Editorial Le Monde du 7 mars 2001
| Faut-il intervenir  militairement en Libye ? Le pays est entré dans la guerre civile. Depuis  quelques jours, les forces du colonel Kadhafi tentent de reconquérir le  terrain gagné par une opposition disparate, inorganisée mais décidée à  en finir avec un dictateur déséquilibré, depuis quarante et un ans à la  tête de ce petit pays du Maghreb. Les premières sont retranchées dans la  capitale, Tripoli, et alentour ; l'opposition tient l'est du pays,  notamment la ville de Benghazi. Le conflit peut durer. Il peut être  sanglant. Le colonel Kadhafi a prouvé ces dernières semaines qu'il  n'hésitait pas à faire tirer à la mitrailleuse lourde sur sa  population. Plusieurs centaines de Libyens ont déjà trouvé la mort sous  les balles de ses miliciens et de ses mercenaires. Il dispose d'avions  et d'hélicoptères qui peuvent bombarder les bastions de l'opposition.  Même s'il s'est débarrassé en 2009 de ses stocks d'armes de destruction  massive, sans doute a-t-il gardé quelques armes chimiques... Une  guerre civile pourrait avoir des effets déstabilisateurs durables dans  un pays grand comme trois fois la France, que borde la Méditerranée au  nord et, au sud, cette zone saharienne trouble, sensible, là où sévit  Al-Qaida. Or la Libye - 6 millions d'habitants - est un Etat fragile,  récent. Avant que les envahisseurs italiens ne l'unifient, dans les  années 1920, le pays était divisé en trois grandes provinces, taillées  du temps de l'Empire ottoman : la Tripolitaine, la Cyrénaïque, le  Fezzan. Le pays est peuplé de musulmans sunnites, mais divisé en tribus.  L'administration centrale y est faible, pour ne pas dire inexistante.  Le risque de " somalisation " existe. Cet ensemble de raisons, à  la fois humanitaires et stratégiques, pose la question d'une  intervention militaire. Fin février, le Conseil de sécurité de l'ONU,  unanime, a appelé à l'isolement du régime Kadhafi : saisie des biens de  la famille et des fidèles du dictateur à l'étranger ; embargo sur les  armes à destination de la Libye ; saisine de la Cour pénale  internationale sur d'éventuels crimes de guerre imputables à la  soldatesque au service du régime. Faut-il aller plus loin ?  Décréter, comme le suggèrent certains, une zone d'exclusion aérienne  au-dessus du territoire libyen pour empêcher Kadhafi d'utiliser ses  avions et ses hélicoptères ? L'insurrection libyenne ne demande rien  d'autre. A l'ONU, Chinois et Russes y sont opposés, par principe. Ni  l'Union africaine ni la Ligue arabe, les deux organisations régionales  concernées, ne le réclament. Américains et Européens font valoir  la difficulté d'une telle opération. Déclarer une zone d'exclusion  aérienne est un acte de guerre, vient de rappeler Washington. Il suppose  d'aller, au préalable, bombarder la défense antiaérienne libyenne et  requiert, ensuite, un dispositif considérable pour surveiller un espace  aérien aussi large. Les Etats-Unis, la France, la Grande-Bretagne  ont raison de manifester prudence et réserves. Mais ils ont raison aussi  de ne vouloir rien exclure. Le colonel Kadhafi est imprévisible, mais  il nous a appris une chose : il est capable du pire.  | 
 
 
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