Hénin-Beaumont. Dans le laboratoire du Front National, la gauche tente de renaître dans une ville où son image est écornée. Mais les divisions, encore très profondes, pourraient retarder ce processus ?

Comme une bonne gueule de bois. Celle qui vous laisse pantois, qui ne s’oublie pas de sitôt et que vous n’espérez pas revivre un jour. Le 23 mars 2014, quand le Front national remporte la mairie d’Hénin-Beaumont avec Steeve Briois, élu avec 50,26% des suffrages. Ce jour-là, la gauche a perdu pour la première fois la mairie d’Hénin-Beaumont. Surtout, ce succès est acquis au premier tour. Une surprise de taille. Assez pour mettre en lumière la faillite d’une famille politique complètement désarçonnée.

« La gauche est morte ici »

Avec, en haut de ce champ de ruines, l’affaire Dalongeville, du nom de l’ancien maire (2001-2009), exclu du PS et condamné à trois ans de prison ferme pour détournement de fonds publics (il sera rejugé en appel le 19 décembre à Douai). « Il a terni l’image de toute la gauche », résume David Noël, secrétaire du Parti communiste local. « A Hénin, le socialisme est souvent associé à Dalongeville et ses proches, les canards boiteux, remarque Samira Laal, militante du PS engagée depuis deux ans. On paie encore les conséquences de cette période. J’espère que cet épisode sera clos après son procès. »
Mais, pour le moment, Dalongeville est toujours là. Il est même conseiller municipal d’opposition. Les divisions profondes de la gauche restent tenaces. Alain Alpern lance : « La gauche est morte ici. » L’ancien conseiller régional EELV tient un blog au ton acide sur l’actualité de la ville. « Sur le papier, il existe encore une section du PS, un parti communiste, un parti de gauche, mais ils sont inaudibles ! Dans une ville de 27 000 habitants comme la nôtre, le nombre de militants socialistes par habitant doit être l’un des plus faibles de France. »

Consanguinité intellectuelle

Patrick Piret (centre-gauche), qui vient de créer un mouvement, Hénin-Beaumont action, qui rassemble plusieurs courants de gauche, prolonge. « Avant, le PS était en position hégémonique, la remise en question est difficile quand on n’a pas de confrontation en face de soi. C’était une sorte de consanguinité intellectuelle ». 
L’heure est donc à la reconstruction, et comme le note Samira Laal, « ça va beaucoup plus vite pour détruire que pour reconstruire ». Patrick Piret croit surtout que le renouveau passera « par une approche de proximité, d’écoute des gens. » Mais les maux de la gauche et sa très grande désunion marquent encore les esprits. Pas moins de trois listes ont été présentées lors des dernières municipales. David Noël tire à boulet rouge et regrette les luttes d’ego qui noircissent le tableau. « C’est une maladie, beaucoup se tirent dans le dos. Que chacun mette de l’eau dans son vin. La discipline républicaine est une nécessité politique. »

« Les gens sont entrés en résistance »

C’est indispensable pour retrouver des voix dans les urnes. Dans les rues d’Hénin-Beaumont, entre l’imposante église Saint-Martin et l’hôtel de ville, les habitants sont partagés entre fatalisme et colère. C’est le cas de Béatrice, retraitée de la SNCF. « Le soir de l’élection, j’ai cru à un mauvais rêve. Dalongeville et la victoire du FN, c’est le symbole de la décadence du PS. Pourvu que le FN ne ruine pas la ville… » Certains se sont même demandé s’ils n’allaient pas tout plaquer. « J’ai hésité à quitter la ville », avoue Laurent, la quarantaine, « si le PS parisien avait tout de suite pris la décision de ne pas soutenir Dalongeville dès 2008, on n’en serait jamais arrivé là ». A l’époque, d’abord viré, Dalongeville avait été réintégré après sa victoire aux municipales.
Après avoir recréé une section en décembre 2012, la direction du PS a été attribuée en janvier à Stéphane Filipovitch dont la carrière politique s’est essentiellement déroulée à Carvin, à 13 km de là. Trop loin sur la liste d’Eugène Binaisse lors des municipales, il n’a pas pu briguer une place au conseil municipal. Pas très logique pour un secrétaire de parti. Finalement, le PS l’a joué tactique et fait démissionner dernièrement Marcel Germè et Marie-Christine Delhaye, les deux personnes placées devant lui sur la liste. « Je ne suis pas de ceux qui acceptent la fatalité du FN, explique Filipovitch. C’est un détail de l’Histoire pour reprendre une expression qu’ils aiment utiliser. Il faut redevenir utile. Petit à petit, on reprend pied dans la population ». Même si le PS n’a toujours pas de local officiel, il veut y croire. « Chez nous, les gens sont entrés en résistance. »

En recherche de crédibilité

Avec, en ligne de mire, la conquête de la mairie en 2020 ? « Ce qui fait la force de Briois, tacle Samira Laal, c’est qu’il connaît le terrain, les gens, leur manière de penser, d’être, je pense qu’il faut être Héninois pour le comprendre. » Sous-entendu, le prochain candidat devra être originaire de la ville.
« Depuis quinze ans, aucune personnalité ne s’est dégagée, regrette Alain Alpern, des gens auraient certainement été capables de faire carrière mais ils ont été mis au bois, il ne fallait pas qu’une tête dépasse. Aujourd’hui, les anciens doivent s’effacer et aider des jeunes. » Georges Bouquillon, ancien premier adjoint de Gérard Dalongeville, dresse leur portrait-robot : « A la limite, il faudrait que les nouveaux militants ne se réclament ni de gauche, ni de droite, qu’ils soient crédibles politiquement. »