mardi 9 avril 2013

Révélations (suite)


La boîte de Pandore d'une banque suisse très prisée des VIP parisiens

 Le Monde 7/ 8 avril

La fiduciaire Reyl a transféré le compte de M. Cahuzac à Singapour. Jacques Séguéla est client de sa filiale à Paris

C'est l'histoire d'une petite société financière fondée par des Français en 1973 à Genève, et qui, grossissant au fil des années pour devenir un " groupe bancaire indépendant ", se retrouve au coeur du scandale Cahuzac et sans doute d'autres à venir.
Le 22 mars, la justice genevoise a perquisitionné les locaux de la banque Reyl & Cie, installée rue du Rhône, l'artère chic de Genève. Jusqu'ici, la maison menait ses affaires dans la plus grande discrétion, et prospérait : ses fonds sous gestion ont été multipliés par sept depuis 2006, à aujourd'hui 7,3 milliards de francs suisses (6 milliards d'euros). Et le secret a volé en éclat.
Car si la documentation bancaire saisie ne concerne pour l'instant que le compte de Jérôme Cahuzac, la boîte de Pandore est ouverte. Plusieurs sources indiquent que Reyl & Cie, dotée d'une licence bancaire depuis novembre 2010, est l'" officine " à laquelle des dizaines de " VIP " français - hommes politiques de droite comme de gauche, grands industriels et entrepreneurs - se sont durant des décennies adressés, en toute confiance.
Pour le fondateur, Dominique Reyl, 75 ans, un Français diplômé d'HEC qui dispose d'un large carnet d'adresses dans l'Hexagone, et son fils François, qui a pris le relais en 2002, les dégâts d'image sont déjà considérables. Selon une source proche de l'enquête Cahuzac, le juge Renaud Van Ruymbeke n'hésitera pas à adresser " des demandes complémentaires " aux Suisses s'il dispose de nouveaux éléments concernant d'autres fraudeurs.
Dans ce contexte explosif, les documents obtenus par Le Monde et le consortium ICIJ, dans le cadre de l'opération " OffshoreLeaks ", enfoncent encore plus le clou. Ils permettent de retracer la manière dont la banque a mis en place des parades pour protéger ses clients non déclarés. Ceci alors que le secret bancaire helvétique s'amenuisait de jour en jour, à la suite du scandale UBS aux Etats-Unis et des pressions des pays du G20 pour que la Suisse abandonne le secret bancaire en matière d'évasion fiscale.
Ces documents montrent aussi comment Reyl & Cie a organisé la transhumance hâtive des comptes " problématiques " à Singapour, dont celui de M. Cahuzac, déposé là-bas dans la filiale de la banque privée suisse Julius Baer.
Si aucun nom ne figure sur ces données pour l'instant, on y apprend que, entre septembre 2008 et mars 2009, Reyl a créé six sociétés aux Seychelles. Ces entités (Wind Charm Corporation, Fame Eagle Corporation, Oceania City International Inc., Sunny Ridge Group Limided, Jade Green Investments Limited, Moonlite Overseas LTD), qui masquaient des comptes, étaient détenues via des actions au porteur, un dispositif dénoncé par l'OCDE qui empêche toute identification de leur ayant droit économique. Interrogée sur ces montages offshore, la banque Rey a fait savoir, par sa chargée de communication, qu'" elle ne commente pas l'actualité quand cela part dans tous les sens comme aujourd'hui ".
Un expert, familier du fonctionnement de Reyl, a accepté de décrypter ces données sous couvert d'anonymat. Il explique que " ces structures achetées aux Seychelles ont été mises à disposition des clients qui ne souhaitaient pas voir leur compte déménager à Singapour ". D'autres sociétés, qui ne figurent pas dans les données informatiques récupérées, auraient également été créées aux îles Vierges britanniques, à Panama et au Costa Rica.
Le but, avec ces sociétés, était aussi de permettre aux clients d'échapper à l'impôt à la source sur les revenus de l'épargne : seuls les comptes nominaux étant concernés, abriter les comptes dans des sociétés permettait d'échapper au fisc.
Pour les clients qui ont accepté de déplacer leur fortune non déclarée en Asie, Reyl a ouvert en mars 2009 une filiale à Singapour (Reyl Singapore PTE LTD), dix jours avant la décision historique de la Suisse d'adopter les standards de l'OCDE en matière d'échange fiscal.
Le 13 mars 2009, Berne acceptait ainsi de lever le secret bancaire en matière d'évasion fiscale, pourvu qu'une autorité fiscale en fasse la demande.
En août 2009, une convention révisée de double imposition était signée avec la France, permettant dès le 1er janvier 2010 ces échanges d'informations. " Une course contre la montre s'est alors déclenchée pour évacuer tout ce qu'on ne pouvait pas garder à Genève. Durant trois mois, toute l'équipe a été mobilisée. François Reyl a fait lui-même le tour des clients non déclarés ", raconte l'expert.
N'ayant jusqu'alors aucune présence à Singapour, Reyl a d'abord fait appel à Swiss-Asia Financial Services Limited, une " plate-forme de booking " (un prestataire proposant des adresses et des locaux), dirigée par d'anciens banquiers suisses.
Tous les comptes gênants ont été clôturés à Genève, dans les différentes banques dépositaires de Reyl (dont UBS, Julius Baer et Credit Suisse). Et les ponts avec Reyl ont apparemment été coupés. " Officiellement, c'est Swiss-Asia qui gérait les comptes, mais elle continuait à recevoir des instructions d'investissements de la part de Reyl, sans traces écrites ", poursuit l'expert.
En juin 2010, face au nombre important de comptes à transférer, Reyl & Cie a été contrainte de demander une licence de gestion de fonds à Singapour. Les comptes des clients ont alors été reversés dans diverses banques, dont des établissements singapouriens.
Il ressort des documents " OffshoreLeaks " qu'un certain Charles Bok a supervisé l'opération de repli vers la place financière asiatique, alors considérée comme moins perméable aux demandes d'entraide que la Suisse. Selon nos informations, il s'agit d'un gestionnaire de fortune belge, arrivé une année auparavant chez Reyl, avec de nombreux clients belges non déclarés.
Sur son site Internet, Reyl sert un tout autre discours pour expliquer cette ruée vers l'Asie au moment de la levée partielle du secret bancaire suisse. Elle explique que ce développement est essentiellement motivé par le fait de se mettre au service des fortunes asiatiques, et de profiter " de l'essor économique et de la création de richesse dans cette zone ". Une explication qui fait sourire l'expert : " La raison principale c'est que Reyl ne pouvait plus garder toutes ces patates chaudes à Genève. "
Ce grand déballage a de quoi donner des sueurs froides aux clients non déclarés de Reyl. Car la justice ne compte pas s'arrêter en si bon chemin : une demande d'entraide judiciaire a été adressée à Singapour. Et, comme l'a appris Le Monde, un banquier genevois, témoin privilégié entendu à Annecy, le 13 février, par la police judiciaire dans le cadre du dossier Cahuzac, a récemment été contacté par le service national de la douane judiciaire française.
Les douaniers s'intéressent à la manière dont des mallettes d'argent " cash " ont pu être transportées entre la Suisse et la France, dans le cadre d'opérations de compensation. Le banquier a déjà désigné Hervé Dreyfus, le gestionnaire de fortune de M. Cahuzac, demi-frère de Dominique Reyl, et également conseiller patrimonial de Nicolas Sarkozy, dans le rôle de porteur occasionnel de valises.
Il est aussi prêt à évoquer le rôle d'autres apporteurs d'affaires pour le compte de Reyl, dont certains avocats français agissant au nom de prestigieux clients.
Des observateurs s'attendent à ce que de nombreux clients de la filiale de Reyl en France quittent précipitamment le navire.
Par ailleurs, il est apparu que le publicitaire Jacques Séguéla a confié depuis des années la gestion de sa fortune à Dorothée Marty, la présidente de Reyl France. Contacté par Le Monde, M. Séguéla a confirmé cette relation financière, précisant toutefois que son argent était déposé à la Barclays à Paris. Il assure n'avoir jamais eu de compte en Suisse, et avoir " le coeur tranquille ". 
 
Agathe Duparc

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire