jeudi 26 février 2015

"Vraie" et "fausse" laïcité


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Pour Daniel Keller, grand maître du Grand Orient de France, "au moment où la laïcité semble apparaître comme un ultime recours pour toutes celles et tous ceux qui souhaitent rebâtir la République", il convient de rappeler précisément ce qu'elle est. Et ce qu'elle n'est pas. "La laïcité, écrit-il par exemple, n'a pas pour vocation d'apporter une meilleure connaissance du fait religieux, que ce soit dans le cadre des “livrets de la laïcité”, des programmes scolaires ou à travers la création d'établissements privés de théologie musulmane."



A un moment où la laïcité semble apparaître comme un ultime recours pour toutes celles et tous ceux qui souhaitent rebâtir la République, l'avis émis par l'Observatoire de la laïcité le 14 janvier montre les écueils qu'il conviendra d'éviter si l'on ambitionne pour la République autre chose que sa transformation en une mosaïque pluriconfessionnelle. Il appartient à l'Etat de garantir à chaque religion le droit de pratiquer son culte en toute quiétude, tout comme l'enseignement de l'histoire doit permettre à tout élève de connaître l'histoire des religions. De même, il n'est pas contestable que la présence d'aumôniers musulmans dans les prisons puisse constituer un réel soutien pour les détenus qui ont embrassé cette religion. Mais ces mesures ne sauraient relever de la promotion de la laïcité, contrairement aux suggestions faites par l'observatoire. C'est même tout le contraire. La laïcité n'a pas pour vocation d'apporter une meilleure connaissance du fait religieux, que ce soit dans le cadre des « livrets de la laïcité », des programmes scolaires ou à travers la création d'établissements privés de théologie musulmane.
Le moment est venu de rappeler ce qu'est la laïcité, à savoir un principe d'organisation de la société fondé sur la séparation des églises et de l'Etat, de telle sorte que dans l'espace public les confessions restent silencieuses. S'il en est ainsi, ce n'est pas parce que la laïcité serait une antireligion, c'est simplement parce que l'espace public est le terrain à l'intérieur duquel les individus doivent faire l'expérience de leur qualité de citoyen. Et cet exercice exige que l'on se départe des assignations de toute nature qui pèsent sur nous.
La laïcité est donc avant tout le creuset de l'éducation à la citoyenneté. Elle est un contenant plus qu'un contenu et elle crée les conditions grâce auxquelles tout individu devrait être en mesure de participer à la communauté des citoyens qui incarne la République. Le vivre-ensemble ne repose ni sur une loi préalable ni sur l'imposition d'un dogme, il est le produit d'une invention collective parce que le vivre-ensemble républicain est toujours un vivre-ensemble en devenir.
C'est à l'école que doit s'opérer la construction première de la citoyenneté. Elle commence par l'apprentissage de la civilité sans laquelle il n'est que négation de l'autre. Civilité des enfants entre eux, civilité envers les adultes qui les encadrent. Cela se poursuit par le réapprentissage de la notion de respect. Le respect n'est pas soumission, il est une marque de reconnaissance envers celui qui est chargé de transmettre un savoir. L'école doit aussi permettre de mettre en pratique les notions de solidarité et d'entraide. Le but reste de favoriser une connaissance réciproque qui fasse reculer les facteurs d'incompréhension, d'éveiller le sens de l'empathie. Celle-ci est la première marche de la fraternité sur laquelle repose la République.
L'école est aussi le lieu où chacun doit accéder à la liberté, c'est-à-dire avant tout la liberté de l'esprit. Cela passe par un enseignement qui mette en perspective le chemin qu'ouvre l'exercice de la liberté de conscience : il doit favoriser l'éclosion de l'esprit critique, l'aptitude à mettre à distance ses propres opinions et préjugés. Mais l'enseignement doit aussi favoriser une réflexion sur toutes les entraves et inégalités qui fragilisent le pacte citoyen, à savoir les discriminations, les inégalités entre les hommes et les femmes.
Réaliser une telle ambition repose sur quelques prérequis nécessaires : la maîtrise du langage et de l'écriture chez l'élève demeure le fondement indispensable à l'exercice d'une raison éclairée. Expression du caractère libérateur du savoir, cette maîtrise est nécessaire à toute construction d'une sociabilité fondée sur le dialogue. Elle trouvera des prolongements dans la suite du parcours scolaire, dans le cadre de la compréhension de ce qu'est la démocratie, de ce que sont les grandes lois qui en constituent les piliers, de l'engagement de celles et ceux qui se sont battus pour la République et, de ce point de vue, l'entrée au Panthéon de Jean Zay, Pierre Brossolette, Germaine Tillion et Geneviève de Gaulle-Anthonioz offre une opportunité, sans parler de la mise en place d'un service civique pour tous, destiné à mettre la jeunesse en situation de responsabilité.
Cette politique ne produira d'effet que si la formation des enseignants sensibilise ces derniers aux enjeux de la laïcité. Il est également indispensable que les politiques urbaines, sociales et économiques nécessaires à la reconquête des territoires perdus de la République soient mises en œuvre. Car l'émancipation que propose la laïcité ne saurait être une émancipation abstraite.
En conclusion, la laïcité, c'est avant tout la volonté de faire triompher l'esprit républicain.



On comparera cette notion de "laïcité ouverte" développée, ci-dessus, par D. Keller avec cette pseudo-laïcité brandie par le FN : une "laïcité fermée" dont on mesure bien l'incongruité par l'adjectif accolé. 
"Dès 2011, la présidente du FN a repris à son compte ce mot-clé du patrimoine républicain en général et de la gauche en particulier : elle en a même fait le pivot de " notre modèle républicain ". Mais c'est pour mieux prôner, souligne Nonna Mayer, chercheuse au CNRS, " une laïcité de combat, fermée, identitaire, dont elle fait une arme contre l'islam ", associant systématiquement immigration, communautarisme, islamisme et atteinte à la laïcité ou à l'égalité entre les hommes et les femmes.
Dans le livre passionnant qu'elle vient de publier avec Stéphane Wahnich (Marine Le Pen prise aux mots, Seuil,320 p., 19,50  €), Cécile Alduy, professeure à Stanford (Etats-Unis), va plus loin et dénonce un " coup de force sémantique " qui fait de " la laïcité le garant de l'identité chrétienne de la France " contre l'islam – une " religion nouvelle, explique Marine  Le Pen dans un entretien avec l'auteure, dont les revendications heurtent les mœurs, les codes, les modes de vie, les habitudes d'un pays très anciennement fondé sur des valeurs judéo-chrétiennes ". Ainsi, la laïcité " se greffe sur un discours d'extrême droite pur jus, identitaire, islamophobe et anti-immigration ", pour mieux le légitimer." (Ce passage est tiré d'un article du Monde, article réservé aux abonnés, que je publierai prochainement). 

13 commentaires:

  1. La pauvreté, l’ignorance, et le désespoir, sont les ferments du fanatisme religieux.
    Ce qui a vraiment mis fin au fanatisme religieux en Occident, c’est la prospérité et la tranquillité relative face au futur. Celle-ci étant sur le point d’y décroître (du fait de l’épuisement des ressources et de l'abandon du politique aux mains de la finance), le fanatisme y refait surface sous de nouvelles formes, "politiques" (les anciennes étant discréditées au moins en partie, résurgence des crèches dans les mairies, réponse idiote à nos troubles) :
    la laïcité à la Le Pen et Cie qui se limite à l'islamophobie bête et méchante et qui n'a rien à voir avec elle, en est un des avatars...
    Dans nos écoles, nous vivons au quotidien ces tensions, que ce soit d'ailleurs dans les écoles ZEP, de centre ville ou rurales. Des égarements nés de l'inquiétude.

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    1. "Ce qui a vraiment mis fin au fanatisme religieux en Occident, c’est la prospérité et la tranquillité relative face au futur". Mouahahahahaha.
      14-18, crise de 29, 39-45... tu parle d'une prospérité, d'une tranquillité.

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    4. 1936, les trente Glorieuses... Mouahhh, le feneux aime faire peur, déprécier, noircir, ternir. Le feneux révisionnise aussi... Que le feneux aille bénéficier des régimes sociaux et de la liberté politique en Russie et qu'il revienne nous faire un petit exposé!

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    5. Les 30 glorieuses, mouaaahahahahaha, exploitation des mineurs du Nord-Pas-de-Calais qui relevèrent la France. Tu parle d'une liberté, d'une réussite. Pauvres élèves.

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    7. Va vivre en Afrique, en Inde, en CHine ou à Moscou et reviens nous en parler de la prospérité!

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  2. Ah oui et pouvez vous nous dire très exactement quand eurent lieu cette prospérité et cette tranquillité face au futur?

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  3. L’annonce d’une alliance du religieux et de la violence n’est qu’un moyen factice pour mettre un masque religieux à des luttes profanes. Lorsqu’un groupe utilisant la violence a fait appel à la religion pour justifier ses batailles, ou pour les déguiser, en transformant ses dieux en chefs de guerre, le résultat a toujours été désastreux. ( Henri Bauer Kathmandou 2009)

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  4. Ci-dessous l'article 18 de la Déclaration universelle des Droits de l'Homme.
    Ce texte s'oppose - me semble-t-il - avec la conception qu'ont certaines personnes de la " laïcité à la française" , pour qui le "religieux" doit être relégué dans "la sphère privée" .
    Je ne sais pas si la Déclaration universelle des Droits de l'Homme a valeur légale, ou si elle n'exprime que de simples souhaits.

    Article 18
    Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion; ce droit implique la liberté de changer de religion
    ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction, seule ou en commun, tant en public qu'en
    privé, par l'enseignement, les pratiques, le culte et l'accomplissement des rites.

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  5. Dépassée cette déclaration,les temps ont changé !

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  6. Pas dépassée totalement;à redéfinir le contenu de certains articles essentiels .

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