lundi 20 octobre 2014

Le Monde : La politique à bout de souffle (4/6)


17 octobre 2014

Partis en fumée


Endogamie, fonctionnement en vase clos, déficit de représentativité : les griefs s'amoncellent contre les partis de gouvernement. Certains empruntent déjà des chemins de traverse






Ecrire l'épitaphe de sa famille politique est dans l'air du temps. "  La gauche peut mourir  ", affirme Manuel Valls. "  L'UMP est morte  ", soutient de son côté Nathalie Kosciusko-Morizet. Nicolas Sarkozy, lui, s'efforce de ne pas citer le nom de sa formation, alors qu'il en brigue pourtant la présidence. C'est un fait : les partis de gouvernement sont totalement discrédités et massivement rejetés dans l'opinion. C'est l'institution vis-à-vis de laquelle les Français expriment le moins de confiance.
Sondage après sondage, l'image des appareils partisans se révèle désastreuse, tous bords confondus. Les trois quarts des Français (75%) ont une mauvaise opinion du PS et plus des deux tiers (67%) jugent sévèrement l'UMP, selon un sondage IFOP publié dans le Journal du dimanche du 31  août. Les chiffres sont sans appel : 62% des personnes interrogées pensent " plutôt" que les partis politiques ne sont pas " utiles", 82% qu'ils ne sont pas "adaptés à la situation actuelle du pays", et 85% qu'ils ne sont pas "proches des réalités quotidiennes des Français ".
Les partis politiques n'ont-ils plus rien à dire, et plus personne pour les écouter  ? C'est le constat qu'a fait Solférino sous le mandat d'Harlem Désir, en annulant le point presse hebdomadaire sur la situation nationale, faute de public… A l'UMP, les conventions thématiques ont été interrompues ces derniers mois.
Le décalage entre ces structures et la société française se ressent sur le terrain. Public de gens âgés, blancs, fonctionnaires… Il suffit de faire le tour des Fêtes de la rose du Parti socialiste pour se persuader que les clichés ont un fond de vérité.
La faiblesse des effectifs partisans constitue l'un des symptômes perceptibles de la crise des mouvements politiques. La France est l'un des pays d'Europe où le taux d'adhésion reste le plus faible. Il est évalué entre 1% et 2% du corps électoral. L'UMP revendique 268 341  militants à jour de cotisation, quand le PS est largement au-dessous de la barre des 200 000. Des chiffres invérifiables tant les partis entretiennent le flou sur la question. Seule certitude, ces effectifs restent très inférieurs à ceux des autres pays européens. En Allemagne, les partis de gouvernement – CDU et SPD – totalisent chacun près de 500 000 encartés. En Espagne, le Parti populaire en compte environ 600 000. " En France, nos partis sont des gros clubs, et non des organisations de masse", résume Pascal Perrineau, professeur à Sciences Po Paris.

" Un champ de ruines "

Les mouvements politiques français éprouvent de réelles difficultés à attirer de nouvelles têtes. Le comble du ridicule a été atteint début 2013, quand l'ancien président de l'UMP, Jean-François Copé, avait annoncé que son parti allait recruter des candidats aux élections municipales par " petites annonces ". Le PS, lui, a raté un virage historique en ne capitalisant pas sur le succès de la primaire, qui avait attiré environ 3 millions d'électeurs, en octobre  2011.
La manière dont les responsables politiques qualifient leurs propres partis ne contribue pas à les rendre plus séduisants. L'UMP après la guerre Copé-Fillonde 2012  ? " Malade ", selon Valérie Pécresse, " un champ de ruines ", d'après Henri Guaino. Côté PS, le premier secrétaire, Jean-Christophe Cambadélis, n'hésite pas à comparer son parti à Oblomov, le personnage éponyme du roman de Gontcharov, cloué au lit par sa paresse.
Cette défiance s'inscrit dans la tradition politique française. Contrairement à des pays comme l'Angleterre, où les partis politiques se sont structurés dès le XIXe  siècle, il faudra attendre 1901 et la loi sur les associations pour que les appareils partisans se développent en France. Un héritage de la Révolution qui avait mis au ban les corps intermédiaires. Perçues comme des relais de l'Ancien Régime, les corporations avaient été interdites par la loi Le Chapelier, en  1791.
Mais l'histoire ne suffit pas à expliquer l'ampleur du rejet dont souffrent les mouvements politiques. La grave crise de légitimité est avant tout due à un déficit de représentativité. "Un parti politique, c'est un corps intermédiaire qui permet de mieux articuler les revendications de la base avec l'appareil de la décision publique et les institutions élues ou exécutives. Or, les partis ne jouent plus du tout ce rôle", se désole Pascal Perrineau. L'impression d'endogamie agit comme un repoussoir. La grande majorité des Français ne se sentent pas en phase avec les représentants de ces formations, qui donnent l'impression de fonctionner en vase clos.
Et si le décalage entre la base et ses représentants était inscrit dans l'ADN des partis  ? Dès le début du XXe  siècle, alors que beaucoup pensaient que les partis ouvriers seraient représentés par leurs propres membres, le sociologue italien Roberto Michels a démontré qu'il n'en était rien dans son ouvrage Les Partis politiques. Essai sur les tendances oligarchiques des démocraties (Flammarion, 1914). En étudiant le Parti social-démocrate allemand, il a constaté que, si les dirigeants des partis ouvriers venaient bien d'un milieu populaire, ils menaient en fait une vie de petits-bourgeois, et non de prolétaires. Le parti leur avait fourni un"levier pour leur ascension sociale", écrit-il. Ce qui conduit Roberto Michels à dénoncer le système "oligarchique" et la confiscation du pouvoir par une petite élite.

Conservation du pouvoir

Autre symptôme de la crise  : le débat de fond et les réflexions approfondies ne semblent plus l'essence des partis, qui sont peu à peu devenus des coquilles vides. La rupture date de la crise idéologique des années 1980. Les formations françaises, à fort contenu doctrinal par rapport aux autres appareils partisans en Europe, ont alors perdu leurs repères. La chute du mur de Berlin en 1989 et l'éclatement de l'URSS deux ans plus tard ont fait imploser le système communiste et tous les référents marxistes qui participaient – parfois en négatif – de la structuration de l'ensemble des partis de gauche. Depuis la victoire de François Mitterrand, le PS est ainsi écartelé entre sa doctrine socialiste et sa pratique du pouvoir dans une économie de marché.
La droite est également déboussolée  : dans les années 1970, le gaullisme était une idéologie de référence. Puis, de Gaulle disparu, la droite est tombée d'abord dans le pragmatisme à la Chirac, puis dans le sarkozysme, qui est moins une idéologie qu'une stratégie de conquête et de conservation du pouvoir.
Cette perte de repères déconcerte les électeurs, qui sont de moins en moins nombreux à se reconnaître viscéralement comme "de droite " ou " de gauche ". "Cette évolution est sensible dans toute l'Europe, où le clivage gauche-droite est désormais concurrencé par le clivage nationaux-européens", explique l'historien Gérard Grunberg.
Pour sortir de ce marasme, plusieurs personnalités politiques ont proposé d'emprunter des chemins de traverse. Notamment en impliquant la société civile, les intellectuels et les acteurs locaux. C'est ce qu'ont tenté Ségolène Royal, avec sa démocratie participative, ou Daniel Cohn-Bendit, avec l'ovni politique que fut, à ses débuts, Europe Ecologie-Les Verts. " Si les partis veulent redevenir des lieux de réflexion et d'élaboration des projets, ils ne doivent plus organiser le débat de manière pyramidale mais horizontale, affirme Pascal Perrineau. Il faut qu'ils sortent de cette fonction où ils se vivent comme des arrière-gardes éclairées, qui se serviraient des militants comme de simples colleurs d'affiches." L'idée a fait florès et tout homme politique qui s'empare d'un parti promet d'en ouvrir les portes et les fenêtres… mais rarement les listes aux élections.
Un paradoxe demeure  : si les partis politiques semblent démonétisés, ils gardent toutefois une importance stratégique dans la conquête du pouvoir. En témoigne l'énergie déployée par Nicolas Sarkozy pour reprendre la tête de l'UMP et s'assurer ainsi un contrôle sur les financements, les investitures et les fichiers militants. La guerre Royal-Aubry au PS ou celle opposant Copé et Fillon à l'UMP avaient le même but  : mettre la main sur le parti pour en faire un tremplin vers l'Elysée.

Démocratie de l'opinion

Mais l'évolution de notre système démocratique a rendu quelque peu désuète cette stratégie. Dans son livre Principes du gouvernement représentatif (Calmann-Lévy, 1995), le politologue Bernard Manin constate que le passage de la " démocratie de partis " à " la démocratie du public" (ou d'opinion), dans les années 1970, a modifié la manière de voter des électeurs. Désormais, ils votent davantage en faveur d'une personne que d'un parti, et ne se déterminent plus "en fonction de caractéristiques sociales, économiques et culturelles ".
Dans cette démocratie de l'opinion, où médias, sociétés de communication et sondages assurent la médiation entre le peuple et ses représentants, les adhérents et le débat interne ne sont plus les priorités. Il convient de faire passer un message au plus grand nombre, en utilisant des techniques inspirées par la publicité, explique la politologue Florence Haegel, qui souligne "l'accroissement des budgets de communication et de marketing" à l'UMP.
Ces transformations ont favorisé l'émergence des primaires, comme nouveau processus de sélection des candidats à la présidentielle. De plus en plus de personnalités politiques bâtissent des stratégies dans lesquelles leurs formations ne jouent plus un rôle central.
A droite, Alain Juppé, François Fillon ou Xavier Bertrand privilégient des voies extérieures en créant des micropartis, avec lesquels ils recueillent des financements et préparent leur projet. A gauche, ni Manuel Valls ni Arnaud Montebourg n'ont construit de véritables réseaux au sein du PS, laissant à penser qu'après François Hollande, la bataille pour le leadership à gauche se déroulera plus dans l'opinion que dans les couloirs de Solférino.
Dans ce nouveau schéma politique, l'organisation de primaires est à la fois salvatrice pour les partis –leur conférant une raison d'être et un dynamisme nouveau– et le symbole de leur perte d'influence. Car, si le processus permet aux partis de s'ouvrir sur la société civile et de répondre à leur déficit de légitimité, ce mode de désignation a aussi pour effet de démonétiser les appareils partisans. Les adhérents sont dépossédés du choix de leur candidat à l'Elysée, et les prises de parole-clés ont lieu dans les médias.
En voulant résoudre la crise des partis, les primaires l'ont donc accentuée. Et ont modifié le profil des candidats sélectionnés. Bernard Manin identifie un travers inhérent à la démocratie de l'opinion  : "Ceux qui parviennent à se faire élire" sont désormais " des individus qui maîtrisent mieux que les autres les techniques de communication, ce que l'on appelle des “figures médiatiques". Cette " nouvelle élite de spécialistes de la communication prend la place des militants et des hommes d'appareil ", s'inquiète-t-il. Le plus souvent au détriment du débat de fond.

Nicolas Chapuis et Alexandre Lemarié
© Le Monde

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