort des ouvriers lors de la révolution industrielle, annonçant à l’avance la critique de Marx. Mais le documentaire ne serait pas aussi remarquable s’il n’allait pas encore plus loin que les textes.
Quel est le grand impensé, le fait que l’on accepte comme une norme, dans les premières théories du marché libre et du libre-échange, la colonisation et l’esclavage ? Ces œillères ne sont pas rien. Le documentaire nous apprend, à ce sujet, l’existence d’un autre penseur, injustement méconnu : un enfant esclave noir offert en cadeau par la compagnie des Indes orientales à un duc allemand – qui l’affranchira et l’élèvera dans l’aristocratie : Anton Wilhelm Amo, inscrit en 1727 à l’université de Halle Wittenberg – une première en Europe –, où il réussit deux doctorats, de droit et de philosophie. Si son œuvre a été moins conservée et moins connue, Amo a été le premier à écrire sur l’irrationalité profonde de la prétendue rationalité économique qui transformait les hommes en marchandises, et sur les dangers de séparer les réalités humaines et sociales des réalités économiques.

LA CONQUÊTE DES COLONIES
Les préjugés fondent nombre de théories. La monnaie aurait été créée par simple commodité dans les peuplades primitives pour éviter le troc ? En réalité, aucun anthropologue n’a jamais rencontré ce cas. Le documentaire nous emmène dans l’Amazonie péruvienne pour nous montrer que la répartition des biens dépendait originellement des relations de réciprocité sociale. La dette, elle, existait – les tablettes sumériennes en attestent –, comme la tradition biblique du jubilé qui consistait à annuler les dettes et à restituer les gages tous les cinquante ans. L’or volé par les conquistadors n’était pas, sur place, un moyen de transaction. C’est la conquête des colonies par des intérêts privés européens, se formant en véritables gouvernements locaux – précurseurs d’un capitalisme de conquête à crédit –, qui a importé cet usage. Et les équipages des navires, ne pouvant accéder à cet or pour être payés, ont reçu les terres conquises en tribut, et ont exploité à coups de fouets leurs habitants et leurs ressources.
Jusqu’au bout, la même description précise s’applique aux autres penseurs. Karl Marx publie en 1848 le Manifeste du Parti communiste, dans un climat de révoltes sociales. Il est alors plus un analyste du capitalisme qu’un théoricien de la société communiste du siècle suivant. Joseph Schumpeter montre que le capitalisme se renouvelle en permanence, décrivant un processus de « destruction créatrice ». Mais il se soucie peu des effets de la destruction. Keynes et Hayek s’opposent sur le rôle de l’Etat, le second étant marqué par la révolution bolchevique.
In fine, c’est avec la fille de Karl Polanyi – Kari Polanyi Levitt – qu’un hommage émouvant est rendu à cet auteur, sans doute le moins connu, et qui a pointé les risques humains, sociétaux et politiques de « désencastrer » l’économie des réalités humaines, environnementales et de la monnaie. Cette pensée, féconde pour réfléchir aux crises que nous traversons, conclut bien cette série, qui restera sans doute comme une contribution majeure à la réflexion économique et sociale.

« Capitalisme » de Ilan Ziv, six épisodes à partir du mardi 14 octobre à 20 h 50 sur Arte

27 commentaires:

  1. A mon avi, John Maynard Keynes est LE plus grand économiste du 20ème siècle. Il est le seul à avoir mis en garde les Occidentaux contre les conséquences néfastes - et pourtant prévisibles - de Traité de Versailles de 1919 qui , mettant officiellement fin à la Première Guerre Mondiale, exigeait de l'Allemagne, vaincue sans que les Allemands humiliés,aient eu l'impression d'être vaincus, des indemnités financières qu'elle était bien incapable de payer.
    Il est le seul à avoir vu clairement quelles étaient les raisons du chômage qui sévissait dans son Angleterre de 1930, et avoir proposé des solutions réalistes pour sortir de la crise.
    C'est ses théories qui furent appliquées au sortir de la 2ème Guerre Mondiale dans le Plan Marshall.
    Il a eu une influence énorme chez les économistes de la fin du 20ème siècle, en particulier pendant les 30 Glorieuses.
    Bien loin des théories fumeuses de Marx, dont on connaît le résultat ( ! ), bien loin du cynisme de Friedman et des Chicago's Boys, il avait les pieds sur terre, il était réaliste...Il nous faudrait un nouveau Keynes ! JLT

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    1. "avis", pas "avi" :-)
      Monsieur Alpern, est-il possible d'"éditer" ( corriger ) un post sur votre forum ?
      JLT

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    2. Blogspot dispose-t-il d'une telle option, à voir.

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    3. A JLT : pas possible de modifier un commentaire... Même pour moi !

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  2. Je n'ai lu Marx qu' au travers des écrits d' Attali ( lui même pas évident à décrypter). Il me semble néanmoins avoir compris qu'il envisageait le capitalisme comme système universel, condition sine qua non,d'un réveil de tous les peuples contre les forces oppressantes. Le réveil de tous les peuples, ce n'est peut-être pas pour demain mais avec la mondialisation on n'est pas loin de la première étape. Qu' en pensez vous JLT ?

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    1. La mondialisation, c'est la disparition des particularités. C'est l'oppression de ce qui est différent. C'est la course effrénée vers l'argent au détriment de la nature et des espèces qui la compose.

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    2. Le repli sur soi, c'est la disparition des diversités. C'est l'oppression du même et du semblable. C'est une France fantasmée. Sur la question écologique, c'est ok
      Un entre deux est possible. La culture et les particularités n'ont jamais été figées. La culture est un mouvement constant.

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    3. A 12h03 . je n'ai pas dit le contraire. Je ne faisais que citer Marx et encore citer, c'est un grand mot.

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    4. Sauf que LES culture et non pas LA culture, disparaissent. Les modes de vie finissent par se ressembler. Hormis ceux qui sont à la traine, tiers et quart monde, les sociétés contemporaines modernes se ressemblent de plus en plus. ça ne veut pas dire qu'il n'y a pas de différence non plus. Mais CES différences se réduisent à vitesse grand V. Et sans fantasme aucun.

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    5. Ben, le mal a commencé quand les premières caravelles ont ramené des tropiques lointains, les épices, le chocolat...mille autres choses d'autres cultures.
      Nous vivons sur une minuscule planète, perdue dans une immense galaxie. Aujourd'hui, des milliers d'avions sillonnent le ciel. Le Kilimanjaro n'est pas si lointain, New York pour cent euros c'est possible. Les mélanges de cultures et pas seulement agricoles se multiplient. Et cela est inéluctable. C'est le village mondial, c'est inéluctable. Alors, jouer à Obélix et se cloîtrer dans son village gaulois, difficile aujourd'hui.Et pourquoi? Certains us et coutumes ne peuvent devenir que du folklore qu'il faut entretenir. Je me vois mal porter la coiffe bigouden dans mon tram le matin.
      Il aurait fallu arrêter le cours de l'histoire, arrêter les grands découvreurs,les caravelles, le chocolat, arrêter la vie et la curiosité. Vous le pouvez-vous? Faisons de cette proximité de bonnes choses... Et au début, il y avait la Pangée...d'avant la dérive des continents ou la tectonique des plaques.

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    6. C'est vous qui dérivez. Personne n'a dit qu'il faut porter bigouden.

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    7. 9H22, c'était de l'humour.. . mais bref. Les cultures sont vivantes et chaque culture s'imprègnent des autres, cela depuis toujours. Cela s'appelle l'évolution aussi. Mais bref.

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  3. Je pense que le marxisme a fait ses preuves, si l'on peut dire. Et qu'il est foncièrement nocif.
    L'URSS, les républiques "socialistes" du genre RDA, Chine, Cuba, ont appliqué le marxisme...et on a vu le résultat.
    JLT

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    1. Oh, la barbe l'obsessionnel. On voit ce que donne le capitalisme.

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    2. J'aurais dit criminel ou barbare. Mais ok, va pour le nocif.

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  4. Je vous rassure JLT, je ne suis absolument pas marxiste, mais comme vous, j'aime l'histoire et j'essaie tant bien que mal de la comprendre. Je m’intéresse à Marx, aux religions et je m'évertue de ne pas condamner qui que ce soit sauf les totalitaristes, les xénophobes, les racistes, les antisémites ( bref toute forme d'ostracisme)......Or, il me semble que vous ne faites partie d'aucune de ces catégories, c'est pour cela que j'apprécie de discuter avec vous. c'est pour cela, également, que s'il le fallait, je participerais à une manifestation en votre faveur si vous étiez privé de votre droit d'opinion et d'expression........Même si l'on est différent.

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  5. et quand dit david noel du marxisme

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    1. Ben au moins lui, il ne fait pas dans le pizzanisme.

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    2. oui mais se couche devant le ps à chaque élection et il a fait plus fort en laissant tomber ses colistiers et jeter ses 12 ooo tracts quelle gâchis de papiers

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  6. Il faut absolument méconnaitre MARX ou être de très mauvaise fois pour faire la comparaison avec sa théorie et l'expérience soviétique ou d'autres pays.Marx a basé sa théorie sur le dépassement du capitalisme,or l'URSS avant sa révolution n'était pas un pays industriel et connaissait un système féodal et non capitaliste.Que ses dirigeants se revendiquaient du Marxisme peut être, mais delà à rendre Marx responsable,c'est une ignorance de ses thèses ou un préjugé .

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    1. D'accord avec Jean-Claude Danglot sur ce point. D'ailleurs, contrairement à ce que l'on nous raconte, le marxisme à la mode bolivienne fonctionne très bien et Morales vient, d'ailleurs, d'être réélu au premier tour avec plus de 60% des voix. Est-ce l'exception ? A voir...

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    2. Moi, le seul Marx que je connais c'est Groucho. Les autres ne sont que de pâles copies.

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    3. Morales aurait signé comme footballeur pro à l'âge de 54 ans dans un club de 1ère division. Si c'est vrai c'est exceptionnel! Non ?

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    4. Poutine fait du Hockey, Castro a fait du baseball, les cocos sud américains font du foot, etc... Mais en France qu'en est-il ? Risquons-nous de revoir un jour notre rouge-gorge local s'adonner à la pétanque, au tarot picon-bière en mode pro ou semi-professionnel ? La distribution de 12000 tracts vers les poubelles peut elle être considérée comme un sport ? Beaucoup de question qui resteront, hélas, sans réponse.

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    5. Bin oui 15h36 mais qui puis-je? ( les 12.000 tracts)

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    6. Rien, d'ailleurs sur ce coup-là, je ne vous mettais pas en cause. Mais avouez quand même que le personnage est problématique et que de s'associer à lui est gage de défaite, voire de défaite avec de coups de Trafalgar.

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